Éliane
Je sortis de la pièce, ébranlée par l’étrange scène qui s’était passée sous mes yeux. L’aventurière nous avait abandonné le petit bonhomme, disant qu’il s’appelait Charlie, avant de partir précipitemment.
Et nous nous étions retrouvés avec un compagnon de plus. Si Minouchka était là, nous aurions formé un drôle de groupe!
Mais elle n’était plus là.
J’avais un peu envie de pleurer, mais je me retins. Charlie allait avoir besoin de nous. Il sanglotait doucement, ses larmes coulant sur son visage blafard et tombant au sol avec un petit « ploc ».
Je m’agenouillais pour être à sa hauteur, puis me mit à lui parler d’une voix apaisante: « Tu sais, il ne faut pas pleurer. Elle t’a sûrement confié à nous le temps d’une ou deux pièces seulement, et elle revienndra te chercher. »
Bastien secouait la tête pour me faire signe d’arrêter. Il trouvait que mentir ne servirait à rien, mais je poursuivis sans faire attention à lui.
-Je sais qu’elle va te manquer, mais elle va revenir. Tu peux lui faire confiance. Elle ne t’abandonnerai pas comme ça…
Je me tus, une boule dans la gorge. Je n’osai pas aller plus loin. Mentir ainsi à un enfant… Je ne savais pas l’âge exact de Charlie, mais il avait le comportement d’un enfant de cinq ans, alors je le traitais comme tel. Je n’osai pas le tromper. Je croyais que lui voiler la vérité lui ferait du bien, mais ce n’était pas le cas. Je le savais. Aussi ne dis-je plus rien pendant un moment.
Il prit la parole finalement, brisant le silence qui s’était installé:
-Noone m’aurait dit si elle s’était vraiment absentée pour quelques pièces… Mais elle n’a rien dit, elle m’a juste regardée tristement. À ce moment-là, elle me disait au revoir…
Ainsi, l’autre exploratrice s’appelait Noone. Mieux valait l’apprendre tard que jamais, mais cette information ne me servait à rien maintenant qu’elle était partie.
-Je… suis désolée… bredouillai-je.
Il ne répondit rien.
Pendant un court instant qui me parut être une demie-éternité, il n’y eut rien d’autre que le bruit de ses larmes qui s’écrasaient sur le sol.
Puis, enfin, il parla:
-Où est le chat?
À bien y réfléchir, j’aurai préféré qu’il se taise.
Comme je ne savais pas quoi répondre, Bastien répondit à ma place:
-On ne sait pas. On l’a perdu de vue pendant la pièce 1000.
J’essuyai mes larmes du revers de la main et lui lançai un regard reconnaissant.
Subitement, Charlie rayonnait:
-Ah, vous l’avez juste perdue! On va la retrouver alors.
Je souris tristement, mais Bastien aquiesca.
-Tu as raison. On va la retrouver.
Le petit bonhomme fixa sa main, perdue dans ses pensées. Je me sentais mal à l’aise de lui avoir menti et m’éloignai d’eux.
Je parcourus la pièce, qui était en fait un long couloir vide, aux murs blancs, avec des portes à intervalles régulières. J’essayai d’en ouvrir quelques-unes, mais elles étaient bloquées.
Après la moitié du couloir, je découvris que des photos encadrées tapissaient le mur. Ils s’agissaient de portraits d’aventuriers, pris je ne sais quand, avec des inscriptions en dessous. Je m’approchai de l’une d’entre elles et lus: „Fanny Hauboi. Entrée le 423ème aoun après la construction du Château. Éliminée par un escargot géant venimeux dans la cinquante-troisième pièce du sixième étage 4 towas après son entrée.“
Je souris en reconnaissant les systèmes de mesure dont nous avait parlé Iotan, le jeune homme du train, avant de redevenir sérieuse en parcourant les autres inscriptions.
Toutes concernaient des aventuriers morts ou disparus. Pour certains, la mort était précisée de façon claire et nette, pour d’autre, ils semblaient s’être simplement évaporés dans les airs.
J’atteignis enfin l’extrémité du couloir. J’avais sauté la plupart des inscriptions, je n’aurai jamais eu le temps de les lire toutes.
J’écarquillais les yeux en voyant la dernière image. Il s’agissait de Noone, l’aventurière en rouge et brun. Elle ne regardait pas l’objectif, n’ayant sûrement pas remarqué qu’on la prenait en photo, et elle avait un aire triste sur le visage, comme si elle savait qu’elle allait disparaître. L’écritau disait:
„Noone. Entrée le 4385ème aoun après la construction du Château. Disparue après la pièce 1000, 503 towas après son entrée.“
J’appelai les autres en espérant qu’ils m’entendraient. Ils arrivèrent en courant peu après. Bastien m’interrogea du regard, puis se tourna vers l’image.
À nouveau, personne ne dit rien. Charlie n’avait même plus la force de pleurer. Il fixait juste la photo derrière le verre, les yeux écarquillés.
Je décidai de bouger la première en sortant le poignard que m’avait donné Iotan. Je réussis à sortir une des pierres précieuses incrustée dans le manche, puis soulevai légèrement le cadre pour coincer la pierre entre le papier et la vitre.
La photo glissa à terre. Je la ramassai, voulus la remettre puis me ravisai.
-Tu veux la garder? Demandai-je à Charlie, mais il secoua la tête.
-Elle doit rester là. Ce ne serait pas juste pour elle, sinon…
Je ne compris pas exactement de quoi il parlait, mais remis tout de même la photo à sa place, avec la pierre comme dernier hommage.
Nous sortîmes par une porte qui se situait juste en face, et qui avait bien voulut s’ouvrir. Comme d’habitude, je sortis en dernière.
Je jetai un ultime coup d’œil vers l’image de Noone. J’aurai juré qu’elle souriait, à présent.
Autrice : La Panthère Qui Ronronnait, sous le pseudo « La Panthère Qui Ronronnait »