Arthus
La musique est douce et entraînante. Je n’ai pas fait deux pas qu’une main se tend pour inviter la mienne à s’y poser. Trois battements de cœur, et je décide de jouer le jeu. Mes doigts dans sa paume, et nous voilà partis.
Je ne la connais pas, nous ne nous connaissons pas, mais nous nous accordons notre confiance le temps d’une danse. Je la laisse guider mes pas et mes gestes, nos doigts enlacés, sa main sur mon épaule, la mienne sur sa hanche. Nous tournons dans l’immense pièce. Les murs sont de miroirs, ils nous répètent à l’infini. J’aperçois même l’ombre de nos reflets sur le parquet.
Je n’avais jamais dansé de valse. Je n’avais jamais dansé tout court. J’apprends à me laisser porter par les trois temps et mon instinct. Ces moments sont doux. Ils soulagent mon esprit de toutes les pensées trop lourdes à porter dont il était encombré. Je perds mon regard dans la contemplation de ma partenaire. Elle est belle, gracieuse. Je ne peux m’empêcher de vagabonder intérieurement. De relancer la machine à scénarii. Et si … ?
Et si nous nous étions rencontrés ailleurs, dans un autre contexte ? Ça y est, je suis parti, j’invente, je spécule, je nous et délie une vérité qui aurait pu être. Elle a vu que je ne suis plus tout à fait ici et maintenant. Cela la fait sourire, même si elle ne dit rien. Elle ne fait aucune remarque non plus lorsqu’un faux pas de ma part envoie une note discordante dans l’harmonie qui s’était installée. Elle se contente d’avoir ce sourire qui se voit plus dans ses yeux que sur ses lèvres et qui menace de me faire décoller à nouveau vers d’autres horizons.
Ce petit bout de paradis a sa fin. Elle s’approche et se glisse dans la mélodie entre les notes qui se distendent. Je l’ai sentie. Pourtant quand le dernier accord arrive, je ne peux m’empêcher d’être surpris. De trouver qu’il est arrivé trop vite. Je la fais tourner une dernière fois. Sers une dernière fois ses doigts entre les miens. Sa dernière arabesque la fait me frôler. Son parfum m’entête. J’aimerais voir ses cheveux et sa robe tournoyer pendant des heures. Des éternités.
Enfin, nous nous sommes arrêtés, l’un en face de l’autre. Il n’y a plus que le silence et le souffle de nos respirations. Je ne veux pas partir comme ça. Du bout des doigts, je glisse une de ses mèches derrière son oreille. Elle lève la main sans toucher la mienne. Ce que je vois dans ses yeux est si beau, si grand, que je me sens glisser. Tout s’efface. C’est sans doute mieux ainsi. Je n’aurais jamais réussi à partir sinon.