Tout au bout du bord de l’extrême, derrière les dernières montagnes du Monde, s’élève le Château des 100 000 pièces Les murailles, et les tours et les étages de ce palais s’élèvent, à ce qu’il vous paraît, bien au-delà des nuages, au-dessus des cimes.
LA PIÈCE DE LA PLANQUE DE NEO
LA PIÈCE DE LA PLANQUE DE NEO

LA PIÈCE DE LA PLANQUE DE NEO

Aifé

J’entends une respiration. La mienne? Je ne crois pas. J’ouvre les yeux, et croise le regard neutre de Néo. Il me fixe quelques secondes, puis continue de panser mon bras. Je ne ressens rien. Je n’entend rien, je ne goûte rien, je ne respire aucune odeur, et je ne sens rien sur ma peau. En fait, je ne sens même pas ma peau.
Je le regarde continuer de panser ma plaie. Tout me semble surréel. Mes pensées sont vagues, mes souvenirs m’assaillissent. Lui faire confiance? Il a frappé Lià. Le combattre?Je suis bien trop faible, et le moindre de ses coups me donnerait la mort.
Il s’arrête, sans que je ressente le contact. Je pose mon regard dans ses yeux, pour essayer de lire en lui. Pourtant, son visage est impénétrable, et j’ai plus l’impression que c’est lui qui lit en moi. Peur, doute, tristesse…
Il pose une main sous ma tête, d’une autre m’aide à me redresser contre le mur. Je me débats faiblement, mais d’une gifle il me terrasse, et je me laisse faire. Je tente de parler, mais ma gorge trop sèche, mes membres ankylosés ne le permettent pas. Je secoue la tête. Aussitôt, les odeurs, la douleur, tout me revient. J’entends un cri.
-Aifé ! Tu es réveillée !
Le claquement sec d’une gifle, puis le néant.

Les battements d’un cœur contre le mien me tirent de ma torpeur. J’ouvre les yeux. Lià est collée contre moi, endormie. Je lève difficilement une main, puis la laisse retomber sur ses cheveux. Comme pour avertir Néo de ne plus la frapper, bien que je sois trop faible face à lui. Un ricanement. Je tourne la tête à droite. Un homme, debout, avec un katana à la main, vêtu de noir nous observe. Je murmure, pour ne pas réveiller Lià, tout en la serrant contre moi.
-S’il vous plaît…
Il hoche la tête. Puis, enchaîne des katas, de plus en plus vite. La lame vrombit,siffle dans l’air, à cause de la vitesse. Ne pouvant supporter plus longtemps de rester éveillée, je me rendors, Lià contre moi.

-Bois.
J’ouvre la bouche en tremblant. Il laisse un mince filet d’eau pailletée pénétrer dans ma gorge. Un goût de métal reste en moi, me redonnant des forces. J’arrive à me redresser seule. Et pour la première fois, je peux observer la pièce. Elle est sobre, simple. Un matelas, une fenêtre, recouverte d’un rideau blanc. Aucune porte. Mais il n’y a aucun doute pour moi que nous sommes rentrés en traversant le mur. Aucun ornement, aucune décoration, aucune lumière, à part celle du jour, aucun meuble, à part ce matelas. Deux katanas sont posés dans un coin. Je porte la main dans mon dos. Le katana qui y était accroché n’y est plus. Je regarde de nouveau les deux armes. Mon nom, est gravé sur la garde. Je soupire de soulagement.
Je relève les yeux. Il est assis, agenouillé à côté de moi. Je parvins à demander.
-Pourquoi ?
Il se redresse, froid. Je murmure, pour ne pas réveiller Lià.
-Pourquoi m’avez vous attaquée?
-Cela te concerne t’il?
Oui. Cela me concernait. Mais puisqu’il ne veut pas se justifier, je me contente de baisser la tête. Je demande, en regardant Lià.
-Qu’allez vous faire de nous?
-Je suppose que je vais vous garder avec moi jusqu’à ce que tu sois capable de la protéger.
Lià se retourne. Je distingue à présent sa joue. Des traces rouges, une peau enflammée. Je relève les yeux, en larmes.
-Pourquoi l’avez vous frappée? Ce n’était pas de l’irrespect, elle est comme ça, elle ne connaît pas nos mœurs.
-Son insupportable habitude de poser des questions, et de tutoyer tout le monde m’a mis hors de moi.
Une toute petite voix murmure.
-Je suis désolée…
Puis, un sanglot, silencieux. Je serre Lià contre moi, mettant au défi d’un simple regard, Néo de la frapper de nouveau.
-Quelle incapacité à contenir la douleur! Tous les enfants que j’ai élevé ont vécu bien pire que toi, gamine.
-Arrêtez !
Je n’aurai pas du. Je place ma main devant mon visage. Il se contente de se lever, et de s’adosser au mur le plus éloigné. Je soupire de soulagement, m’allonge sur le matelas, et caresse les cheveux de Lià pour la calmer.

«-Tu as peur ?
-Pour toi.
-Pourquoi ?
-Je t’aime.
-Aifé… Tout ira bien…
-Et si tu meurs ! Moi je fais comment ?
-Tu te débrouilleras. Tu es grande, maintenant.
-Je préfère que tu restes avec moi…
-Ce n’est pas possible.
-Si on lui en parlait ?
-Cela lui ferait honte. Qu’un traqueur refuse sa destinée. Et si je ne suis pas traqueur, je ne choisirais pas ma vie pour autant.
-Oui, mais tu resterais avec moi.
-Tu es grande. Tu t’en sortiras.
-J’ai envie que tu me fasses un câlin tous les soirs.
-Le maître s’en chargera.
-Il les fait mal les câlins. Toi tu fais bien. Tu es gentil, et j’ai chaud toute la nuit, quand tu restes dormir avec moi.
-Tu exagères un peu. Tu ne veux pas que je traque, juste pour des câlins ?
-Oui.
Il éclate de rire, et me prend dans ses bras. Encore cette sensation de chaleur, d’être protégée, quand je suis avec lui. Il a dix-sept ans, et moi sept. Pourtant, mon frère Tamaïs et moi n’avons jamais été aussi liés.»

-Fais moi un câlin…
Je serre Lià contre moi. Ma vie est un éternel recommencement. Sauf que ce n’est pas moi la petite fille en détresse. C’est moi la personne qui protège, qui subit, pour elle. Je pleure, tandis que je sens son corps contre le mien.
-Tamaïs…
J’entends la respiration régulière de mon mentor. Il fait nuit. Dans l’ombre, je ne distingue que ses yeux.

-Nous partons. Essaie de te relever.
Lià se relève, et se fond aussitôt dans l’ombre, loin de Néo. La peur et l’instinct lui indiquent de le fuir. Je pose une main sur le mur, me relève, fais un pas, et lève la tête vers Néo.
-Tu peux marcher ?
-Je ne sais pas.
-Quelle distance peux tu tenir ?
-Je ne sais pas.
Une nouvelle gifle. La patience n’a jamais été son point fort. Trop faible pour tenir sur mes jambes, ma tête heurte le mur. Je m’effondre. Encore un échec. Je ne voulais que lui échapper. Je n’ai pas réussis. Évanouissement.

Autrice : Jécrivaine, sous le pseudo « Jécrivaine »

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