Aifé
Paroles semées de l’Enfer, de Kyo.
-Aifé… Je peux te parler?
J’ouvre les yeux. Je suis allongée dans la poussière. Un feu de camp éclaire faiblement le visage de Lià. Les flammes dansent, illuminant la pièce de lueurs changeantes, effrayantes par moments, rassurantes par d’autres. Je me redresse péniblement. Sa poitrine est empreinte d’une marque bleuâtre énorme. Hors de moi, je l’attire dans mes bras, et murmure énervée à son oreille.
-Il t’as encore frappée?
-Il dit que c’est de ma faute…
-Il n’avait aucune raison d’être violent avec toi! Je ne le reconnais plus.
-J’arrive pas à dormir…
-Viens.
Je m’allonge, et elle se blottit contre moi. Je reconnais en elle le comportement d’un animal apeuré, mon comportement avec Tamaïs plusieurs années plus tôt. Je murmure.
-Que faisait ta mère quand tu n’arrivais pas à dormir?
-J’ai pas de souvenirs de ma mère. Juste sa voix quand elle chantait.
-Elle était chanteuse?
-Je sais pas. Elle disait que quand on chantait, on oubliait tous ses problèmes, et que c’était le seul moyen d’avoir vraiment de l’espoir.
Je me rappelle que Tamaïs disait pareil. Et je me souviens que les nuits où nous dormions ensemble, parfois, il chantait les chansons qu’il aimait bien, à voix basse, pour me faire dormir. Je secoue la tête.
-Ta mère était une optimiste.
-C’est vrai! Quand elle chantait, je dormais toujours. Et lorsque le Château l’a emmenée, elle chantait aussi. Même quand il la tapait, elle chantait, en souriant.
Je ferme les yeux. Je n’ose imaginer de quelle manière le Château l’a torturée, elle et son mari.
-Dors, Lià.
Elle ferme les yeux, mais je la sens trembler toute la nuit. De froid ou de peur? J’espère que c’est le premier choix.
-Tu me chantes une chanson?
-Non. Je ne veux pas qu’il intervienne.
Je parle de Néo, et elle le sait aussi. Je me redresse. Nous sommes dans une clairière. Une forêt de pins nous entoure. Les braises du feu de camp brûlent encore, mais c’est la lumière du jour qui nous éclaire. Néo est assis à côté du feu. Il fixe les braises, et veille. Un peu comme le mâle qui surveille et protège les femelles lionnes, tandis qu’il étend sur elles son pouvoir.
-S’il te plaît…
-Quelle chanson voudrait tu entendre?
-Une chanson qui colle à ce qu’on vit.
-Il y en a tellement, Lià…
-Bah alors choisis.
Je fixe son ecchymose devenue violette. Et soudain, j’en ai assez. Assez de Néo, qui frappe Lià sans état d’âme, assez d’avoir peur de lui, assez de Néo, en fait. Au diable le respect qu’il mérite. Je tourne le dos au feu, et regarde Lià.
-S’il te plaît… J’aurais moins peur après…
J’en doute, mais l’enfant me surprend toujours. Peut être cela l’aidera t’il vraiment? Je commence à chanter, surtout pour lui faire plaisir. Je n’aime pas vraiment ça, et je doute de l’efficacité de la musique à effacer la peur, le doute, la douleur, je doute de son efficacité à donner du courage.
-On veut de la vitesse fragile…
C’est vrai. Je veux aller plus lentement, je veux avoir le temps de guérir, de me remettre de mes blessures.
-Des fleurs à tous les feux rouges, pour freiner notre adrénaline,
A grand combat de caféine…
Drogue, poudre d’or, d’argent… Toutes ces substances… L’une qui me réduit à néant, l’autre qui m’aide à tenir le coup, à ne pas me transformer devant elle.
-La belle parade des ondes qu’on avale à outrance,
sans rien dire, sans rien dire…
Combien de fois ai-je laissé Néo me frapper, m’injurier, sans rien dire? Je ne sais pas. Combien de fois ai-je laissé Disolvit Glaciem, mon maître, le faire? Je ne sais pas non plus. Trop, je pense.
-On peut croire en de nouveaux jours,
Dans le sillage des hommes que la raison ignore depuis toujours,
Le Château, Tamaïs… Tous ces hommes en qui j’ai confiance, que j’ai envie de rejoindre, avec qui j’ai envie de me battre. Avec qui j’ai besoin de me battre.
-On peut même jouer à être sourds,
Je sens une pression derrière mon épaule blessée, qui m’arrache un gémissement. Une voix rauque, tandis que je continue de chanter. Il m’ordonne de me taire. Je continue. Pour Lià. Il me soulève, et me jette au sol.
-On s’est laissées tomber à genoux,
On s’est enlisées, jusqu’au cou…
Lià me fixe, morte de peur. Je la fixe en retour. Elle sait déjà que ça se finira mal pour moi. Je souris. C’est pour elle. Comme Tamaïs l’a fait pour moi, maintenant, c’est son tour d’être protégée. Je l’aime. Comme ma meilleure amie, comme ma sœur, comme…
-Mais un mot de toi, Pour ma peine,
Ma paranoïa, sur tes lèvres…
Le claquement sec d’une gifle. Douleur sur la joue gauche. Je me redresse. Un coup de vent.
-Mais alléluia, le vent se lève…
Sur l’enfer, où je me promène…
Il me soulève, lame contre la gorge. Je relève la tête. Je comprends ce sentiment d’espoir. Chanter pour oublier, pour avoir le sentiment d’exister, ne serait ce qu’une seconde. Ce sentiment de vivre, d’être, d’être heureuse. Il place son bras contre ma gorge. De son couteau, il commence à me taillader le dos, en fine coupures. Je hurle.
-Des nébuleuses, dans nos têtes, explosent!
As tu goûté, à la dernière nouveauté, que la mort nous propose?
Y a tu goûté, Lià? Je le subis pour toi! Arrêtes d’avoir peur! Je survivrai. C’est sûr, je te le jure! J’ai un objectif, maintenant. Finir la chanson, coûte que coûte. Finir pour elle.
Il me lâche. Je retombe à genoux.
-On s’est laissés, tomber à genoux!
On s’est enlisés, jusqu’au cou!
Je chante de plus en plus fort, maintenant. Peut être pour ne plus entendre la voix de Néo qui m’ordonne de me taire? Peut être pour avoir la sensation de ne pas sentir la morsure des coupures sur ma peau? Penser à Lià, penser à Lià, penser à Lià… Je lève la tête. Mes yeux brillent de larmes.
-Mais un mot de toi, pour ma peine,
Ma paranoïa, sur tes lèvres,
mais alléluia, le vent se lève,
Sur l’enfer, d’où je nous surveille!
Elle est ma raison de vivre, maintenant. Ma seule raison de survivre, plutôt. Pour la protéger, l’aimer, la surveiller. Je ressens une vive douleur dans le dos. Encore un coup. Lui désobéir l’a mit en colère, et si je tente maintenant de me soustraire à sa sentence, le code ordonne un suicide. Je baisse la tête.
-J’ai donné ma vie, pour partager la tienne,
Bien écorchée vive, je m’éveille…
Je hurle. La douleur est trop intense. Naïve que je suis! Comment ai-je pu croire qu’il voulait me protéger? Chaque jour, par ses coups, il retarde mes chances de survivre. Il est un monstre!
-Mais un mot de toi, pour ma peine,
Ma paranoïa, sur tes lèvres,
Mais alléluia, le vent se lève,
Cet enfer, tout ce qu’il me reste…
La chanson est terminée. Je reste immobile, attendant le coup mortel. Pourtant, il ne vient pas. Je lève la tête, me protège de mes mains. Il tourne autour de moi, à pas lents, réfléchissant sans doute à sa sentence. D’une voix froide, il ordonne.
-Régénère toi.
-Je ne peux pas.
-Régénère toi!
Il hurle de colère, maintenant. C’est assez étonnant, pour un reptilien.
-Elle ne doit pas savoir.
-Elle saura, tôt ou tard!
Je lève les yeux sur Lià. Je murmure.
-N’ai pas peur…
Trop tard. Sa patience est à bout. D’un simple coup sur l’arrière du crâne, je m’effondre. Estimation des blessures: Épaule blessée, poitrine en sang, joue rouge, coupures dans tout le dos, ecchymoses, douleur intense. Je m’évanouis avant même de toucher le sol. Juste un cri, qui résonne en moi, encore et encore. Son cri. Lià. Puis une gifle.
Autrice : Jécrivaine, sous le pseudo « Jécrivaine »