Sitôt que j’eus refermé la porte derrière moi, elle disparut. Je marquai une pause, puis je décidai que ce n’était pas la chose la plus étrange qui avait pu m’arriver dans cet endroit et je me retournai.
Il régnait dans la pièce une douce chaleur. Et en même temps, il faisait froid. Malgré ses dimensions raisonnables, la pièce était presque vide. Des épais rideaux poussiéreux à moitié ouverts encadraient une estrade vermoulue, sur laquelle deux hommes étaient assis, recroquevillés au pied d’un arbre en papier-mâché qui tombait en lambeaux. Les murs décrépis avaient été bleus, et quelqu’un avait collé une poignée d’étoiles en plastique au plafond, du genre qui brille dans le noir. Le tout était d’une tristesse indescriptible, et en même temps, j’avais envie d’éclater de rire. Troublé, je m’avançai sans grandes précautions. Je n’étais pas un homme à certitudes, mais, à cet instant, j’étais convaincu qu’il n’y avait rien dans la pièce qui eut pu me blesser.
Alors que je m’approchais, naviguant entre les monticules de détritus et de caisses vides qui jonchaient la salle pleine à craquer, les deux hommes ne levèrent même pas la tête. Ils se parlaient à voix basse, l’air alarmé. Le plus petit avait posé sa main sur l’épaule de son ami, semblant vouloir le rassurer. D’un coup, ils se levèrent, et je sursautai violemment. Ils m’observèrent un instant sans rien dire, radieux. Ils portaient des pantalons troués retenus par des bretelles et des chemises élimées. Le plus grand portait un chapeau melon et des chaussures, tandis que l’autre n’avait ni chapeau melon ni chaussures.
— On s’est décidés, déclara finalement le plus petit avec fierté, mains posées sur ses hanches.
— Quoi ?
Il donna un léger coup dans le bras de son ami, comme pour l’encourager :
— Dis lui ! Dis-lui ce qu’on a décidé de faire !
— On a… On a décidé qu’on ne t’attendrait plus, marmonna le plus grand, fixant un coin de la pièce comme pour éviter de croiser mon regard.
— Hein ?
Il me jeta un regard profondément agacé.
— Ne fais pas comme si tu ne savais pas de quoi on parlait, répondit-il sèchement. Ça fait longtemps qu’on t’attend.
— Ouais, trois nuits, au moins !
Le plus grand cessa de me fusiller du regard pour lui adresser un sourire affectueux.
— Mais non. Une dizaine d’années, je dirais.
— Oh. Il haussa les épaules. De toute manière, quelle importance ? On ne l’attend plus.
J’ouvris la bouche pour me défendre, mais, étrangement, je ne trouvai rien à dire.
Silencieusement, je les regardais ranger leurs affaires. Le plus petit ouvrit son sac pour y glisser un pull, mais celui-ci était déjà plein à craquer de navets. Il eut l’air triste, mais après quelques minutes de délibération, déposa le pull par terre et referma le sac, ajustant les bretelles sur ses épaules. Quand ils eurent terminé leurs préparatifs, ils échangèrent un regard que je sus interpréter.
— Alors, on y va ?
Sans m’adresser un mot de plus, ils quittèrent la pièce, claquant derrière eux une porte qui avait dû réapparaître au cours de notre conversation. Interloqué, je m’assis sur l’estrade, à côté du pull abandonné, et fixai les murs jaunes en songeant à ce qui venait de m’arriver. Derrière moi, l’arbre de papier-mâché bourgeonnait.
Auteur : Épervier sous le pseudo « Épervier »