Loan
J’ai dû m’assoupir sans m’en rendre compte. C’est un léger frottement qui me tire de mes songes. Le lieu est différent de dans mes souvenirs, il y a seulement une poignée de secondes pour moi, beaucoup plus sans aucun doute. La lumière qui passe les baies vitrées poussiéreuses jette aléatoirement des tâches de lumière et d’ombre sur les murs et les meubles. C’est un mélange de salon et de débarras, avec des objets à l’origine indéterminée et intemporels. L’image est à la fois sauvage et magnifique. Et effrayante aussi un peu.
Quelqu’un vient d’entrer. Enfin, je crois. Parfois je l’entends, parfois non. C’est si léger, si lointain… Je n’avais pas vu que la pièce était aussi grande. J’hésite à sortir de mon recoin, à me lever pour voir. Avant que je ne me décide, le son change. Il n’y a plus que des pas. Une mélodie s’est rajoutée. Simple ritournelle de quelques notes chantonnées par une bouche enfantine, elle prend de plus en plus d’espace. Elle remue quelque chose en moi qui monte et descend, enfle et bat en rythme. J’ai peur, mais au lieu d’être désagréable, cette sensation m’emporte.
Soudain, elle est là. Juste devant moi. Elle ne m’a pas vu. Je suis enfoncé dans mon recoin, ses paupières sont fermées. De toutes manières, je pense qu’elle se moque de ma présence. Non, tout ce qui compte pour elle, c’est sa danse. Petite, menue, les cheveux roses qui volent autour d’elle, elle est une bulle de couleurs et de vie dans cet endroit mort et morne. Ses pieds glissent sur le parquet sans même déplacer la poussière. Ses bras dessinent des arabesques qui accompagnent ses pas. C’est…
Magnifique.
Le mot est si faible, mais aucun ne saurait être à la hauteur. Sur son passage, l’espace de quelques battements de cœur, elle réveille ce lieu oublié, où la vie s’est arrêtée.
Et puis elle est passée. Je ne la vois plus. Bientôt, je ne l’entends plus. Seulement alors, je reprends ma respiration que j’avais suspendue sans m’en rendre compte. Dans ma poitrine, mon cœur se calme peu à peu de la ballade en montagnes russes dans laquelle elle l’a emmené. Je bats des paupières. Tout me semble plus lumineux. Réanimé. A moins que… La lumière n’est plus la même. Le soleil doit être au plus haut dehors. Comment est-ce possible ?
Ai-je… rêvé ?
Non…
Je… L’idée d’avoir imaginé cette vision me dérange. Je veux tellement fort que ce soit réel. C’est forcément réel, je suis en train de fredonner les trois notes que j’ai retenues. Je me relève et reprends ma route, à la poursuite, à la recherche de cette enfant et de sa mélodie.