J’atterris sur une lunette de toilettes. Le Château, dans son pragmatisme, avait déboutonné mon pantalon pendant la chute. Je me déshabillai et m’installai, plutôt soulagée par ce petit endroit qui ne laissait pas beaucoup de possibilités pour se cacher. Il faudrait simplement que je garde un œil sur le trou (je crus me rappeler d’une quelconque légende à propos d’une colonie de lions de mer qui auraient hanté les canalisations du Château).
Quel confort, les toilettes ! Je ne connaissais pas meilleur lieu pour faire un point avec soi-même, surtout après quelques aventures mouvementées. J’aurais d’ailleurs dû ressentir une grande excitation à leur issue : cette fois, j’étais revenue à la vie ! Après des années d’attente dans cette crypte miteuse, une exploratrice s’était enfin montrée assez naïve pour ouvrir mon urne. Je m’étais tenue prête prête : j’avais laissé son regard se pétrifier, sa bouche s’ouvrir et, à la première inspiration, j’avais pu la posséder.
Retrouver une enveloppe charnelle, un bonheur – enfin, c’est ce que j’avais toujours pensé. Présentement, je me sentais surtout nauséeuse, enveloppée dans un étrange brouillard mental. J’essayai en vain de convoquer les pires souvenirs de mon expédition au Château mais ils m’apparaissaient froidement, sans haine ni terreur. Je pensai à tout ce que je pourrais entreprendre, maintenant que j’étais redevenue vivante : rien.
Pourtant, l’image que me renvoyait le miroir ne me faisait pas regretter mon choix : l’exploratrice dont je m’étais emparée n’était pas cadavérique, ni gravement blessée. Aucune trace, non plus, de tatouages suspects.
Pourquoi, alors, n’arrivai-je pas à me sentir heureuse ?
Pourquoi me sentais-je emprisonnée en dehors de moi-même ?
J’avais retrouvé un corps, était-ce vraiment le moment de perdre mes sentiments… !
Je sursautai : un gargouillement venait de résonner en dessous de moi, amplifié par la forme de la cuvette. Une petite vague se forma à l’intérieur de celle-ci. Les lions de mer ? Je remontai mon pantalon et ouvrit la porte pour m’enfuir – tant pis pour ma braguette.