L’Impératrice Chapeautée as L’Impératrice Chapeautée
Encore tétanisée par la pièce que je venais de quitter, et tourmentée par ce rire enfantin, qui ruisselait comme de l’argent clair autour de moi, sans que je pus en distinguer l’émetteur, j’errais, affolée, égarée, éperdue, dans un couloir tortueux jalonné de centaines de portes colorées. Des torches accrochées aux murs projetaient des éclats chatoyants sur ma peau. Je suivais éperdument le son cristallin qui semblait se moquer de moi, et rebondissait à l’infini entre les parois, m’étourdissant, m’aveuglant, me déroutant éternellement. Sur ma gauche, une porte grinça, et je constatai que le battant était entrouvert. Un souffle de vent glacé balaya mes chevilles lorsque j’y pénétrai.
L’éclatante blancheur des murs m’arrêta net sur le seuil. C’était une longue salle, dont les colonnades étaient finement incrustées de paillettes d’argent, veinées d’acier et de plomb fondu. La lumière se déversait à flots, rendant éblouissants le sol et les murs de cette pièce éburnéenne. Mes pas sonnaient sur le marbre immaculé, et des rayons pâles, qui filtraient par des vitraux de cristal translucide, s’accrochaient à ma chevelure comme autant de filaments célestes tissés entre moi et l’éther.
Je passai entre deux rangées de piliers d’ivoire, et découvris, baignés par la somptueuse lueur qui tombait du plafond dentelé, deux statues de pierre claire, recouverts par la légère poussière qui dansait dans l’air pur. Celle de gauche représentait un homme, les yeux ouverts sur l’horizon, dont le visage serein était ceint d’une barbe entrelacée de fils d’argent. Il portait une couronne, et reposait, majestueux et calme, sur un trône de bronze ouvragé. Celle de droite était une jeune femme splendide, aux traits nobles et altiers, mais dont le regard semblait triste, voilé. Sa longue chevelure se parait de drapés si précis, que l’on eut dit que la roche était brodée comme d’un voile limpide. Elle aussi siégeait sur un fauteuil d’acier poli. Un profond silence régnait, et apaisait mes sens tourmentés. Je me sentais fort humble devant ses antiques personnages, et, je ne sais trop pourquoi, je tombai à genoux à leurs pieds scintillants de pierreries. Le rire soudain retentit à nouveau, et me fit dresser la tête avec effroi. Je contemplai avec effarement le visage de la reine. Elle souriait.
« Vous vous moquez », grommelai-je, sans spécialement attendre de réponse.
Une voix pourtant, si claire et si douce, résonna dans l’immensité de la salle d’une blancheur aveuglante. Elle disait :
« Oui, en effet, mais c’est plus à cause de ton manque de discernement que de ta terreur, car elle est fondée. »
Je relevai la tête. La femme avait parlé, et ses lèvres de pierre avaient subrepticement bougé. J’en était certaine.
« Je dois être folle », répliquai-je, en fermant les yeux, et en appuyant mon front contre le bas de la robe glacée de la dame.
« Non, pas le moins du monde. »
« Mais vous parlez ! »
« Toi aussi, ce me semble », rétorqua une voix masculine.
Je me tournai instantanément vers le roi. Il inclinait vers moi sa tête de roche sculptée. Je bondis derrière un pilier, effrayée, et je demandai :
« C’est donc vous qui riiez ? »
« Non, très chère. Cela n’était ni moi, ni mon épouse, ni quiconque de vivant. »
« Alors, un spectre ? », tentai-je, horrifiée.
La cocasserie de la situation n’avait cependant rien de drôle, et des larmes manquaient de rouler sur mes joues à la première occasion, tant cette vision m’apeurait. Le regard du roi se fit soudain perçant, pétrifiant. Ses pupilles froides et grises parurent s’embraser soudain. Il articula :
« Ce rire, que vous venez d’entendre, n’est pas celui d’un être humain, ni de ce monde, ni de l’autre. »
« Mais alors ? »
« Tu ne devines pas ? », sourit la reine avec cruauté.
« Non… je… »
« Il s’agit du rire de ce château, très chère. IL se moque de toi, et de tes acolytes. IL se défendra de vos expéditions déshonorantes, et se vengera, en vous faisant perdre la raison, errer dans ses dédales, céder peu à peu à la folie, jusqu’à ce que vous ne soyez plus que de pauvres corps décharnés… IL a pour armes toutes ses pièces, tous ses murs, toutes ses portes. Il vous fera espérer des issues, vous poursuivra de ses rires, vous tourmentera de visions, vous assaillira de doutes ! »
« Mais, ce n’est que de la pierre ! C’est impossible ! »
Un silence.
Je jetai un coup d’œil aux statues. Elles avaient repris leur visage impassible et bienheureux, et fixaient le vide avec complaisance.
« Vos Altesses ? »
On ne me répondit pas.
Un mauvais pressentiment m’assaillit, et je tournai les talons, quittai la pièce, refermai les battants, et me retrouvai dans le couloir.
Et le rire résonna à nouveau…