Tout au bout du bord de l’extrême, derrière les dernières montagnes du Monde, s’élève le Château des 100 000 pièces Les murailles, et les tours et les étages de ce palais s’élèvent, à ce qu’il vous paraît, bien au-delà des nuages, au-dessus des cimes.
L’ASCENSEUR (EMOTIONNEL)
L’ASCENSEUR (EMOTIONNEL)

L’ASCENSEUR (EMOTIONNEL)

Je n’ai rien compris à ce qu’il vient de se passer. Je n’ai pas envie de comprendre non plus. La colère qui m’habitait en découvrant que c’était un gars qui se tenait devant moi est retombée et ne reste plus qu’une tristesse lourde et étouffante. Elle m’appuie sur les épaules, m’enserre en son sein au point de rendre chaque inspiration un peu plus pénible que la précédente. Les larmes ne coulent pas. Ce n’est pas une tristesse qui se noie dans les larmes.
Inerte, je me laisse trainer par un gars. Devhinn. Je ne sais pas. Et je m’en moque. Plus rien n’a d’importance. J’en suis presque à espérer qu’il m’abandonne à mon sort.
Arrête. Tu es une battante. Ressaisis-toi.
Je sursaute. Qui a parlé ?
—Analayann ? Qu’est-ce qu’il y a ?
—Je… rien.
—Ah non ! Arrête de te murer dans le silence.
Parle-lui. Raconte-lui ce qu’il s’est passé.
Quelle est cette voix dans ma tête ? Je ne la reconnais pas. Dans le monde physique, un gars attend une réaction de ma part. Il a arrêté de marcher, mais me tient toujours par le bras. Dans mon esprit, la voix inconnue me répète sans relâche de m’ouvrir. Je me plaque les mains sur les oreilles mais ça ne sert à rien, elle est à l’intérieur. Je me sens oppressée par toute cette attention et l’espace d’un instant, la tristesse qui m’étouffe se relâche. Les mots en profitent et s’échappent avant que je ne puisse les retenir.
—Je ne sais pas. Je voudrais qu’elle se taise…
Un gars, nullement découragé par mon manque de loquacité, s’engouffre dans l’opportunité de la longueur record de ma réponse. Doucement, il écarte mes paumes de mes oreilles et prend un ton plus doux.
—Qui ? Qui est-ce que tu voudrais qu’elle se taise ?
—La voix. Dans ma tête.
—Qu’est-ce qu’elle te dit ?
—…
—Analayann, est-ce que tu veux bien me dire ce que la voix te dit ?
—Je… Elle… veut que… que je te dise ce qu’il s’est passé.
—Ce qu’il s’est passé ? C’est-à-dire ?
—Avec Ombre… et Jad… et… et…
J’essaye de me retenir mais il est trop tard. Je craque. Les larmes se mettent à filer de mes yeux aveugles pour couler le long de mes joues. Les mots s’emmêlent dans ma bouche et ne sortent plus. Je sens les bras d’un gars m’entourer. Il me frotte doucement le dos en me répétant que ce n’est pas grave, que tout va bien se passer. Ce sont les mensonges d’usage pour consoler, mais petit à petit, ils font leur effet et mes sanglots s’espacent. Sans me relâcher, il recommence à me poser des questions en murmurant.
—Qu’est-ce qui te fait mal comme ça ? Qu’est-il arrivé à Ombre et Jad.
—… je les ai perdus…
Et petit à petit, question par question, il me fait livrer ce qui me pèse tant sur le cœur. Je lui raconte tout. Comment l’on est tombé à la suite de la Créature, après le combat contre le Château. Combien j’ai eu peur que Jad ne meure dans mes bras. La haine qui m’avait aveuglée quand je l’avais revu, lui. A quel point j’avais désiré qu’il crève sous mes poings. Il est censé connaître cette partie de l’histoire, et pourtant il semble la découvrir au fur et à mesure que je la raconte. Et puis, l’arrivée d’Aden. La séparation d’avec Jad. La descente au cachot. La rencontre avec Aiden. Mes visions d’autres endroits, de choses impossibles. La perte de ma vue. Mes visions de lui. De d’autres personnes. D’autres lieux. La rencontre avec Tim. Eno. La créature. Et puis… et puis… Le vide. Mon réveil. L’absence d’Ombre. L’absence de tout. Tout s’accélère et se bouscule dans ma bouche. La chronologie se mélange dans ma tête. Ça n’a pas grande importance. L’avertissement d’Aiden. Mon errance depuis.
Quand mes mots se tarissent, je ne bouge pas, le visage profondément enfoui dans la chemise de Devhinn. Il faut que je me laisse le temps de digérer toutes les émotions qui sont revenues me retourner l’esprit pendant mon récit. Il ne dit rien non plus pendant de longues minutes et garde ses bras autour de moi. Avoir un tel contact physique, rien même qu’un contact physique, après tout ce temps de solitude, c’est à la foi perturbant et réconfortant.
—Et ben… ça fait beaucoup d’aventures.
Encore cachée dans les plis du tissu, j’émets un son à mi-chemin entre un rire étranglé, un sanglot et autre chose d’inidentifiable.
—Ça va mieux ?
Toujours sans bouger, je hoche timidement la tête. Délicatement, il m’attrape par les épaules et m’écarte. Je retrouve une sensation de froid. Ses mains remontent vers mon visage.
—Tu me permets que je regarde tes yeux ?
Je hoche à nouveau la tête. Ses doigts froids se baladent sous mes yeux, autour, et sur mes paupières, avec la légèreté des ailes d’un papillon. J’ai perdu mon étrange vision qui me faisait le distinguer, alors je subis son examen dans le noir le plus total.
—C’est magique. Je le sens, ça picote le bout des doigts. C’est malheureusement la seule chose que je peux te dire. Je suis désolée.
Je hausse les épaules. Ombre me manque.
—Je te promets que nous trouverons un moyen de te rendre la vue. Et ta mémoire. Et nous retrouverons Ombre et Jad, et le PGN et…
—Tu n’es pas obligé de me mentir pour me faire plaisir, tu sais. Tu sais, l’honnêteté dont tu as preuve envers moi… C’est important. C’est quelque chose dont j’ai besoin. La vérité.
—C’est compris. Pas de fausses promesses. Mais je peux alors au moins te promettre que je ferai tout mon possible pour.
Mon merci est si petit que je ne suis pas sûre qu’il l’ait entendu. Je reprends, en mettant un peu plus de forces dans ma voix :
—Et… et toi ? Que t’est-il arrivé ?
Il a fait un pas vers moi, je me dois de lui rendre la pareille. Je l’entends se préparer à me répondre quand un ting l’interrompt. Je sursaute.
—Qu’est-ce que c’était ?
—Ne t’inquiète pas, juste l’ascenseur qui vient d’arriver à destination.
—L’ascenseur ? Quel ascenseur ? Quelle destination ?
—La pièce où nous étions, c’était un ascenseur. Et depuis tout à l’heure, nous descendions. Je suis désolé, je n’ai pas pensé à te le dire. J’y penserai à partir de maintenant.
Cette fois mon merci est plus nettement audible. En réponse il m’attrape par la main et me tire à sa suite.
—Viens, on sort d’ici tant qu’on le peut, et promis je te raconte tout après.

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