L’endroit où nous nous trouvions ressemblait avec exactitude à l’atrium de la « domus » d’un homme aisé dans la Rome antique. Le petit bassin, l’impluvium, au centre, le carrelage en mosaïque par terre, les fresques au murs, et les colonnettes et colonnades tout autour. C’était reposant, et d’un point de vue strictement esthétique, j’aimais bien. Dans un angle, il y avait une espèce de petite pièce fermée par une grille qu’il nous faudrait aller voir. Il y avait une autre porte en face de notre entrée. Le Château aimait bien la symétrie de. Moi aussi, mais c’est l’unique point commun que j’accepte de concéder.
Après avoir dressé l’état des lieux, je me retournai vers mes compagnons. Livian semblait indemne, juste un peu épuisé. Yann avait une blessure à la joue, et peut-être d’autres à des endroits moins visibles, mais son métabolisme de vampire était déjà en train de refermer la plaie, et il n’aurait sans doute même pas de cicatrice. Les dégâts les plus difficiles à rattraper chez lui, c’était les tâches de sang sur ses vêtements. Moi, mon poignet droit était certainement foulé, et j’étais en train de me faire un bandage. J’avais la peau entaillée à divers endroits, particulièrement au niveau des jambes, des avant-bras et du dos, mais ce n’était pas très profond et déjà en train de coaguler. Je m’étais contenté d’asperger de désinfectant et de m’improviser des pansements. Ahna était moins bien. Yann était le plus apte à établir des diagnostics, après Ahna elle-même, et il l’avait examinée. Elle avait une entaille sérieuse au niveau du ventre, une un peu moins grave sur la cuisse. La blessure à l’arrière de son crâne s’était rouverte. Des hématomes était en train d’apparaître un peu partout sur son corps, leur couleur noir-bleu encore plus foncée que sa peau, ils étaient particulièrement nombreux autour de sa gorge et elle ne pourrait pas boire et manger normalement avant un moment. Ses côtes étaient meurtries, mais il semblait n’y en avoir qu’une ou deux de cassées. Toute une moitié de son visage avait enflé, sa pommette et sa mâchoire était fracturées, et si ça semblait « mineur » pour la deuxième, il nous faudrait très certainement opérer la première. Ce qui allait être une putain de boucherie.
Yann venait de terminer de désinfecter et de bander ce qui pouvait l’être. Je revenais d’une visite au petit local et, après avoir forcé la serrure, avais trouvé avec joie qu’il contenait de la nourriture ! Du pain, du fromage, de la charcuterie, des volailles, du miel, du vin, du lait et même des gâteaux. ! Nous avions tout sorti et attendions le réveil d’Ahna pour manger. Elle avait lutté contre l’inconscience pendant un moment, puis s’était laissée aller. Je discutai avec Yann de l’opération qu’il devrait faire, et il se remémorait ses cours de médecine. Heureusement, notre trousse à pharmacie était plutôt complète, et nous possédions de puissants somnifères et antalgiques. Que Yann et moi avions déjà entamé. Petite précision, tout ceci se déroulait alors que nous étions en sous-vêtements. En effet, après l’avoir envoyé remplir toutes nos bouteilles et gourdes, actuellement posées sur les côtes et visage d’Ahna, de neige (qui fondait paisiblement), dans la salle précédente étonnamment déserte, nous avions chargé Livian de la corvée de lessive, qu’il faisait comme il pouvait dans l’impluvium, pendant que nous nous appliquions à recoudre ce qui était « propre ».
Nous venions de conclure le débat sur les détails de ma première opération chirurgicale – qui était une troisième pour Yann, mais une première sur un être vivant – lorsque Livian en eut fini avec le « linge » et nous rejoignit.
-Je n’ai pas tout compris, commença-t-il.
-Nous non plus, fit-on d’une même voix.
Nous nous sourîmes.
-Non mais j’ai pas compris… Comment vous avez fait pour vous échapper des griffes du Diable, secondé de sa garde personnelle.
-Quel est le défaut dont à fait preuve Lucifer ? Me lança Yann avec un clin d’œil.
Livian eut l’air encore plus perdu.
-Dans notre toute première pièce, nous avons affronté Lucifer, expliquai-je. J’ai donc demandé à Yann et Ahna grâce à quoi nous l’avions vaincu.
-La réponse était simple : l’orgueil. Il nous a sous-estimé, persuadé d’être le plus fort, et j’ai pu le poignarder (il se rengorgea en repensant à ce bref moment de gloire).
-Regarder le Diable deux secondes suffisait à conclure qu’il était bouffi d’orgueil, ajoutai-je. Un mec qui s’assoit sur un trône d’os !
-Par contre, le palindrome était vraiment brillant, Lætitia, me complimenta Yann.
-Attendez ! Quoi ? Quel palindrome ?
-Le prétendu poème de Verlaine qu’a déclamé Lætitia, qui m’était spécialement adressé. Chaque lettre de début de vers formaient le mot « vampires ». Quelle inspiration dans l’improvisation !
-Merci. Mais je ne voyais pas d’autres moyens de te dire discrètement d’utiliser tes talents de chauve-souris.
-Mais c’était risqué. Il était évident que je savais que Verlaine n’avait jamais rien écrit de ce genre, et que je pourrai reconnaître le palindrome, mais le Diable aurait pu en faire de même… Bon, il y avait l’effet de surprise, mais si par hasard il avait adoré Verlaine…
-J’aurais dit que c’était de Rimbaud, fis-je d’un air très sérieux, et Yann pouffa.
-Jusque là, tout ce tient, continua Livian, mais après…
-Ahna n’avait pas pu comprendre ce message, repris-je, mais ce n’était pas important. Elle se doutait bien que je ne récitai pas de la poésie juste pour le plaisir, mais il lui suffisait de remplir sa partie du plan, la partie la plus dangereuse, : la diversion. Il était évident qu’elle, elle ne serait pas sous-estimé. Elle devait donc nous permettre d’agir en toute discrétion pendant que les autres regarderait ailleurs. Elle a défié le Diable, avec une subtilité remarquable, jusqu’à qu’il accepte de se battre contre elle. Elle en rajouta même un un peu en se la jouant « guerrière-obtue-qui-obéit-aveuglément-à-son-destin » Pendant ce temps, Yann n’attendait qu’une occasion de faire semblant de s’évanouir…
-La claque n’était d’ailleurs pas vraiment nécessaire.
-Elle rajoutai du comique, et te faisait encore plus passer pour naze.
-Et tout l’Enfer sait à quel point j’adore passer pour un naze.
-Il ne me restait plus qu’à traîner le Yann soi-disant évanoui comme un lâche dans un coin où on ne ferait pas gaffe à lui. Ils n’ont même pas capté qu’il était encore armé.
-Et ta fine allusion à « tourner de l’œil » pour me dire quoi viser… j’ai presque été vexé de tant de précautions.
-Je voulais être sûre que tout se passe pour le mieux. Et puis avec toi…
-Je vais mal le prendre.
-Mais oui, le taquinai-je. Donc durant le combat, tandis qu’Ahna tentait de nous laisser un maximum de temps, Yann se changeai en chauve-souris…
-D’ailleurs, tous les objets assez léger que je porte assez près de moi quand je me transforme « s’absorbe » dans la chauve-souris.
-Ben oui, sinon tu serais systématiquement à poil.
Il réitéra l’exploit de rougir malgré sa peau blafarde. Alors qu’il était à ce moment là en caleçon. Livian ricana légèrement. Personnellement, je ne me sentais absolument pas gêné d’être en sous-vêtements devant eux. Et jusque là, eux non plus.
-Enfin bref, Yann devenait chauve-souris, se mettait sur un pilier avec son arbalète.
-Et j’attendais patiemment que le Diable s’immobilise, prêt à tirer.
« Patiemment ». Quel odieux mensonge. Je savais qu’il avait du être à deux doigts d’exploser à chaque coup qu’encaissait Ahna.
-Pendant ce temps, lorsque j’avais posé le sac plus loin, j’avais récupéré deux choses : un rouleau de la bande dont on se sert pour les entorses, et… ceci.
Je sortis de ma poche deux petits crochets au bout d’une fine et longue tige de métal, que je dépliai d’un mouvement sec.
-Qu’est ce que c’est ? Demanda Livian.
-Ça, de tout mon attirail de voleuse, ce sont deux de mes préférés. C’est discret, ça s’avale facilement…
-Tu as avalé ces trucs ?
-Comment tu veux les faire rentrer discrètement dans une prison autrement ? Et donc, ça permet de forcer des serrures, d’atteindre des objets à distance et, même, de toucher ses pieds sans se baisser !
-Heu… douta Livian, à nouveau perdu.
-Et donc j’ai repéré les démons les plus près de la sortie, foutu la bande dans ma poche et grâce à ces charmants objets, j’ai pu discrètement l’attacher aux chevilles desdits démons. Tout en leur ôtant au passage leurs épées, ce qui est le B.A.BA du pickpocket un minimum qualifié. Puis j’ai fait semblant de tomber en arrière, pour pouvoir accrocher le bout de la bande à une colonne. Et j’ai empêché le Diable de tuer Ahna, comptant sur l’effet de surprise pour qu’il reste immobile assez longtemps pour que Yann puisse viser. Puis j’ai ramassé Ahna, les démons se sont vautrés comme prévu, et on a presque réussi à sortir. Mais je dois reconnaître que, sans toi, on était… mal barré.
-D’ailleurs, reprit Yann, pourquoi ce revirement de camp ?
-Revirement qui vous a sauvé la vie, rappela-t-il.
-Mouais. Peut-être, fit Yann avec une moue dubitative d’une mauvaise foie absolue.
Je sentis Livian frémir de colère.
-C’est une juste rétribution pour les fois où nous avons sauvé la tienne, de vie, rappelai-je avec l’air de ne pas y toucher.
Il tressaillit comme si je l’avais frappé, ouvrit la bouche pour répliquer, mais se tut.
-Point à Lætitia ! Challenger out ! Suite au prochain round, lança Yann en me souriant. Et donc ? La réponse à ma question ?
-Et bien… commença Livian. Je me suis rendu compte que je n’avais pas envie de retourner en Enfer. Et que ma meilleure chance de sortir de ce Château allait se faire tuer, alors j’ai pris la décision logique…
-Menteur ! Le coupai-je. Dis plutôt que lorsque le Diable s’est pris sa flèche, tu l’as vu en position de faiblesse et tu t’es rendu compte qu’il n’était pas invincible. Ça t’a donné le courage de l’affronter qui te manquait jusque là. Car il est évident que ta haine envers lui n’est pas récente.
De nous trois, en psychologie, ça avait toujours été moi la plus fine. Même s’ils n’étaient pas mal non plus.
-Tu veux donc dire que c’est un lâche qui attaque celui qu’il déteste qu’une fois qu’il est à terre ou presque ? Reformula Yann, avec l’air faussement détaché de celui qui essaie juste de comprendre, mais une étincelle amusée visible dans les regards en coin qu’il jetait à Livian.
L’attaque porta, Livian pâli, mâchoire et poings serrés.
Je ne sais pas pourquoi Yann n’arrêtait pas de chercher Livian et s’amuser à le faire enrager. Peut-être que ça l’amusait de jouer avec le feu. Ou peut-être que c’étaient les relents d’un vague instinct de mâle dominant qu’il n’avait jamais manifesté jusqu’à lors. Ou peut-être qu’il faisait ça pour impressionner Ahna. J’opterais plutôt pour un mélange des trois.
-Peut-on m’expliquer où sont passés nos habits ?
Nous tournâmes simultanément la tête vers Ahna, qui s’était assise et nous dévisageait. Yann et moi nous précipitâmes vers elle et lui expliquâmes, dans le désordre, tout ce qu’elle devait savoir, de la lessive à son opération en passant par la disparition du Diable et la découverte de nourriture.
-T’es sûr qu’il faut opérer ? Questionnai-je une fois de plus Yann.
-Oui. Pour l’instant, ça ne se voit pas bien à cause de l’œdème enflé, mais je suis à peu près certain que la pommette est enfoncée. Et si tu veux une preuve finale : Ahna, ouvre la bouche.
Elle obtempéra, et fut bloquée par une violente douleur.
-Voilà, conclut Yann. Il va falloir remettre les os en face. On a de la chance que ce soit une des fractures les plus courantes, je n’ai eu le temps que de voir celles-là.
Après avoir obtenu l’accord d’Ahna et discutés de comment elle se sentait, je me mis à préparer prudemment un cocktail de médicament censé l’endormir pendant que Livian faisait bouillir de l’eau sur le feu, dans laquelle Yann jeta deux de mes poignards les plus fins, un fil et une aiguille dans un objectif de pasteurisation. La « patiente » avala sans sourciller ma préparation, et nous désinfectâmes du mieux que nous pûmes. Je fus charger d’ouvrir sa joue en suivant les indications de Yann. Il remua les os, se servant de mes couteaux comme d’une pince, puis, après un moment, me les rendit et recousit la plaie. Ça c’était bien déroulé, mais heureusement que c’était l’unique fracture nécessitant une opération, je n’aurai pas apprécié recommencer.
Lorsque Ahna se réveilla, nous nous étions rhabillés de nos habits recousus, et elle mangea beaucoup. Yann l’obligea à boire du lait pour ses os et à même à manger du fromage, bien que je sois persuadée qu’elle déteste ça. De toute façon, tant qu’une chose est comestible, Ahna la mangera. Nous reportâmes notre départ à dans quelques jours, et nous endormîmes sans problème.
Cela faisait trois jours que nous étions là, et on allait déjà bien mieux. Si bien que Ahna décida qu’il était temps de tester mes pouvoirs et ceux de Livian. Elle s’assit au bord du bassin, Yann debout à côté d’elle, telle le général militaire dont elle avait la vocation.
-Livian, on commence par toi, ordonna-t-elle.
-Et je fais quoi ?
-Oh je sais pas… Un spectacle de claquette ? Persifla-t-elle. Transforme-toi.
-Ça va, plus facile à dire qu’à faire…
Il ferma les yeux et se concentra. Rien ne se passa.
-J’y arrive pas, conclut-il.
-Quel brillant sens de la déduction, se moqua Yann.
Livian ne releva même pas.
-Peut-être que c’est comme Hulk ? Tentai-je. Il se transforme quand il est en colère.
-Ou quand il est en danger ? Essaya Yann.
Je me tournai vers Livian. Place aux méthodes radicales. La patience, c’est bon pour les gens qui ont du temps.
-Hé !
-Qu… ?
Avant qu’il puisse répondre, je l’avais frappé dans l’estomac. Il se plia en deux et je lui envoyai une gifle magistrale. Il releva la tête, et je lui en envoyai une deuxième. Il para de l’avant-bras, m’attrapa violemment le poignet et me le tordit d’un mouvement brusque. La douleur remonta tout le long de mon épaule. Il était blanc de rage et tremblait littéralement. Sa joue semblait pulser, et ça me consola un peu. Il tenta d’articuler quelque chose. Il ne manquait plus que le coup de grâce. Allez, pour la bonne cause. Je lui envoyai un coup de pied dans les jambes. Et lui crachai au visage.
Aussitôt, il commença à se transformer. Bien joué, Lætitia, tu as fait apparaître ce truc avec talent et maintenant, il risque de te bouffer. Des écailles foncées d’un vert bleuté apparurent partout sur son corps, et des épines jaillirent tout le long de sa colonne vertébrale, jusque au-dessus de son front. Cheveux, nez et oreille disparurent, respectivement remplacés par des écailles (oui, encore), deux fentes et… rien du tout. Il grandit, ses bras s’allongèrent, des griffes, semblables à celles d’un tigre, apparurent à ses mains et pieds, ainsi que des pointes recourbées à ses coudes et genoux, une longue queue terminée par des crochets lui poussa et deux larges ailes d’une membrane étrange se déplièrent dans son dos. Sa mâchoire devint capable de se démantibuler, comme celle d’un serpent, et avança un peu. Ses deux canines dépassèrent légèrement de sa lèvre supérieure, sa gueule s’emplit de crocs et ses pupilles se fendirent. Il me tira vers lui et approcha son visage à quelques centimètres du mien, son souffle faisant voler mes cheveux. Je me retins de partir en courant et hurlant et lui sourit. Ça sembla le déstabiliser.
-Bravo Lætitia ! Me félicita Ahna. Livian, recule et lâche-la.
Il obtempéra, comme à regret. Un instant, sa forme sembla hésiter entre humaine et démoniaque, mais il resta le Léviathan.
-Tu veux une gifle pour t’aider à te stabiliser ? Fis-je avec un sourire aussi faux que grand. Je n’en menai pas large.
Il se pencha vers moi et me présenta sa joue.
-Essaie un peu, pour voir, siffla-t-il.
-Garde ta confiance et ton courage pour les vrais adversaires, le recadra Ahna.
-Je ne te permets pas ! Fis-je.
Elle ne releva même pas.
-Et maintenant utilises ton pouvoir mystique, lui demanda Yann.
Livian était en train de se promener dans la pièce en s’examinant sur toute les coutures. Ses hanches pivotaient et il pouvait sans problème marcher à quatre pattes. Il semblait tenir sa nouvelle apparence.
-Non, le contredit Ahna. Change-toi en humain puis réessaie de te transformer, sans l’aide amicale de Lætitia.
Il redevint humain, et après quelques instants, réussit à retrouver sa forme de Léviathan, malheureusement sans avoir besoin de mon aide.
-C’est bon, ça ira pour cette fois. A toi, fit Ahna en se tournant vers moi.
-Ouhla, moi… commençai-je.
-Une petite claque ? Tenta Livian, de nouveau humain.
-Toi, entraîne toi de ton côté. Yann, supervise et n’hésite pas à le motiver si besoin, ordonna Ahna.
Il hocha la tête en souriant et obéit. Elle se tourna vers moi.
-Quand c’est arrivé, expliquai-je sans qu’elle ait besoin de me demander, on était en danger de mort, comme souvent en fait, et j’étais… prodigieusement agacée parce que Livian aurait pu nous sauver, mais était complètement avachi. Tu penses que ça a à voir avec la Mort ?
Ahna réfléchit.
-Non. Je pense plutôt que c’est plutôt justement pour ce… talent qu’on t’a choisi. Parce que sinon, à part ça, qu’as-tu de si intéressant pour ces gens ?
-Ce serait logique… murmurai-je. Et pour qu’il apparaisse…
Ahna fronça les sourcils et sembla se perdre dans ses pensées.
-Non. N’y pense même pas, la coupai-je dans ses réflexions.
Elle releva un regard surpris vers moi.
-Même si…
-Il n’y a pas de « même si » qui tiennent. Je sais que tu ne me ferais jamais aucun mal, et me tuerais encore moins.
Elle ouvrit la bouche pour ajouter quelque chose, et je l’interrompis à nouveau.
-Je te dis que non. As-tu peur que Yann te tue ?
-Bien sûr que non. C’est absurde. Même s’il le voulait…
-Je vous entends ! Lança Yann de l’autre bout de la pièce.
-Et bien c’est pareil, repris-je avec un sourire.
J’entendis un claquement sec dans mon dos.
-Pourquoi tu me gifles !? Cria Livian.
-Tu étais déconcentré ! Répliqua Yann.
Je ris un peu, mais Ahna me ramena à notre, ou plutôt mon, problème.
Au bout de deux jours, Livian mutait sans problème et maîtrisait parfaitement ses deux formes. Quant à moi, à force de concentration, j’avais réussi à émettre un vague éclair lumineux, qui entraîna de nombreux cris de joie et me valut moult tapes dans le dos. Mais ce fut tout. Je commençai même à me demander si ça n’avait pas été une hallucination collective.
Ahna affirmait se sentir en pleine forme et avait désenflée, et même si nous savions pertinemment que ses fractures étaient loin d’être guérie, elle avait décidé que nous partirions dés le lendemain. Je continuerai à m’exercer en route.
C’était notre dernière nuit, nous avions mangé tout ce qui ne se conserverait pas et j’avais été réveillée par des crampes d’estomac qui témoignaient mon manque d’habitude des repas copieux. Je m’étais assise, avais dégagé ma couverture d’un mouvement de pied pendant que Livian se retournait en grognant, et avais bruyamment fait craquer mes vertèbres. La pièce était nimbé d’une pâle lueur lunaire, tout en reflets bleus et nuit, provenant de l’ouverture dans le plafond au-dessus de l’impluvium. La fraîcheur était agréable, je fermai les yeux et respirai profondément pendant que mon mal de ventre refluait. Lorsque je les rouvris et les laissai errer à travers la pièce, je me rendis compte que Yann et Ahna étaient assis au bord du bassin, les pieds dans l’eau, et que si ni l’un ni l’autre n’avait remarqué ma présence, c’est car ils étaient très occupés à se bécoter. Aussitôt, je me jetai à nouveau au sol et rampai discrètement vers eux, juste assez près pour entendre ce qu’ils se disaient. Lorsqu’ils se séparèrent, Ahna fronça les sourcils.
-C’est donc pour ça que dans vos pays vous faites toute une histoire ?
-Oui, affirma Yann en hochant la tête. Il avait du mal à cacher qu’il était ravi.
-Je ne vois vraiment pas ce que vous y trouvez d’incroyable ! À part pour vérifier la dentition de son… comment tu dis déjà ?
-Petit ami.
-Voilà. « Petit ami » (elle ponctua ces mots d’une moue exaspérée). À part pour ça, c’est dénué d’intérêt.
-On peut réessayer, fit Yann en tentant de dissimuler son sourire.
Ahna hocha les épaules et ils s’embrassèrent à nouveau. Je détournai les yeux. Yann était vraiment un petit malin. Il allait en entendre parler, de cette fourberie.
-Alors ? Demanda finalement Yann.
-Je ne vois toujours pas le but, répondit Ahna. Remarque, c’est peut-être toi qui t’y prend mal.
Le sourire de Yann fondit comme neige en Enfer, et je ne pus m’empêcher de glousser. Tous deux se retournèrent vers moi.
-Ce n’est rien, c’est moi, dis-je en me relevant, mains levées en signe de paix.
Yann rougit aussitôt.
-Ah, Lætitia, me reconnut Ahna. Elle réfléchit un court instant. Est-ce que tu sais embrasser, toi ?
-Quoi !? S’exclama Yann.
Je le regardai, et tentai de me retenir. Une fraction de seconde. Avant d’exploser de rire et de me retrouver assise par terre, avec des hoquets et les larmes aux yeux, essayant d’être la moins bruyante possible. Je tenais à ce que Livian reste endormi.
-Oui, je pense, parvins-je tout de même à articuler.
-Hors de question ! Fit Yann avant que Ahna ne puisse proposer quoi que ce soit.
-Enfin, Yann, pour la science ! Lançai-je, la voix entrecoupée de sanglots et de bruits ne ressemblant à rien de connu.
-Je ne vois pas où est le problème, continua Ahna. Si c’est apparemment si incroyable et qu’avec toi ça ne marche pas, il faut que j’essaie avec quelqu’un d’autre. Lætitia est là…
-Yann ! Ton ouverture d’esprit ! Tentai-je encore une fois, allongée par terre et les mains sur les côtes.
-Oh, toi Lætitia, tais-toi, m’envoya-t-il promener, sentant que la situation lui échappait. Écoute, Ahna, le problème, c’est que pour nous, embrasser quelqu’un, ça signifie quelque chose…
-Pas pour moi, le coupa-t-elle.
-Pour moi non plus !
-Lætitia, je t’ai dit de te taire ! Pour nous, ça veut dire qu’on… qu’on aime quelqu’un, et…
Il ne trouvait plus ses mots et me jeta un regard meurtrier pendant que je séchais mes larmes et tentais de reprendre mon souffle.
-D’accord, fit Ahna, l’air sceptique.
Et elle se mit debout et alla se coucher. Yann attendit qu’elle soit allongée pour se lever à son tour.
-Je ne te remercie pas, dit-il en me plantant un orteil dans le ventre.
-Je pensais que tu aurais compris que Ahna et le romantisme…
-Ah mais là c’est sûr que le romantisme, il est rentré en pleurant chez sa mère ! Fulmina-t-il.
Je lui fis un grand sourire, et les coins de sa bouche se soulevèrent malgré lui. Puis après un instant, son visage s’illumina.
-Ne sois pas trop déçu de me perdre. Je te laisse Livian, si tu veux… Car crois moi, j’ai remarqué ton petit manège…
Je lui envoyai un coup de pied, visant le flanc, mais il se recula vivement (encore ces foutus réflexes de vampire), me fit un clin d’œil et regagna lui aussi son lit. Je restai un moment silencieuse, ne pus m’empêcher de pouffer une dernière fois, et fut gratifiée d’un affectueux « Lætitia, la ferme ».
Je finis par m’endormir allongée où j’étais.
Autrice : lolo, sous le pseudo « lolo »