[Estyria]
Cette pièce-ci me frappa tout d’abord par son odeur : elle était assez désagréable, humide. Il faisait aussi très chaud malgré toute cette eau présente dans l’atmosphère. Je détaillai le paysage, si on pouvait l’appeler ainsi ; le spectacle n’était pas réellement beau à voir. Les murs étaient recouverts de longues traînées brillantes et collantes qui ressemblaient plus à de a bave séchée qu’à autre chose. Le sol, lui, n’en était pas vraiment un : il était constitué de bosses plus ou moins hautes parcourues de traits noirs répartis comme au hasard, d’épaisseurs diverses. Elles étaient brunes ou jaunes.
Je fus prise d’une soudaine envie de quitter cet endroit. Il faisait trop chaud, il n’y avait personne la pièce était trop petite et trop remplie par ces bosses bizarres, je me sentais mal… Je résolus de marcher sur les bosses le plus vite possible pour atteindre le rideau que je voyais pendre, en guise de porte, à l’autre bout de la pièce. La seule chose qui me retenait était ma crainte de ce qui arriverait quand je poserais mon pied sur ce sol étrange. Il faudrait que je saute, rebondissant avec légèreté, pour faire peser le moins possible mon poids sur ces coques qui paraissaient fragiles…
Mitigée entre mon désir de fuite et ma peur de ce qui arriverait, je restai quelques secondes à hésiter sur la conduite à suivre ; mais je me rendais bientôt compte que plus le temps passait, plus l’odeur devenait forte et plus la situation était inconfortable.
Prenant mon courage à deux mains, je pris mon élan et sautai sur la première bosse ; la sentant remuer, je pris peur et bondis sur la suivante qui bougea elle aussi. Malheureusement, une bosse en entraînant une autre, elles se mirent toutes à pencher, tanguer, tourner, se déplacer… J’avançais tant bien que mal, l’angoisse me nouant le ventre : le sport n’avait jamais été mon point fort. À l’instant même où cette pensée se forma dans mon esprit, la bosse sur laquelle mon pied allait se poser se décala subitement vers la droite. Je glissai avec un petit cri et tombai sur un sol dur, entre deux bosses.
Le spectacle que j’aperçus alors me sidéra.
Ceux que j’avais pris auparavant pour de vulgaires bosses n’étaient autres que des escargots géants. Un à un, ils sortaient de leur coquille, semblaient s’étirer et entamaient aimablement la conversation avec leurs voisins, tout en se baladant allègrement un peu partout sur les murs, le sol, et le plafond. Voilà d’où venaient toutes ces traces brillantes… Le plus étrange était qu’ils étaient habillés par-dessus leur corps visqueux. Certains portaient des robes à froufrous, des bas de soie, des chapeaux ornés de rubans ou de plumes, d’autres étaient coiffés de perruques bouclées, de longs manteaux et de chemises aux boutons dorés.
Chacun commença à mener son train de vie habituel sans un instant faire attention à mon intrusion dans leur monde. Je tentai désespérément de calmer ma respiration ; ils ne m’avaient pas remarqué, c’était ma seule chance ! Toujours accroupie, je reculai lentement, misant sur ma discrétion. Mon dos heurta brusquement une coquille énorme. Je me retournai d’un bond, horrifiée ; et je ne fus pas la seule ! En effet tout le peuple des escargots s’arrêta de bouger d’un coup et nous fixèrent, moi et l gros escargots, avec une sorte de crainte mêlé à un respect un peu bête. Je vis la coquille remuer, l’escargot se secoua, grogna, et… sortit lentement de sa coquille. Il était vraiment énorme, même comparé aux autres. Au moins deux fois plus massif que le plus gros d’entre eux.
Aussitôt tous les autres s’exclamèrent, effarés et stupéfaits :
« Elle a réveillé le Roi ! »
Et ils commencèrent immédiatement à chuchoter entre eux. Je saisis quelques bribes de paroles :
« Elle a réveillé le Roi ! » « Oh ! Sacrilège ! Une criminelle ! » « Elle a manqué de respect, je n’avais jamais vu ça ! » « Vous avez remarqué ? Quelle sans-gêne ! »
Mais je ne prêtais pas grande attention à ce brouhaha. Tout mes sens étaient concentrés sur celui qu’ils appelaient leur Roi, cet énorme mollusque ridé qui grognait. Avec un râle de vieillesse, il me regarda et articula péniblement :
« Tu as osé… ME… réveiller ?
-Oh !, répondit en chœur son peuple scandalisé.
-Et… Tu ne m’as… même pas… salué ?
-Hoooooo !, firent les autres escargots, indignés.
-Euh, c’est à dire que, euhm…, tentai-je de me justifier.
-Tatata !, m’arrêta l’escargot très royalement. Tout d’abord, dit-moi bonjour.
-Oh oui oui oui, mon roi, vous avez raison !, approuvèrent les autres dans un ensemble parfait.
-B… Bonjour, déclarai-je prudemment.
-Tu ne me fais pas la bise ?!, s’insurgea mon étrange interlocuteur, ce qui eut pour effet de redoubler les murmures outrés de son peuple :
-Elle ne luit a pas fait la bise !
-Quoi ? (L’exclamation de surprise mêlée au dégoût m’avait échappée.) Vous faire la bise ?
-Tu n’en as pas envie ?, gronda le Roi furieux.
-Elle n’en a pas envie ! Hoooo quelle horreur !
-Si si, ne vous inquiétez pas !, criai-je pour couvrir le tumulte, je… je vais le faire !
-Oooh mon Dieu elle va le faire ! »
Ces escargots à l’esprit un peu restreint commençaient à sérieusement m’agacer.
« Viens ici », me commanda le chef des mollusques.
Je m’exécutai avec une certaine appréhension ; pourtant le gros Roi avait l’air relativement heureux de me témoigner son affection -pour autant que je pouvais en juger, et je n’étais pas certaine que cela me rassura vraiment.
J’avançai donc. L’escargot alors tendit ses petites antennes vers moi et m’entoura avec, avant de me placer un énorme bisou gluant sur le crâne. Résistant à l’envie pressante de m’essuyer, de me dégager et de partir en courant qui me tenaillait, je lui rendis timidement la pareille. Avec un grognement de joie, il me libéra de son étreinte. J’essuyai discrètement la bave et fis un sourire à l’assemblée. Ils étaient un peu bêtes, mais pas antipathiques, finalement.
« Alors, qui veut encore l’attaquer ?, rugit le Roi.
-Moi ! Moi ! Moi !, hurlèrent les escargots surexcités.
-Pas moi ! Elle est mon amie !
-Oh, oui ! Nous aussi ! Nous aussi ! », s’enthousiasmèrent le reste des mollusques.
Je soupirai. Ils ne changeraient jamais… Et c’était peut-être tant mieux, finalement.
Mais il était temps de partir. Je le leurs dit et reçu, étrangement, l’approbation générale.
Un peu mélancolique de les quitter, je fus tentée de prolonger mon séjour. Mais après tout, me raisonnai-je, je n’étais pas venu explorer ce Château pour passer ma vie avec des escargots géants, si aimables soient-ils !
Résolument, j’avançai, passai le voile et partis, à la recherche de nouvelles aventures.
Autrice : Etincelle de Feu sous le pseudo « Etincelle de Feu »