Je me réveillai en sursaut, avec la sensation d’avoir fait une longue chute. J’ouvris les yeux sur du noir, et me forçai à ravaler les sanglots qui menaçaient. Ce n’était plus leur heure. J’avais froid. Il me manquait quelque chose. Il me manquait quelqu’un.
—Ombre ?
Silence. Mon cœur s’affola. Les mains fouillèrent les alentours à la recherche du contact si particulier des ombres. Elle devait être inconsciente, juste à côté. Je ne trouvai rien. Je me sentis nue. Le lien qui nous unissait, je ne le percevais plus. J’étais seule.
Soudain, j’eus peur de la mort. Je n’étais encore en vie que parce qu’Ombre avait lié ses pas aux miens. Maintenant qu’elle n’était plus là, qu’allais-je devenir ? Etait-elle encore en vie ailleurs ? Allais-je la retrouver ? Ou avait-elle disparue, comme mon ombre initiale ?
Un air de jazz me tira de la spirale de l’angoisse qui me menaçait. De la musique ! Juste à côté ! De la musique signifiait des gens. Je ressentis le violent besoin d’aller les retrouver. Je me relevai en titubant. La source était droit devant moi. Deux pas mal assurés plus tard, je pris conscience, sous la forme d’un angle de table dans le bassin, que traverser la pièce où je me trouvais n’allais pas être une partie de plaisir.
Cahin-caha, les mains tendues en détecteurs à obstacles, je progressai avec la lenteur d’un escargot. Outre mes difficultés à marcher sans tomber sans y voir, la pièce où j’étais était encombrée d’objets et de meubles à n’en plus finir.
Je tassai la tête dans les épaules en entendant un énième bibelot en porcelaine se briser sur le sol. Je murmurai un vague « désolée » dénué de sens, avant d’éternuer à la chaine, le nez chatouillé par le nuage de poussière soulevé à l’occasion. Mon pouce gauche effleura le dossier d’un fauteuil et je m’y arrimai le temps de quelques pas. Mes orteils tâtonnaient sur le parquet, cherchant un endroit où se poser sans encombre.
La musique était toujours devant moi. Toujours aussi loin. Je l’avais compris maintenant, elle provenait de la pièce adjacente. Dans ce bazar obscur, il allait me falloir trouver une porte. A la bonne heure ! Des bruits de discussion étaient maintenant audibles, ainsi que des verres qui s’entrechoquent. Un bar.
Il me fallait y arriver.
J’arrêtai de faire l’inventaire de ce que je percutais quand s’écroula dans mon dos une pile, de journaux sans doute. Cette dernière s’effondra dans un froissement de papiers et un nuage de poussière. J’en avais marre. J’impression de tourner en rond, gardant pourtant toujours mon objectif droit devant moi. Et à chaque pas, il était un peu plus proche.
Mes doigts me faisaient souffrir et devaient bien comporter quelques coupures pour agrémenter les bleus qui les couvraient quand ils se posèrent enfin sur un mur. Un vrai mur. Lisse et frais sous mes paumes, il résonnait en moi comme une délivrance. La musique s’était tue, mais les discussions étaient toujours présentes. Ne restait plus qu’à trouver la porte. De quel côté partir ? Un courant d’air chargé d’odeurs d’alcool sur la droite me décida.
La main gauche fermement posée sur la paroi, j’entamai mon nouveau parcours. De nombreux meubles accolés au mur m’obligeaient à des détours. Armoires, commodes et coffres se succédaient, entrecoupés de cadres et de tableaux, le long de ce mur qui ne semblait pas avoir de fin. Le courant d’air se faisait de plus en plus fort, pourtant, le volume des voix diminuait. Je m’éloignais. J’étais pourtant sûre que cet air provenait du bar.
Soudain, les discussions s’arrêtèrent. Je me figeai, pétrifiée. Non. Non non non… Je tendis la main loin devant moi. Un mur. J’étais au bout de la pièce. Non ! Une porte. Je l’avais trouvée. Le grincement de gongs de l’autre côté du mur sur ma gauche suspendit mon geste vers la poignée. Quelqu’un venait d’ouvrir la porte jumelle à la mienne, côté bar. Est-ce qu’elles donnaient au même endroit ? On allait vite le savoir.
J’ouvris la porte. De l’autre côté, la musique avait repris.