Folly
La pièce est belle, c’est une prairie avec des moutons qui paissent tranquillement. Je ne sais pas si les moutons paissent,d’habitude, mais j’imagine que oui. Ça fait partie de la très très longue liste de choses que je n’ai pas apprises. Ces moutons sont gentils, innocents, paisibles, doux.
Je hais la gentillesse. C’est un défaut, une tare. Personne ne devrait être gentil dans un monde rempli de requins agités qui n’attendent qu’un seul faux pas de leur proie pour la dévorer vivante. C’est un appel au meurtre, une lettre d’invitation adressée à la Mort. Ces moutons me tendent la main en voulant me donner des miettes, mais le charognard que je suis va repartir avec un bout de bras.
Je hais l’innocence. C’est le synonyme de la niaiserie. Personne n’est innocent. Ou alors c’est un cadavre. Et encore, on devrait être mis à mort pour avoir refusé de vivre. Je raconte quoi, moi ? Tu dérailles vraiment, ma pauvre…
Je hais la paisibilité. On ne peux pas survivre tout en restant calme. Sauf les gens badasses dans les films, mais là je suis pas sûre, ça fait trop longtemps que je n’en ai pas vu, de films. Les gens calmes en toute circonstance sont des connards sûrs d’avoir quelqu’un pour sauver leur cul à chaque connerie qu’ils font. Les gens calmes sont les marionnettistes qui laissent l’agitation à la populace, au bas-peuple avec lequel ils jouent comme avec une poupée, avant de se lasser de ce jouet et de le jeter.
Je hais la douceur. C’est une torture psychologique visant à amoindrir les capacités mentales et l’endurance pour que le choc avec le monde réel soit plus dur. Parce que le monde réel n’est pas doux. C’est faux. Seuls certains recoins créés de toutes pièces laissent entrevoir un semblant de douceur, illusion éphémère que la mort, à ma plus grande joie, prend plaisir à briser.
Je hais ces moutons. Je hais cette pièce, je hais cet endroit, je hais tout ça. Je veux juste qu’on me foute la paix et qu’on arrête de faire semblant. Qu’on arrête de se bercer d’illusions, de se forger des rêves que personne ne pourra jamais réaliser. Ces personnes-là devraient mourir. Ces moutons méritent la mort.
L’herbe est poisseuse, rouge. La terre n’arrivera pas à tout absorber. Il ne reste que deux êtres dans cette pièce : moi, et ce mouton. Je pourrais le tuer, pour me sentir mieux, d’ailleurs, je devrais, pourtant, je n’en ai pas envie. Ce mouton est bien trop… différent. Bien trop sérieux. Je ne lis pas de peur dans ses yeux. Juste une détermination troublante. Un mouton est-il censé se comporter de la sorte ? Est-ce que ses yeux sont biens moutonneux ?
Sale petite humaine ignorante, toi qui sembles haïr la normalité, je te retourne la question. Un humain est-il censé se comporter de la sorte ? Tes yeux sont-ils bien humains ? La réponse est oui.
Ce… cet animal me parle ? La voix qui résonne dans ma tête reprend.
Regarde-toi, tu es faible, tu es avide de sang, tu es une imbécile qui se croit au dessus de tout courroux par la simple hauteur que lui confère la position bipède. Tous les humains sont comme cela. C’est leur nature. Ils espèrent, croient, inventent, rêvent, mais lorsqu’ils se rendent comptent que la réalité ne peut être altérée selon leur bon vouloir, la plupart sombrent dans la folie. Tes yeux sont fous, haineux et enfantins. Tes yeux sont ceux de l’enfant qui a compris les mensonges de la vie. Tes yeux sont grands et délavés à l’image de ton esprit qu’on a forcé à grandir prématurément. Tes yeux sont ceux d’un humain. Suis moi.
Il se détourne de la prairie et se dirige vers une des nombreuses portes. Je le suis, sans même savoir ce qu’il est réellement.
-Hey, l’interpellé-je. T’es qui, au juste ?
Je suis ta conscience.
Auteur : Sakura en sucre, sous le pseudo « Sakura en sucre »