Je tourne en rond. Je bois, je broie du noir, je ne dors plus. J’effrite mes racines comme rongées par l’amertume. Je n’ai plus d’horizon !
À toi, ma sœur, je t’appelle encore ! Ouvre-toi ma porte, ma rédemption, mon bout du tunnel ! Tu es ma fenêtre, mon espérance. Je t’appelle encore. M’as-tu déjà oublié ? Toi qui disais, laissant tomber tes mots comme les cendres de ta cigarette, toi qui murmurais « Jamais ». J’ai pris ce nom, pour toi !
Et tu n’es plus là.
Regarde autour de moi, vois ce gouffre, ce néant invisible ! Vois ces pleurs qui ruissellent sur les murs. Noirs, noirs comme ce qui ne vit plus. Noirs comme ce qui a été. Noirs comme une mélodie douce, et lancinante, une plaie jamais cicatrisée. As-tu le souvenir de ta nonchalance qui transpire partout ? Es-tu encore ce bel oiseau qui se pavane ? Regarde ma cage, et libère-moi ! Ici aussi, tout crie ton nom.
Les murs noirs, je m’y noie comme dans tes nuages de fumée, le plafond bas me toise comme toi de ton air effrontée. Tout est toi et me nuit, et m’afflige et me blesse.
Ô plaie béante ! Ô souvenir incertain !
Il y en toi des chants d’ailleurs, des hurlements sauvages, il y a en toi la transe et l’extase primitives.
Ma prison. Ma cage. Mon souvenir flambant…
Je ne regrette pas les bruits et les vacarmes, je ne regrette pas les grandes robes à froufrous qui soudain remplissaient tout l’espace, me laissant agonisant, écrasé par les foules. Je ne regrette pas les mains qui me saisissaient sans cesse, je ne regrette pas les chants, les feux, les grands repas, je ne regrette pas ma gorge brûlée par les piments, mes yeux assaillis d’encens, je ne regrette que tes silences.
Mes souvenirs ne se taisent pas, et mes morts me visitent, comme ceux que j’ai aimés. Toi seule, à ton habitude, me boude et m’évite. Laissez-moi en paix, spectres ! Laissez-moi donc ! Ma sœur vient, laissez-lui la place. Mais la sœur ne vient pas, et eux sont toujours là, assoiffés de mon sang. J’ai quitté mes amours maternelles pour une mélancolie qui me ronge, j’ai laissé la lune tendre baignée de sang, j’ai découvert la terre noire qui crie le nom de ses amants.
Cette terre noire qui, à mes pieds, m’apaise et me donne sa force, cette terre humide de sanglots, cette terre où je m’écroule, où je me roule. Cette terre où je deviens vorace, cette terre qui m’enivre de ses danses immortelles ! Je suis instinct sauvage qui rumine sa peine, et mon cocon d’argile me laisse ouvrir mes ailes !
Noire de rêves évanouis, noire pour se gorger de pluie. Terre noire où des frères sont morts, où l’ennemi d’hier a engendré des fils, ennemis de nos fils ! Terre noire des vengeances ! Terre noire, cacophonie, terre noire, harmonie !
Terre noire qui gronde comme un tonnerre, noire de nuit, nuit solitaire. La nuit est un cadeau trop doux qui me tue et libère, et je tombe.
Je ne vois plus rien quand mes paupières sont closes. Je ne vois plus leurs regards, je ne vois plus leurs présences, je ne vois plus les Étoiles. J’oublie que je te suis.
Quand je ferme mes yeux, il me reste cette odeur de terre en putréfaction, il me reste les murs rêches et revêches qui me haïssent, il me reste ces chants. Mais quand je ferme les yeux, je peux encore croire que tu es là, que sous mes pieds résonnent les terres de nos enfances et celles de nos ancêtres.
J’ai le droit moi aussi au repos éternel.
Autrice : Shvimwa sous le pseudo « shvimwa »