Tout au bout du bord de l’extrême, derrière les dernières montagnes du Monde, s’élève le Château des 100 000 pièces Les murailles, et les tours et les étages de ce palais s’élèvent, à ce qu’il vous paraît, bien au-delà des nuages, au-dessus des cimes.
LA PIÈCE DES SOUVENIRS
LA PIÈCE DES SOUVENIRS

LA PIÈCE DES SOUVENIRS

Depuis mon arrivée ici, j’avais appris à me méfier des choses les plus banales. Le château semblait clairement hostile à ma présence et cherchait par tous les moyens à m’éliminer. Je ne pouvais pas vraiment lui en vouloir puisque, de mon côté, mon objectif était le même. Du moins l’un de mes objectifs. Toutefois, j’avais du mal à déterminer comme je pourrais avoir des ennuis dans cette pièce-ci. Elle semblait, au contraire, avoir été créée pour me permettre de me détendre.
Assez petite de par sa taille, elle contenait un fauteuil unique en son centre. Un fauteuil à l’aspect confortable et moelleux qui donnait envie de s’allonger dessus pour ne plus jamais se relever. Peut-être était-ce cela le piège ? Je l’étudiais plus en détails et découvrit qu’un sachet de pop-corn remplit à ras bord avait été posé sur le cuir rouge du fauteuil. Et, comme si le château avait prévu mes attentes, ces derniers étaient entièrement caramélisés. Cet aspect brun ne me laissait pas indifférent et je ne pus résister à la tentation d’en fourrer une poignée dans ma bouche. Avant de fermer les yeux de plaisir. Depuis combien de temps n’avais-je plus savourer quelque chose d’aussi bon ? Plusieurs heures, une éternité, si mes souvenirs étaient bons.
Face à moi, se dressait également un écran comme je n’en avait jamais vu. Légèrement incurvé, il s’étalait sur toute la longueur de la pièce. De couleur blanche pour l’instant, il semblait attendre avec impatience le moment où il pourrait prouver son utilité. Et, qui disait écran disait aussi rétroprojecteur. En me retournant, je vis que je ne m’étais pas trompé et poussais un sifflement d’admiration devant l’engin. Je ne prétendais pas être expert dans ce domaine, quoi que, mais je savais reconnaître un objet de qualité lorsque j’en voyais un.
Excité comme un petit garçon, je pris place sur le siège en étalant longuement mes jambes et en dégustant une petite quantité de pop-corn. Et soudain, comme s’il n’attendait que ma présence pour commencer, j’entendis un léger vrombissement dans mon dos tandis que les lumières s’éteignaient. Alors que la salle était plongée dans l’obscurité et qu’une mélodie reconnaissable entre mille se faisait entendre au travers de hauts parleurs invisible, je me posais la question de savoir quel genre de film on avait décidé de me diffuser. En étant parfaitement objectif, j’avais cru entendre que « La légende de Babès le Grand » et « Yubi al-Deus, un dieu parmi nous » faisait actuellement un carton au box-office.
Seulement, lorsqu’une image floue se présenta face à moi, je sus que je n’allais pas aimer ce que l’écran s’apprêtait à me montrer. Et je ne me trompais pas. La scène s’ouvrit sur un vaste salon où une version plus jeune, mais pas moins élégante de moi-même, dégustais une tasse de Pérol chaud, confortablement installé dans une chaise à bascule. Ce liquide, extrêmement rare et que l’on ne pouvait savourer que quelques jours par an, avait toujours été l’un de me péchés mignons. A mes côtés, se trouvait une créature somptueuse comme je n’en avais plus jamais rencontré. Les yeux plissés, un doigt négligemment posé sur sa bouche, je la regardais feuilleter un livre complexe en m’émerveillant de sa beauté. Son front barré par la concentration. Son nez qui se trémoussait au rythme de ses expressions. Ses longs cheveux dorés qui retombaient en cascade sur ses épaules dénudées. Sa poitrine qui se soulevait en harmonie avec sa respiration. Ses iris, d’un vert étincelant dans lequel je m’étais perdu de nombreuses fois. La petite cicatrice près de sa lèvre inférieure qui ne faisait qu’embellir le reste de son visage.
Je n’ai pas honte de l’avouer. Je ne l’ai jamais eu. J’étais amoureux de cette femme. J’étais amoureux de Elemana. Sentir sa présence à mes côtés avait toujours eu pour effet de canaliser mes pulsions. Pour elle, j’aurais pu devenir un homme exemplaire. J’aurais pu changer. J’étais prêt à tout pour un jour, ressembler à l’homme que je voyais se refléter dans ses yeux. Je voulais la rendre fier. Qu’elle puisse dire la tête haute que l’homme qui avait su conquérir son cœur n’était autre qu’Altixor le brave. Si elle me l’avait demandé, j’aurais même accepter l’idée de fonder une famille.
Mais le destin en avait décidé autrement. Non, ce n’était pas tout à fait vrai. Il en avait décidé autrement et ma faiblesse avait fait le reste. Car tandis que je gravais cet instant béni dans ma mémoire, les deux soleils de ma planète se couchèrent en même temps. Au même instant, ma porte vola en éclat et un individu encapuchonné pénétra dans notre demeure.
Je m’étais relevé de mon fauteuil, les poings serrés. Je ne voulais pas voir la suite. Pas encore. De rage, de tristesse, de regret, je fonçais vers l’écran, Mecelsen levé dans les airs. Toutefois, comme aucune menace physique n’était présente, l’épée refusait de s’animer et d’éveiller sa conscience. Mais cela importait peu. Rassemblant toutes mes forces dans ce coup, j’abattis ma lame. Seulement, au lieu de briser l’écran comme je m’y étais attendu, cette dernière ricocha et je sentis le contrecoup me paralyser un instant le bras.
Et face à moi, le film continuait son cours. Elemana s’était levé de son siège et contemplait l’inconnu avec mépris tandis que je m’étais emparé d’une épée qui trainait dans un coin. La bataille avait alors commencé. Une bataille sanglante où tous les coups étaient permis entre deux adversaires de prestige. Parades, contre-attaque et esquives se succédaient à une vitesse folle tandis que nos lames étincelaient en s’entrechoquant. Je me revis lutter de toutes mes forces et esquisser des mouvements que je n’aurais jamais eu la stupidité de faire aujourd’hui. J’aurais tant aimé pouvoir dire à mon double ce qu’il devait faire en cet instant. Ici, relever sa garde. Là, parer puis enchaîner avec un coup vertical. Non trop tôt, ce n’était pas le bon moment pour une feinte.
Mais, en spectateur impuissant, mes paroles ne trouvèrent aucun écho. Je fermais alors les yeux, incapable d’en voir plus. Aussitôt, l’écran s’éteignit et, à travers mes paupières closes, je pus deviner que les lumières s’étaient rallumés. Interloqué par ce brusque arrêt, j’ouvris les yeux à nouveau. Et le film se relança comme par enchantement quelques secondes avant la scène où il s’était coupé.
J’eus un sourire sans joie devant l’ingéniosité du système. J’étais condamné à revivre ce jour si je voulais passer dans la salle suivante et j’étais trop affaibli émotionnellement pour réfléchir calmement à un moyen pour me sortir de cette situation. De toute façon qu’aurais-je pu faire ? Il n’y avait aucune sortie en vue et mon épée était inutile. Autant en finir tout de suite et observer calmement cette scène qui tournait en boucle dans mon esprit toutes les nuits. Alors, poussant un soupir résigné, j’acceptais le châtiment qui m’était infligé.
Je retournais à mon siège en tournant le dos à l’écran géant et ramassais le paquet de pop-corn que j’avais renversé en me levant. Assistant à la fin du film, je murmurais trois mots que je n’avais jamais adressé qu’à elle seule : « je suis désolé. »
Et ainsi, je revécus le jour le plus sombre de la personne que l’on nommait Yubi al-Deus, Az Eros l’immortel, Babès le Grand. J’avais réussi à survivre à cette épreuve, et il ne me resterait désormais plus que 999 992 pièces à affronter pour vaincre le château et devenir Altixor le conquérant.

Auteur : Altixor, sous le pseudo « Altixor »

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