Bernadette as Bernadette l’aventurière en haillons tartinés de gloss bon marché. Beurk.
Mes pupilles se rétractèrent brusquement à mon entrée dans la troisième pièce ; une lumière crue m’agressa en plein visage et je vacillai, avant de me stabiliser, de découvrir ce qui s’offrait à mon regard, et de, sous le choc, tanguer à nouveau.
De suite, je compris que cette pièce était la vengeance de l’Esprit Markettos, qui, je vous le rappelle, était offusqué de ma conduite dans la première pièce et désirait se venger, car j’avais involontairement craché un gros mollard sur les fesses de la statue de Miley Cyrus. Trêve de bavardages inopportuns, la survie de mes neurones était en jeu.
Partout dans l’immense salle fleurissaient des podiums transparents illuminés de spots et de glaces, où évoluaient des jeunes filles vêtues à la dernière mode, qui, étrangement, paraissaient toutes être le sosie de Britney Spears dans sa vingtième année. Elles marchaient, sans relâche, l’air hautain, se déhanchant sur les tubes de la pop star citée plus haut. Des vêtement divers et variés-robes pailletées, minijupes aux couleurs criardes, bikinis de fausse fourrure, leggings à motif léopard- pendaient à des cintres, au dessous desquels gisaient des escarpins en python ou des chaussures compensées rose chewing-gum. Des coiffeuses placées ça et là débordaient de maquillage, et je vis même un filet gluant de fond de teint serpenter sur la moquette saumon.
Après avoir emprunté une expression faciale sans nul doute digne de celle de la blondasse dans les films d’horreur ou de Kurt Cobain à la vue d’un flacon de shampoing, je relativisai et intimai à Onyx, mon esprit d’encre de compagnie, de me suivre.
Au premier pas que je fis, un immonde jupon bleu layette croulant sous les pierreries de plastique se colla à mon corps avec une force telle que je ne parvins pas à l’en détacher. Il entravai si bien mes mouvement que je trébuchai et chu sur le sol. L’étoffe en profita pour enserrer mes deux jambes et je du, contre mon gré, avancer vêtue de cette frusque.
Mais cette mascarade ne s’arrêta pas là. Un chemisier confectionné avec une sorte de soutien-gorge de cuir auquel on aurait cousu des pans de fine dentelle noire dans le vague espoir de le rendre décent s’enfonça de force sur mes épaules, par-dessus ma veste camouflage, ce qui avait un irrésistible rendu Jean-Paul Gaultier. Des talons de trente centimètres en chinchilla rouge sang frappèrent mes chevilles chaussées de rangers jusqu’à me faire hurler de douleur. Puis ce fut le tour du maquillage.
Un rouge à lèvre me barbouilla les lèvres et les dents de carmin.
Du fond de teint ruissela le long de ma chevelure en ondulations poisseuses.
Du blush pénétra dans mes narines dans l’intention de m’étouffer.
Des faux ongles me lacérèrent le visage.
Du vernis à ongle luisant dégoulina dans mes yeux vert sombre, agglutinant mes cils et brûlant mes lentilles de contact.
Du kohl bleu nuit zébra mes cuisses sous mon pantalon de treillis en lambeaux.
De la crème dépilatoire sembla se déverser sur mon crâne… Mais je l’esquivai de peu, ne voulant pour rien au monde perdre la chevelure blonde que j’avais prise tant d’années à faire pousser.
Les jeunes mannequins contemplaient le triste spectacle de mon passage à tabac par des produits de cosmétique tout en caquetant d’une façon obscène et pathétique.
Mais elles cessèrent leurs ignominieux ricanements lorsqu’un flot noir se déversa sur elle, tachant irréversiblement leur ridicule tenue et leur artificielle coupe de cheveux.
Onyx s’était vengé.
Il bondit sur moi pour me faire subir le même traitement, afin de faire fuir mes tortionnaires de tissu. À nouveau libre de me mouvoir, je me relevai et nous prîmes la fuite.
Soudain, les visages haineux des sosies de Britney se déformèrent, changèrent, leurs traits se figèrent en un masque livide de rage et leurs cheveux se muèrent en un inextricable nœud de corps écailleux sifflant et éructant.
Des Erinyes. Celles dont le rôle est de poursuivre jusqu’à la folie les grands criminels.
« Je n’ai rien fais de mal ! hurlais-je. Rien ! Le sacrilège que j’ai commis était involontaire ! Involontaire ! »
Elles déplièrent leurs longues ailes et firent crisser leurs griffes enflammées. Une par une, elles s’envolèrent jusqu’aux lambris de la pièce, puis, telles des rapaces maléfiques, fondirent en piqué dans ma direction. Je poussai un cri étranglé en couru du mieux que je pu.
Une aile me frôla, et je senti la caresse froide d’un reptile sur ma joue. Mortifiée, je tombai à terre, dénuée d’énergie. Et je vis… Du noir.
Une forme ébène surgit, se faisant obstacle entre les furies et moi, leur victime, s’étirant en tentacules ondoyantes jusqu’à former un impénétrable panneau. Je rampai, à bout de souffle, et sorti enfin de la pièce. Mon esprit d’encre fondit en une mare de pétrole et me rejoignit.
C’était un véritable miracle que d’être encore vivants.