La pièce est triste. Tout est d’une modernité que certains jugeraient exquise, il est vrai. Le bureau de verre ouvragé supporte une pile de dossiers rangés proprement, des étagères fixées au mur de couleurs métallisées retiennent quelques livres anciens, probablement de collection, et la chaise noire recouverte de cuir est sagement à sa place, derrière le bureau. Mis à part ces couleurs grises, neutres, et ce métal, la pièce est nue. La pièce manque de vie. Oui, la pièce est triste.
Je m’avance un peu, un cadre photo et une tasse de café fumante retiennent mon attention. Quelqu’un a déposé le breuvage avec une délicatesse extrême, puisque je constate quelques gouttes renversées sur le meuble. Ça jure avec le rangement, l’organisation et la propreté de la pièce. En revanche, le cadre contenant encore la photo du magasin, une famille aux sourires vides et aux regards creux colle parfaitement avec cette pièce. Ce manque de vie, est ironique. Mais ça n’en reste pas moins triste. Cette pièce est fade.
-Aifé ! Mon cœur, enfin de retour ? Alors, cette mission !
Je me retourne brusquement. Adossé au mur, cet idiot d’ange me sourit, ravi. J’aurais aimé pouvoir sourire de la même manière, mais j’en suis incapable. Yelahiah n’est plus auprès de moi. J’ai perdu. Et je vais en subir les conséquences. Eiael s’approche de moi, et s’assoit sur le bureau tranquillement. Il pousse quelques dossiers, et plusieurs feuilles tombent par terre.
-Ne fais pas attention au désordre, je rangerais bientôt.
Je le regarde sans comprendre. Le désordre ? Il appelle cette pièce vide et neutre, un désordre ?
-Cette pièce était impeccablement rangée avant que vous n’arriviez.
Il regarde autour de lui, surpris, avant de se frapper le front. Quel stupide énergumène.
-Oh ! Suis-je bête ! Nous ne sommes pas dans mon bureau. On me l’a prêté, des soldats sont en train d’intervenir dans le mien.
-Des soldats ont été dépêchés pour intervenir dans votre bureau ?
-Quelqu’un s’est malencontreusement perdu quand il m’apportait des photocopies. On ne l’a plus revu depuis trois jours. Mais, je ne suis pas inquiet ! Je crois qu’il me restait des biscuits au chocolat dans un de mes placards, je suis sûr qu’il les a trouvés !
Cet ange est complètement dingue.
-Rappelez-moi de ne jamais mettre les pieds dans votre bureau.
-Tu y seras bien obligée. Ce n’est qu’une question de temps, dès qu’il sera retrouvé, je pourrais réintégrer mon chez-moi. Cette pièce vide est désespérante.
Au moins, nous sommes d’accord sur un point, c’est certainement la seule chose que ce fou et moi avons en commun. Mais il boit une gorgée de son café, avant de m’interpeller de nouveau.
-Aifé, cette mission ?
-Un échec.
Ma mine sombre l’intrigue, et d’un sourire il m’encourage à faire mon rapport.
-Souvenez-vous, je devais capturer une Ange. C’est plutôt elle qui m’a capturée. Je suis tombée amoureuse de ma proie, elle est tellement… Enfin, vous l’auriez-vous, vous auriez compris… Elle est tellement merveilleuse…
-Yelahiah a de nombreux atouts, il est vrai.
Je relève brusquement la tête. Ce con a un sourire ravi sur la face. Qu’est-ce que… ?
-Le Château et moi ne nous entendons pas très bien, mais je dois avouer que nous avons tous deux remarqué que tu n’allais pas très bien. Et nous nous sommes dits que rencontrer cette belle ange te ferait du bien… Yela’ est une amie proche, et je savais bien qu’elle ne te ferait aucun mal. Et puis vous vous complétez sur de nombreux points, je me disais qu’un instant de bonheur ne te ferait pas de mal. Elle m’a envoyé un message il y a quelques instants, et m’a avoué que tu ne la laissais vraiment pas indifférente.
-Vous vous êtes joués de moi.
-Tu étais heureuse, pas vrai ?
J’enrage.
-C’est certain.
-Tu aimerais la revoir ?
J’aimerais passer chaque jour de ma vie auprès d’elle.
-Oui.
-Je n’étais pas vraiment d’accord avec le Château, mais c’est le maître, et il a déclaré que vous pourriez vous voir tous les vendredis.
C’est bien plus que ce que j’aurais pu espérer dans la mesure où Yelahiah ne fait pas partie de l’Ordre du Château et que côtoyer des aventuriers est très mal vu.
-Merci.
-Allez file. Il t’attend. Et ne te fais pas de mauvais sang, tu n’as pas échoué, au contraire, Il était très content que tu ailles mieux. Il préfère que Ses intervenants soient au top de leur forme, si tu vois ce que je veux dire…
Je vois très bien. Nous sommes ses jouets, et un objet en mauvais état est inutile. Et le pire, c’est que je n’arrive même pas à lui en vouloir de jouer ainsi. Je salue Eiael qui met d’avantage de désordre dans la pièce, probablement pour se sentir chez lui. Le cadre finit au sol, brisé. La pièce est fade. Et cet ange est complètement fou.
Autrice : Jécrivaine, sous le pseudo « Jécrivaine »