Tout au bout du bord de l’extrême, derrière les dernières montagnes du Monde, s’élève le Château des 100 000 pièces Les murailles, et les tours et les étages de ce palais s’élèvent, à ce qu’il vous paraît, bien au-delà des nuages, au-dessus des cimes.
LA PIÈCE AU FEU ROSE
LA PIÈCE AU FEU ROSE

LA PIÈCE AU FEU ROSE

Aifé

J’apparais dans une pièce dans laquelle le vent passe sans pudeur, caressant ma peau glaciale de son souffle tiède. Il fait plutôt chaud, voir extrêmement chaud, à un tel point que ce vent tiède et humide est semblable à une onde glacée à la surface d’un étang d’eau pure.

Ma peau gelée se réchauffe de secondes en secondes, sans pour autant devenir brûlante. Probablement mon corps de reptile à apparence humaine à sang froid ?

Mes pieds foulent le sable chaud, et le néant autour de moi m’accable. Je suis seule, dans une pièce qui ressemble à s’y méprendre à un désert. Le sable est curieusement de couleur rouge rubis, et miroite à la lumière d’un soleil éblouissant. Je porte ma main à mon front, en visière, et tente de regarder l’horizon.

Mes yeux extrêmement sensibles ne se laissent pas manipuler par ces images irréelles d’oasis, ces mirages. Après plusieurs dizaines de minutes de marche et de recherches, durant lesquelles la chaleur ne m’incommode pas plus que ça malgré l’atmosphère pesante et torride, j’aperçois ce que je cherche.

Quelques arbres, une source d’eau, de l’herbe sèche et rase : une oasis.

Ma vue perçante m’a permise de la voir à grande distance, aussi, je commence à me mettre en marche, alors que le soleil caresse l’horizon, menaçant de plonger cette pièce aux dimensions impossibles dans un noir total, dangereux.

Après une demi-heure de marche, j’atteins enfin cette maigre étendue de terre, et tourne sur moi même. Le soleil touche maintenant le sable. Dans quelques minutes, il fera nuit. Quelques palmiers chargés de dates s’offrent à moi, tout comme une eau qui au premier abord semble trouble, mais se révèle finalement délicieuse.

J’entasse quelques morceaux de bois d’un geste brusque, et les enflamme. Intéressant…

Les flammes jaillissent soudainement, faisant naître des ombres rosâtres et mouvantes autour d’elles. Un feu rose. Un brasier couleur dragée.
Les flammes dansent, entraînant dans leur valse dérisoire une multitudes d’étincelles qui tourbillonnent avant de mourir en touchant le sol qui se refroidit quand à lui de plus en plus.

Le soleil disparaît derrière l’horizon, mourant.

Et la nuit enveloppe la pièce, la lune éclairant faiblement le sable qui ressemble maintenant à une mer de sang noir. Charmant. Je crois que je déteste vraiment ce château.

Je m’allonge sur l’herbe sèche, ramenant mes jambes sur ma poitrine, mes cheveux étendus derrière ma tête, en éventail. Je ferme les yeux, tentant d’apaiser ma respiration. De toute façon, je mourrai certainement un jour, alors si je baisse ma garde et que je me fais tuer, ça aura au moins réduit mes chances de continuer cette vie de merde jusqu’au bout.

Une vois d’homme retentit, avec douceur.

-Bonsoir…

-Au revoir.

Eiael ne semble pas offensé, et s’approche de moi. Sa main se pose sur mon épaule, et je ressens un vide, brusquement, là où sa main se pose.

-Tout va bien ?

-Non.

-Je m’en doutais. Tu as faim ?

-Non.

-Dommage. Tu veux dormir ?

-Non.

-Tu m’aimes ?

-Non.

Il éclate de son rire, léger, si particulier. Je ne réponds rien, pensive. L’Ange finit par se calmer, et murmure, sa tête dangereusement proche de la mienne.

-Tu sais… Un jour, quelqu’un te marquera cette épaule. Et ce sera un des jours les plus beaux de ta vie.

Je secoue la tête. Eiael semble connaître les mœurs de ma race. Chez moi, on disait que chaque être avait une âme sœur, quelque part dans le monde. Et chez moi, lorsqu’on aime quelqu’un, on le marque, on le mord, on enfonce ses crocs dans sa chair, à l’endroit le plus vulnérable, la parcelle de peau la plus sensible à toutes les caresses et baisers. C’est une sorte de bague de fiançailles, mais en un peu plus douloureux.

-Personne ne me marquera. Personne ne m’aimera.

J’ouvre les yeux. Eiael commence à déballer des sandwichs. Il m’en tend un, et je mords dedans, histoire de ne pas finir en crevant de faim dans un désert. L’Ange me regarde manger, avant d’articuler.

-Pas d’alcool, je suppose ?

Je secoue négativement la tête. Il semble en connaître long sur mon espèce, sur nos meurs, nos forces et nos faiblesses. Et là bas, au cœur de la confrérie, une règle est simple. La drogue, l’alcool, le poison nous rendent vulnérables, nous affaiblissent.
En moyenne, on estime qu’une bouteille de vin tuerait un mâle. Autant vous dire que respirer le même air qu’un fumeur ou un alcoolique me plonge dans un état de faiblesse qui pourrait m’empêcher de me battre, et donc accessoirement de survivre dans ce monde de larmes, de sang, de sanglots.

Eiael murmure, couvrant le crépitement des flammes roses.

-Je ne suis navré de t’envoyer de nouveau en mission aussi rapidement, mais nous aimerions que tu tues un loup.

-Un loup ? Je n’ai pas prêté serment pour tuer de vulgaires animaux.

Ma voix était cassante. Je suis une spadassine. Pas une simple chasseuse.

-Il s’agit d’un loup garou, dont la meute nous cause pas mal de problèmes, en ce moment. Il en est l’Alpha. Tu sais ce que c’est ?

Je réponds d’une voix monocorde, récitant une nouvelle fois encore les connaissances acquises et accumulées au cour des nombreuses années d’apprentissages que j’ai passées. Peut être que pour une fois, toutes ces choses apprises à la chaîne me serviront ? Je n’ai jamais traqué une seule des créatures étudiées auprès de Disolvit. Un loup… ? Intéressant…

-C’est le chef de la meute, celui qui décide, que tout le monde respecte, un loup dominant. Sa femelle s’appelle une Luna, et a le même grade que lui. Le titre d’Alpha est réservé aux mâles, et il est celui qui protège, qui surveille, qui ordonne. Il possède un puissant pouvoir d’intimidation, et une aura impressionnante qui lui permettent de soumettre les autres loups. Le chef de toutes les meutes, et de tous les Alphas s’appelle l’Alpha Suprême.

-Excellent. Cet Alpha est plutôt pénible. Il voyage de pièces en pièces avec ce qu’il lui reste de sa meute. On l’appelle la meute Silver-Blood. L’Alpha à traquer s’appelle Bastian Svahé. Sa femelle est morte, mais il a un fils, dont tu peux te servir afin de l’approcher. Il s’appelle Mahito, et a environ 17 ans.

Je hoche la tête, emmagasinant les données. L’homme continue de parler, ajoutant des détails à ma mission.

-Sa meute compte une quinzaine de personnes. Son fils est un de ses Bêtas, avec un homme appelé Liawel. Nous aimerions que tu tues le père, après avoir endormi sa confiance. Tu risques de revenir auprès de cette meute, et tu ne dois pas y être discréditée. A sa mort, son fils prendra sa place, et il est bien plus inexpérimenté. Il sera alors facile à manipuler, et aura l’impression de rejoindre l’Ordre de son plein grès. Tu comprends ?

-En gros, vous vous débarrassez d’un loup trop intelligent et envahissant, et vous placez son fils encore jeune à la tête de son clan, que vous pourrez alors manipuler à votre guise. Vous gagnerez alors environ 15 combattants exceptionnels, puisque ces loups savent faire preuve d’une endurance et d’une force incroyables.

Il s’exprime d’une voix impassible, me mettant toutefois en garde.

-Ne commets pas l’erreur de m’inclure dans ces « vous ». Je ne fais qu’obéir aux ordres, tout en tentant de ramener les brebis perdues dans le droit chemin, en leur donnant un esprit critique.

-Sauf votre respect, Sire, vous tentez beaucoup de choses qui ne fonctionnent pas vraiment.

Il sourit, puis murmure.

-La mission sera de longue durée. Tu devras endormir leur vigilance, puis tuer le père, après, nous nous arrangerons pour la suite, mais soit tu seras exfiltrée, soit tu resteras pour les convaincre de venir au sein de l’Ordre. C’est normalement le rôle d’un recruteur, mais tu auras alors toutes les cartes en main, et tout le monde sous ta coupe, ce qui nous fera gagner un temps précieux.

Je fixe les flammes, donnant l’illusion de me désintéresser de ces paroles, alors qu’il s’agit du contraire. Je tente de tout retenir, tout en fixant ce feu vacillant aux couleurs roses.

-Je vais te transporter jusqu’à la pièce où se trouve cette meute. A partir de là, tu auras jusqu’à deux semaines pour tuer l’Alpha Bastian. Je pourrais communiquer avec toi grâce à mon esprit, et peut être le Château fera t-il de même, s’il a envie d’entendre lui même l’avancée de la mission. Un conseil : Évite de leur dire que tu es reptilienne. Ils te tueraient aussitôt. Masque ton essence.

Je souris, puis murmure.
-Auriez vous de l’eau, Ô ange gardien ?

Il me tend un verre de cristal apparu par magie, que je saupoudre de poudre de zinc. Note : Les reptiliens peuvent masquer leur odeur grâce au métal pur.

J’avale le tout, et soupire de soulagement, lorsque peu à peu mon odeur de citron vert s’efface, pour disparaître totalement.
Eiael me sourit, puis me dit une dernière fois.

-Bonne chance, Aifé. Essaye de survivre, j’aime bien discuter avec toi.

-Moi pas.

Il éclate de rire. Et c’est sur ce rire léger que je disparais, avec brusquerie. Je ferme les yeux, tentant d’imprimer dans mon esprit le ciel noir, les étoiles scintillantes, le sable rouge, l’herbe rase, le feu rose.

Lorsque j’ouvrirai les yeux, je serais entourée d’une quinzaine de loups. Et là, ce sera à moi de me sortit seule de ce mauvais pas.

Autrice : Jécrivaine, sous le pseudo « Jécrivaine »

Partager...

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *