J’ai à peine posé un pied dans la pièce que son atmosphère agresse mes bronches. Son effluve est indéfinissable ; j’y décèle à la fois l’odeur des livres jaunis, enfouis sous une fourmilière de moutons de poussière, et celle du vinaigre blanc mêlé au liquide vaisselle amande amère (une expérience chimique qui aurait mal tourné ?). Impossible de déterminer s’il s’agit de la demeure d’un savant maniaque de la propreté ou de l’antre d’un lutin bibliothécaire.
Quoiqu’il en soit, son occupant a déserté les lieux : il ne reste plus, au milieu de la pièce, que quelques cartons abandonnés. Une lumière blafarde les éclaire ; ils sont vides. Et j’en comprends rapidement la raison : entre celui manifestement éventré et celui aux pans éraflés par une bête sauvage (sans doute un grizzli… ou un chaton ?), l’être qui vivait ici avait dû choisir plus solide pour son départ.
M’éloignant des cartons, j’allume ma torche et pars inspecter les recoins les plus sombres. Je découvre alors que l’habitant n’a pas laissé que des cartons amochés ! Les murs de la pièce sont couverts d’étagères, parsemées de multiples objets. En plissant les yeux – il faudrait remplacer cette torche, elle frôle l’agonie –, je repère même de petites étiquettes. Cette découverte corrobore la thèse du lutin bibliothécaire… je me détends un peu : son espèce n’a jamais disposé d’un grand pouvoir de nuisance.
Un cahier de brouillon composé de deux feuillets cornés… deux élastiques à cheveux et une pomme de pin… un bocal à moitié consommé d’une mixture dont je n’ose imaginer la teneur… les rayonnages se composent d’un ensemble éclectique. J’y repère aussi un mitigeur cassé, un dessin d’enfant qu’on ne pourrait qualifier que de « prometteur », une photo jaunie d’un temps trop heureux, trois fils de laine tressés et… bwaaah ! La dernière étiquette, écrite en lettres de sang (ou de sauce tomate moisie ?) me glace. « Extrait de frigo éteint et refermé sans avoir été dégivré. » Ne serait-ce pas la pièce de mes pires cauchemars, plutôt qu’un cabinet de curiosités ? Il ne m’en faut pas plus pour partir en courant.