Je voulais mourir. Fermer les yeux et ne plus rien voir. Ne plus rien entendre. Me laisser aller dans un havre de paix silencieux entouré de celle que j’aim….
Mais quelle connerie suis-je encore en train de raconter ? Je poussais un soupir de désespoir. Les conséquences de cette pièce sur mon esprit étaient encore plus graves que ce que j’imaginais. Il fallait que je sorte d’ici. Et vite. Très vite. Sinon, je finirais sans doute comme eux.
En parlant de ces derniers, l’un de ceux-ci me bouscula sans même s’en rendre compte et me donna un coup de coude descendant sur la tempe tandis qu’il sautait dans tous les sens. Maitrise toi Altixor. Je t’en supplie maitrise toi me murmurais-je. Trop tard. De manière inconsciente, Mecelsen avait déjà fait son apparition dans ma main et je perforais le cœur de l’insolent d’un coup rapide. Grossière erreur. Je n’aurais jamais dû faire cela, je le savais. Mais on ne pouvait s’empêcher d’être soi-même. Alors, inspirant une grande bouffée d’air pour me donner du courage et de la patience, je respirais profondément et me préparais à affronter de nouveau cette torture tout en me demandant quel mal j’avais bien pu faire pour mériter cela.
Mais avant de revivre cette expérience horrible, laissez-vous conter comment j’en étais arrivé là. Après la petite bagarre dans la pièce précédente, j’avais franchi l’immense porte bleue en me tenant sur mes gardes. Les Hulusus m’avaient prévenu : celle-ci abritait les pires démons qui soient. Sauf qu’ils avaient oublié de préciser une chose. C’est que ces démons étaient des terriens. Alors je vous vois venir. Oui mais Altixor, les terriens sont des créatures pathétiques, des bons à rien à peine assez doués pour te distraire de temps en temps. Des pouilleux. Des faibles. Des lâches. Des arrogants. En bref, des êtres méprisables et leur donner le titre de démons était leur accorder une importance qu’ils ne méritaient pas. Et vous auriez tout à fait raison de me dire ce genre de choses.
Seulement, il y avait une autre qualité qui caractérisait ce peuple assez intelligent pour détruire son habitat naturel : la folie. Il n’y avait pas d’autres mots pour désigner ce qui se trouvait devant moi. De la folie dans sa forme la plus pure. Je me trouvais dans ce qu’ils appelaient une salle de concert. Ne me demandez pas comment mais j’avais atterri au beau milieu d’une fosse où des centaines d’humains sautaient sur place tout en levant et agitant leurs bras dans les airs.
Je n’avais aucune idée de ce que ce geste pouvait bien signifier même si je l’avais vu à de nombreuses reprises lors des matchs de football que je disputais parfois. Peut-être était-ce leur manière d’exprimer leur joie ? Non. Soyons raisonnable. Personne n’est assez stupide pour faire cela de cette manière.
Quoi qu’il en soit, j’étais toujours encerclé par des dizaines et des dizaines de terriens et une musique assourdissante me vrillait les oreilles. J’avais l’impression que ma tête allait exploser tandis que des néons de lumière verte ainsi que des projecteurs passaient sous mes yeux.
Alors vous commencez à me connaitre. Je suis un homme juste qui ne fait appel à la violence que pour défendre ses droits. Et la plupart d’entre eux avaient été bafoués avec ce bruit et cette ambiance assourdissante. Aussi ne me fis-je pas prier pour faire couler le sang et répandre la terreur dans les différents rangs de l’enceinte. J’en profitais également pour détruire méthodiquement tous les appareils de musique et m’assurait que le chanteur, principal responsable de l’outrage que j’avais subi, ne pourrait plus jamais commettre un tel crime en arrachant la langue de son cadavre.
Je n’eus cependant pas le temps de contempler mon œuvre que je me sentis comme aspiré dans un vortex. Mon estomac se retourna tandis que j’étais balloté dans tous les sens. Pour vous donner une idée, j’avais traversé les mers et les océans de bien des mondes. Et l’Intrépide, ce navire légendaire dont j’étais le capitaine, avait connu nombres de tempêtes sans jamais fléchir. Et pourtant, aussi puissant que soit le déferlement des eaux, aussi imposantes soient les vagues et claquantes les bourrasques de vent, jamais une sensation pareille ne s’était emparée de moi. Et la désagréable surprise qui m’attendait à la fin de mon voyage ne faisait qu’ajouter à mon irritation.
J’étais de retour à ma place. La foule hurlait et sautait de nouveau atour de moi.
– Ce n’est pas la douceur de tes lèvres. Ce n’est pas parce que tu hantes mes rêves. Ce n’est pas la chaleur de ton corps. Ce ne sont pas les battements de mon cœur. Ce n’est pas ta présence, pas ton absence. Pas ces minutes dont tu me prives. Pas ces secondes où tu m’enivres.
Et comme si cela ne suffisait pas voilà que l’autre insolent venait de reprendre la chanson qui m’avait tant fait souffrir. Et encore, vous n’aviez pas entendu le refrain.
– C’est un sentiment qu’on appelle amour. Et c’est ce qui me donne la bravoure. De t’embrasser tous les jours. De te contempler pour toujours. De me perdre dans la beauté de tes yeux. Et de rêver, rêver à nous deux.
Qu’est-ce que je disais ? Un supplice à la fois pour mes tympans, extrêmement sensibles, et pour mes yeux devant la piètre performance des personnes en charges des lumières. Et puis qu’est-ce que c’étaient que ces paroles ? L’auteur avait-il seulement connu une relation pour écrire de telles absurdités ?
Enfin, je connaissais un moyen simple de le faire taire moi. Seulement, après deux nouveaux meurtres de masse, je saisis le fonctionnement de cette pièce. Et il était digne des plus grandes tortures : à chaque fois que je provoquais l’arrêt du concert, je voyageais dans le temps pour revenir à l’instant exact où j’étais arrivé dans cette fichue salle. Ce que je devais faire était donc très simple : rester calme durant les deux ou trois heures que durerait ce pseudo-divertissement. Seulement, comprendre la théorie et appliquer la pratique sont deux choses très différentes. Et, malgré tous mes efforts et les nombreuses techniques utilisées parmi lesquelles se boucher les oreilles, enfouir profondément sa tête dans le sol ou encore chanter plus fort que l’artiste principal, le résultat fût le même. Mecelsen finissait irrémédiablement dans mes mains et Brise-Tympans reprenait inlassablement son terrible refrain.
Ce n’est que lors de la treizième répétition que je trouvais enfin un moyen de me sortir de cet enfer. En effet, alors que je venais de désintégrer le système digestif de mon voisin d’un simple coup de poing à l’estomac, je compris que les meurtres étaient autorisés dans cette pièce. Il s’agissait seulement de ne pas se faire remarquer. Et cette découverte me sauva. Désormais, je n’étais plus un pauvre innocent que l’on avait condamné au supplice éternel, j’étais un assassin de l’ombre, une lame dans la foule, silencieuse et propre.
Lors de ma première tentative après avoir percé ce secret, j’atteignis, pour la première fois, la deuxième chanson. Seulement, cette dernière commença par une note si aigue que j’esquissais un sursaut de surprise et manquait le cœur de ma cible de quelques millimètres. Ce qui représentait plusieurs kilomètres pour un expert comme moi. Toujours est-il que cette dernière s’en sortit vivant et qu’elle déclencha un mouvement de panique en essayant de me fuir. Retour à la case départ.
Mais cette fois j’étais mieux préparé. Ne prenant aucun risque, je ne m’attaquais qu’aux personnes des dernières rangées. Je laissais également Mecelsen dans son fourreau préférant la puissance et la discrétion des deux armes de destruction massive qu’étaient mes poings. Un coup au cœur provoquant un arrêt cardiaque. Une nuque qui se brisait. Un cou qui se tordait. Une gorge serrée jusqu’à l’étouffement. Je pus tester mille et une façons différentes de donner la mort sans faire couler le sang et cela se révéla terriblement efficace. Sans même que je ne m’en rende compte, le chanteur était arrivé au bout de son répertoire et entonnait désormais ce qui était sa dernière musique. Quant à moi, j’avais commis beaucoup de crimes et je commençais à être à court d’idées pour justifier l’évanouissement soudain de toutes les personnes que je touchais.
– Tandis que je sentais grandir la flamme dans mon cœur, je maudissais les marées de te tenir loin de moi. Je suppliais les vents de me murmurer tout de toi et implorais la terre de me guider sur le chemin de ton bonheur.
Et enfin, il se tût. La foule prit alors le relais et scanda le nom de Brise-Tympans dans un tonnerre d’applaudissements. A croire que les humains étaient tous sourds. Ce qui, compte tenu du concert qui venait d’avoir lieu, n’aurait rien eût d’étonnant. Enfin, j’allais pouvoir accéder à la pièce suivante et, bientôt, cela ne me concernerait plus. C’est alors que se produisit une chose que je n’aurais jamais pu prévoir : tandis que le chanteur saluait son public et disparaissait derrière la scène, ces idiots se mirent à le supplier de revenir.
– Une autre ! Une autre ! Une autre.
J’esquissais un sourire sans joie et posais une main sur le manche de Mecelsen. Calme-toi Altixor. Ils essayent seulement de te provoquer. Tu as gagné. Il n’y a absolument pas la moindre chance pour que Brise-Tympans accepte de reven… Je me stoppais en plein milieu de mes pensées. C’était une blague. Je vous en supplie dîtes moi que c’était une blague. Mais non. Le démon à la voix discordante et aux textes dignes des pires compositeurs venait de faire son grand retour, un large sourire aux lèvres. Il leva le micro qu’il tenait entre ses mains et la foule répondit à ce geste en faisant davantage de bruit.
Non. Ne me dîtes pas qu’il allait…
– Seul dans la chambre, j’ai interrogé mes sentiments…
Et si. Il était reparti pour un tour. Et à cappella en plus.
– Reste dans ton coin, me supplie Timidité.
Serrer les dents, fermer les yeux.
– Continue, ne lâche pas, répondit Acharnement…
Je n’entends rien. Je suis sourd. Je n’entends rien. Je suis sourd. Je n’entends rien. Je suis sourd.
– Notre relation me convient ! cria Amitié.
Arrête-toi. Je t’en supplie arrête-toi.
– Hors de question, a fait Peur.
Trop tard.
– Vous serez heureux, promit bonheur…
Je me sentais avancer. Attiré contre mon gré vers le devant de la scène, une lueur de meurtre dans le regard.
– Ha, comme j’aimerais que tu sois près de moi. Pour que tu puisses entendre le son de ma voix. Que je puisse te dire tout ce que j’ai sur le cœur. Que je puisse te dire que je t’aime…
J’étais arrivé sur le devant de la scène. Je n’entendais plus rien. Étrange. Mais alors que j’allais dégainer Mecelsen, une trappe s’ouvrit sous mes pieds et je me sentis tomber loin, très loin dans les entrailles du château.
J’étais Yubi al-Deus, Az Eros l’immortel, Babès le Grand. Et, malgré le souillage éternel que venait de vivre mes tympans, je restais le seul être capable de vaincre le château. Ce qui arrivera dans 999 990 pièces. Et alors les chants sur Altixor le Conquérant se feront légion.
Auteur : Altixor sous le pseudo « Altixor »