La terreur se diffuse dans tout mon être, glacée.
Je suis immobilisée sur un sol froid et dur. L’esprit embrumé. Je ne peux pas bouger. Je ne sais plus… Je regardais la danse, et puis, et puis…
-Tu bouges, tu es morte.
Je m’écrase sans douceur dans la réalité. Mes yeux s’écarquillent et je me fais violence pour ne pas tourner la tête et voir ce qui me menace. J’essaie de deviner… en vain. Mon cerveau tourne dans le vide.
-Ça va ? T’as pas l’air bien.
La même voix, pas menaçante…
-Tu peux parler, mais seulement si tu chuchotes à peine. Il ne faut pas qu’ils te voient bouger.
Chuchoter, chuchoter, je pense difficilement. C’est ça, il chuchote. C’est une voix masculine… Peut-être une voix qui peut m’aider…
Il faut que je réponde, je pense soudain. Répondre… Donc parler. Mais chuchoter.
Dire… Dire quoi ?
-Je…, j’articule difficilement, que, que s’est-il, passé…
-Chut !, me coupe la voix.
Je ferme les yeux. Pourquoi suis-je si… Si faible ?
-Tu es une aventurière depuis longtemps ?
Je secoue très doucement la tête.
-Alors tu n’as peut-être pas conscience des dangers du château… Ce n’est pas un terrain de jeux, c’est un lieu de mort.
Le silence se fait. Je rouvre les yeux ; ma vision est un peu plus claire. La pièce est un cube de métal parsemée de grosses pierres, tout uniformément blanc. J’ai la migraine. Je vois que les chamans se sont réunis, assis en cercle. Ils parlent les yeux vides, une langue pleine de grincement et de chuintements. Autant de sons que je pensais impossibles à produire.
-Tu as été piégée par leur feu, comme des dizaines d’autres avant toi. Ce sont des sorciers pleins de secrets. Ils attrapent de jeunes aventuriers trop naïfs ou trop faibles, et ils les revendent. La plupart du temps.
-La plupart… Du temps ?
-Parfois, ils les mangent.
Alors, mon destin est en train de se jouer. Je peux mourir dans un instant… Il ne faut pas que je bouge…
Mon destin est en train de se jouer, maintenant… Mon destin est en train de se jouer…
Je tombe dans un lourd sommeil.
Je me réveille dans la même pièce. J’ai mal à la tête et aux jambes ; pour cause, je me fais actuellement traîner sur le sol. Ça brûle. Donc je suis vivante. Et je me fais traîner. Bon signe ?
Tentant de bouger le moins possible, je me redresse. J’aperçois une silhouette derrière moi ; je plisse les yeux ; un pouce se lève. J’autorise mes lèvres à sourire.
Je me sens brusquement jetée dans un coin, contre une pierre. Je sens une certaine agitation autour de mes mollets et mes avant-bras et ils se retrouvent plaqués au sol dans une corde. Puis les pas et les voix étranges s’éloignent, résonnant dans la pièce telle une malédiction… de plus en plus loin.
Combien de temps vais-je rester ici ? J’ai déjà terriblement soif et faim. Je n’ai rien mangé ni bu depuis vingt-quatre heures, au moins.
Cette prise de conscience me transperce. Je suis entrée dans le château mystique depuis seulement une journée ! Et je risque déjà ma vie !
Malgré moi, un sourire étire mes lèvres. J’ai désobéi, j’ai défié, je suis venue. Et depuis une journée, j’ai frôlé la mort, mais je vis à un rythme fou. Les jours terrestres semblent avoir disparu. J’ai fait ce que je voulais, j’ai moi-même choisi mon destin et mes rêves. L’adrénaline fuse brusquement dans mon sang, combat le reste de mon alourdissement et je suis enfin là, entière et réveillée, prête à me battre.
Mes membres se contorsionnent dans leur lien, mais ceux-ci sont trop solides. Sans me décourager, animée d’une énergie libératrice, je me penche vers mon bras droit et mord la corde, sauvagement. Je suis obligée de m’y reprendre à plusieurs fois, mais elle craque et mon bras droit se retrouve enfin libre de ses mouvements. Je le fais bouger délicatement pour en réveiller les muscles trop longtemps inutilisés. Aussitôt, ma victoire me galvanisant plus encore, je m’active à détacher mon autre bras. Je réussis au bout de quelques minutes d’efforts acharnés.
Malgré la fraîcheur ambiante, mon front est trempé de sueur et la fatigue menace de m’emprisonner de nouveau. Mais ma volonté se tend contre cet ennemi qui me tire vers le bas. Je dois me libérer – je dois me libérer – je dois me libérer – je dois vivre.
Je m’emploie alors à libérer mes jambes mais je me heurte ici à un autre problème. Je n’ai pas d’armes, ils m’ont dépouillé de tout, et je ne suis pas assez souple pour déchirer la corde de mes dents, comme je l’ai fait pour mes bras. De plus, celle-ci est plus épaisse, plus tendue, et elle passe deux fois sur chaque jambe pour les fixer au sol.
Je reste une seconde interdite, puis me tortille sur le côté pour tenter d’attraper une pierre assez coupante. Je ne peux pas les casser moi-même (pourtant ce serait beaucoup plus efficace), alors je dois me résoudre à en trouver une, malgré ma mobilité réduite.
Soudain, j’entends des pas qui sonnent contre la pierre et se rapprochent. Je me positionne aussitôt comme je l’étais auparavant, tentant d’imiter les liens qui m’entravaient les membres antérieurs. La silhouette arrive et s’immobilise devant moi. Je n’ose pas ouvrir les yeux. Enfin, elle fait demi-tour et je me décide à entrouvrir les paupières. C’est effectivement un chaman, vêtu de peaux poilues, à moins qu’il ne soit poilu lui-même. Sans doute les deux.
Il s’éloigne, et je le fixe avec un certain soulagement quand quelque chose attire mon attention. Un éclat… un reflet de pierre.
Elle doit être à trois mètres de moi. Elle scintille en effet à la lumière tamisée du feu bleuté, et je la distingue de mieux en mieux en la fixant. C’est en effet aiguisé, mais je me suis trompée, ce n’est pas une pierre, c’est un couteau.
Un chaman venant de dépouiller un aventurier a du le faire tomber par mégarde, mais Dieux que ce simple couteau peut m’aider. Il peut me sauver, et il peut même… sauver la vie de toutes les autres personnes enfermées ici ! Seul bémol : je devrais complètement bouger pour l’atteindre, et il n’est pas bien loin du cercle des chamans, il y a un grand risque que je me fasse prendre.
Je demeure quelques minutes allongée, en plein dilemme, sans parvenir à prendre une décision. Dois-je rester à ma place et tenter de trouver un autre moyen, quitte à ne pas en découvrir et à ne pas pouvoir m’échapper, ou dois-je tenter le tout pour le tout ? J’ai plus de chances de m’échapper rapidement, mais si je rate, je risque la mort. La mort… Je ne réalise pas très bien que c’est ma vie qui se joue, et pourtant, si je prends la mauvaise décision je ne pourrais revenir en arrière.
Mes entrailles se tordent d’angoisse. Que faire, mais que faire ? Je devrais prendre mon courage et ma vie en mains, je devrais aller de l’avant pour vivre à cent pour cent. C’est pour cela que je suis entrée après tout. Mais… Je ne peux m’y résoudre, je ne sais pas si le jeu en vaut la chandelle. Le risque… Est trop élevé. Je ne veux pas mourir bêtement à essayer d’attraper un couteau, alors que j’aurais pu trouver un autre moyen plus long mais moins dangereux.
C’est ce que je me résous à faire. Oui, je préfère passer un mois dans cette pièce que mourir maintenant. C’est trop risqué, mon sang s’est glacé, je ne peux pas aller vers ce fichu couteau, je ne peux pas. J’ai peur de me tromper, mais il m’est impossible de tout risquer pour un résultat que je pourrais peut-être obtenir différemment.
Résignée, et stressée, je m’agite doucement pour dénicher une pierre plus coupante. Je finis par en trouver une dont le coin est dentelé et paraît tranchant, et je commence ma tâche. Elle n’est pas aisée, la corde est vraiment solide et je m’entaille deux fois le mollet sans le faire exprès, handicapée par ma position et la proximité de mes geôliers.
Au bout de deux heures environs, le premier tour du lien de mon mollet gauche cède enfin. J’ai fait environ un quart du travail qui aboutira à ma libération, et je suis exténuée. Soudain, un bruit attire mon attention vers le fond de la grotte : on entend des cris, humains et dans la langue étrange de nos ravisseurs, des bruits métalliques et de pierres qui ricochent sur les murs de la grotte. Le coin agité est dissimulé par un rocher, je ne vois pas, mais je pressens que c’est primordial. Je me penche en avant et plisse les yeux… Il n’y a plus qu’un chaman dans le cercle. Tout les autres se sont précipités vers la bagarre qui doit se jouer. Un sourire se peint enfin sur mon visage : je ne sais pas ce qu’il se passe, mais j’ai l’espoir qu’un des prisonniers se soit révolté. C’est ma chance d’avoir ce couteau qui me nargue depuis deux heures ! Sans hésiter, je me jette en avant, rampe autant que je peux vers lui et le saisis du bout des doigts. Rapidement, victorieuse, je me redresse et entreprend de couper les cordes qui me maintiennent encore sans attendre. La lame -ô miracle !- aiguisée de l’arme mord les cordages sauvagement et je parviens à me libérer en quelques minutes. Là, de nouveau galvanisée par la victoire, je prends à peine le temps de masser mes mollets endoloris que je me redresse.
Je suis libre ! Il ne me reste plus qu’à sortir de cette pièce !
Je n’ai pas le temps de me réjouir de ma victoire que je vois surgir du rocher un groupe d’aventurier, poursuivis par une horde de chamans. Je me plaque contre la paroi et ils passent devant moi sans me voir, avant de s’enfoncer dans une trappe dissimulée dans le sol. Le silence se fait.
Là, une hésitation me prend brusquement. Le bruit du combat a disparu. Je… Je devrais peut-être aller aider les autres prisonniers. Après tout, c’est grâce à leur révolte que j’ai pu me libérer. Et puis… je ne saurais jamais s’ils sont morts, oui, si des aventuriers sont morts… parce que j’ai été lâche…
Ma gorge se noue de nouveau.
Mais cette fois, j’hésite très peu. Je suis entrée ici pour découvrir et combattre, je serais ignoble d’abandonner des gens comme moi. Je me dois d’y aller, et je suis restée trop longtemps attachée et impotente, il faut que je réveille mon corps, il faut que je me batte. Je m’étire rapidement et m’élance vers la trappe, vers la pièce suivante, vers la bataille.
Autrice : Etincelle de Feu sous le pseudo « Etincelle de Feu »