Tout au bout du bord de l’extrême, derrière les dernières montagnes du Monde, s’élève le Château des 100 000 pièces Les murailles, et les tours et les étages de ce palais s’élèvent, à ce qu’il vous paraît, bien au-delà des nuages, au-dessus des cimes.
LE GRENIER D’UNE VIEILLE QUI EST SÛREMENT LA MAMIE DE QUELQU’UN PARCE QU’ELLE A VRAIMENT L’ALLURE D’UNE MAMIE
LE GRENIER D’UNE VIEILLE QUI EST SÛREMENT LA MAMIE DE QUELQU’UN PARCE QU’ELLE A VRAIMENT L’ALLURE D’UNE MAMIE

LE GRENIER D’UNE VIEILLE QUI EST SÛREMENT LA MAMIE DE QUELQU’UN PARCE QU’ELLE A VRAIMENT L’ALLURE D’UNE MAMIE

Je suis assis sur mes talons dans un petit grenier mal éclairé, dans lequel prospèrent malgré tout une centaine de plantes en pot. Une lucarne poussiéreuse éclaire mon petit-déjeuner frugal et illumine des milliers de particules en suspension dans l’air. Tout à l’heure, en arrivant, je m’y suis penché pour observer le monde dehors. Le soleil se levait droit devant moi, derrière une mer de toits et de tours tordues, de petites fenêtres découpées dans des murs rampants de lierre. Difficile d’évaluer ma position exacte dans le Château ; je sais juste que je suis très haut. Je compte y rester un moment : les profondeurs m’effraient.

Je sirote distraitement un café tiède, resté dans mon thermos toute la nuit. Je me sens terriblement seul, tout à coup. Je pense aux deux explorateurs que j’ai aperçu tout à l’heure sur les toits, blottis l’un contre l’autre pour observer le lever du soleil. Ici, nous sommes des centaines. Peut-être des milliers. Pourtant, je dors tout seul, je bouffe tout seul, je me balade tout seul.

Je lâche un soupir et mord sauvagement dans ma pomme, soudainement exaspéré. J’ai l’impression que le monde entier m’évite.

Une voix chevrotante interrompt mes réflexions amères.

— Pousse-toi, s’il-te-plaît.
Je sursaute violemment, renversant du café partout sur mes vêtements. Une petite vieille dame me bouscule avec douceur, chancelant sous le poids d’un arrosoir en plastique vert rempli à ras-bord. Je l’observe un instant, déboussolé. Elle fredonne un air vieillot en arrosant ses plantes, se penchant ça et là pour arracher des feuilles jaunissantes qu’elle fourre dans les poches amples de son tablier fleuri.

Elle s’interrompt un moment et se tourne vers moi, mains sur les hanches, m’adressant un sourire édenté qui froisse ses grosses joues rouges. Ses coudes osseux sont dressés de part et d’autre comme deux ailes maigrichonnes, ses cheveux hérissés sur sa tête comme des aigrettes : elle me fait penser à une vieil hibou. Quelques petits yeux brillent derrière une montagne de plis et de rides. Instinctivement, j’ai envie de lui faire confiance. Elle a le genre de présence qui rassure.

— Tu as faim ?

La phrase prend l’air d’une question, mais son regard me dissuade de répondre par la négative. Perdu, je hoche la tête.

— Bien. Viens m’aider à étendre le linge, puis on ira goûter. J’ai du café au lait qui chauffe sur la cuisinière.

Je me lève sans réfléchir, rassemble mes quelques affaires et ramasse la corbeille à linge qu’elle a laissé dans un coin. Elle finit d’arroser ses plantes tandis que j’accroche le linge humide sur un fil tendu entre deux poutres : gants de toilette et torchons brodés, gros pulls tricotés à la main, énormes culottes ornées de dentelle rose. Je m’amuse à deviner sa vie à travers son linge.

J’ai tellement l’habitude de concevoir le Château comme un endroit meurtrier, du genre qui, profondément, vous veut du mal, que j’en oublie qu’il est aussi maison. Le concept me trouble ; il ouvre un monde de possibilités auxquelles je n’ai jamais pensé. Il existe des commerçants dans le Château. J’en suis un, j’en ai vu d’autres. Mais des marchés ? Des chapelles ? C’est trop dur à imaginer. En fait, j’ai beaucoup de mal à comprendre l’immensité du Château. Je crois que mon cerveau étriqué d’humain ne me le permettra jamais.

Lorsque j’ai fini, la vieille me tend l’arrosoir vide et la corbeille et m’entraîne en bas, dans une petite cuisine exigüe. Je la suis sans réfléchir.

Auteur : Épervier sous le pseudo « Épervier »

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