Syrreine as Syrreine
De l’autre côté du mur, la porte n’avait pas du tout la même taille que la petite porte de service dessinée par le majordome. Elle était majestueuse et encadrée d’épais rideaux de velours. La pièce entière était dans le même esprit. Pas étonnant qu’il y ait eu une majuscule à « Propriétaire » !
L’homme annonça à voix haute :
« Monsieur le Propriétaire, Mademoiselle Edelstein est là.
– Merci, Nestor, faite-là entrer. »
Vers le fond de ce grand bureau, il y avait deux hauts fauteuil qui, face à une grande cheminée, me tournaient le dos. Mais le Propriétaire avait eu le bon goût de ne pas me faire le coup éculé de me parler depuis l’un d’eux : il était tout simplement assis à son bureau, en face de moi, à l’autre bout de la pièce. J’avançai jusqu’au bureau et il me fit asseoir sans me regarder. Il avait les yeux mi-clots et les traits très sérieux, comme en pleine réflexion. Il resta un moment silencieux et immobile, mais comme j’étais malgré tout polie et bien éduquée, j’attendis qu’il parle. Il finit par lever lentement les yeux, comme s’il se trouvait devant un problème difficile. Je notai ses yeux noirs, très rares pour un homme aussi blond. Ses cheveux étaient littéralement aveuglants. Il était assez inquiétant, dans un style peu conventionnel. Comprenant que j’étais en train de le décrire, le maître d’hôtel s’interposa en pépiant « pas de portrait, s’il vous plaît ! Pas de portrait ! ». Je cessai donc ma description et le Propriétaire parla :
« Mademoiselle Syrreine – c’est la bonne orthographe ? C’est pour le registre.
– Oui, c’est bi… Eh ! Eh non ! C’est Mademoiselle Edelstein ! Esther Edel…
Il me lança un regard désabusé. Il n’était pas dupe. Ah ! Je pensai à toutes ces ruses que j’avais développées pour passer inaperçue ! Et il avait suffi d’un simple regard pour qu’il me perce à jour ! J’étais extrêmement vexée ! Mais en même temps… Il avait bien orthographié mon nom dès la première fois ! Finalement, j’étais plutôt flattée.
– Syrreine, je crains que nous ne nous trouvions face à un léger problème… Laissez-moi vous expliquer : le Château est certes peu accueillant, il est.. comment dire ? un peu cruel. Mais tant qu’il joue avec vous, vous aurez un moyen de vous en sortir. En y laissant plus ou moins de plumes, évidemment, mais c’est le défi ! Seulement, vous avez agi très malhonnêtement dès votre arrivée. Un incendie, un mur effondré, un chantier dévasté… Dix salles du rez-de-chaussée de l’aile principale devront être fermées par votre faute ! Et le mallorne – oui, le chêne, peu importe – va mettre un demi-siècle à repousser ! Je pourrais vous condamner à périr par les flammes pour cela, ou bien laisser le Château faire son affaire avec vous, ce qui revient au même. Mais (il eut un sourire pervers) le jeu n’est pas terminé et je m’en voudrais de gâcher un acte de la pièce. J’aimerais vous voir jouer un moment contre le Château plutôt que de précipiter votre chute. Cela peut se révéler… Amusant ! D’autant plus que le niveau de résistance Syréen face au Château m’intrigue. Ce n’est donc pas par clémence, vous l’aurez compris, que je vais vous autoriser à continuer votre exploration.
Mais son visage cruel devint d’un coup dur et fermé.
– Cependant, le personnage d’Esther Edelstein vous est enlevé. » Et tandis qu’il disait cela, le physique d’Esther se détacha docilement de moi et le maître d’hôtel le mît sur un ceinture qu’il rangea dans une armoire où plusieurs autres corps creux pendaient. « Vous devrez reprendre votre ancien personnage, le troubadour. (Il eut un sourire goguenard) Je vous préfère en gueuse qu’en bourgeoise pyromane. »
Je me regardoy
Et vist que j’avoy repris le teint rougeaud ey alcoolisé
Du barde mendiant que j’avoy naguère été.
Je m’ecoutoy un instant penser
J’en avoy aussy – Ô comble d’infortune pesant sur ma teste ! –
Reprist la diction !
Honteux, je courbay l’échine face à le regard dur ey froy du Propriestayre.