{Calice}
Je referme doucement la porte du Cathedrhall derrière moi. L’atmosphère glaciale de la pièce me frappe de plein fouet. Je suis fatiguée. Je m’assois au dos de la porte, le temps de reprendre mes esprits. Mes paupières sont lourdes et, malgré moi, elles se ferment lentement.
Flou. Juste flou, le monde est flou. Et orange… Shlack ! Le bruit d’une lame me tire de mon engourdissement. Autour de moi, le désastre. Les corps de mes semblables gisent au sol, par centaines, par milliers. Un hurlement guttural, barbare. Un homme. Devant moi. Il s’approche. Mes jambes sont paralysées par la peur. Je hurle. Il m’empoigne par le col. L’acier de son poignard me frôle le cou. Il me regarde. Je le regarde. Ses yeux sont bleus. D’un bleu froid, distant. Une lueur. Lueur de mort. De sang. De barbarie. Son haleine fétide me sonne à moitié. Je gémis. Imperturbable, il enfonce son poignard dans mon épaule. Dans ma chair. Jusqu’à la garde. J’ai mal. Je saigne. Je hurle. Flou. Encore une fois. Crépitements. Ma main. Mes dernières ressources. Ma magie. Je la sens glisser le long de mon bras, si épuisée qu’elle ne me guéri plus. Ma main. Ma magie. Je la concentre dans ma main. Mon sang coule toujours, ne plus penser qu’à ma magie. Je. La. Sens. Je crois. Ma main moite s’emplit d’une douce chaleur, a peine perceptible. Ma dernière chance. Dernière… Chance… Je frappe l’homme en essayant de libérer ma magie. Échec. Il est à peine égratigné. Les larmes me montent aux yeux. J’ai raté. Encore. Je sombre.
Je suis au sol. Mon agresseur repose sur le sol. Pour toujours. Son aura, si faible soit-elle, n’existe plus. Mort. Je le serai peut-être bientôt, moi aussi. Je vois le Sagesir s’approcher de moi. Il me tends la main, me parle. Je n’entend pas. Il me relève. Mon ouïe revient et avec elle, ces bruits horribles de mort et d’agonie. Il me crie de courir. Je lui hurle de se mettre à l’abri. Un sabre coupe court à notre discussion. Le Sagesir me pousse derrière lui et se débarrasse de notre adversaire avec une facilité déconcertante. Nous courons. J’ignore vers où, mais nous courons. Nous nous arrêtons sous le porche d’une grange délabrée. Il me parle de sa voix calme :
« Le temps nous est compté. Je vais faire vite. D’abord je parle, puis tu me questionne. Ne m’interromps surtout pas. Dis-t-il en me regardant dans les yeux.
-Écoute moi, Calice. La cité est massacrée. Et le combat n’est pas finie. Nous n’avons aucune chance d’en ressortir vainqueur. Nous serons peu, nous serons faibles. Et ils reviendront. Si tu reste et même si tu survis à cette journée, tu seras condamnée. Il n’y a plus d’avenir pour notre peuple. Seul subsisteront ceux qui fuient.
-La fuite est la signature du lache. Dis-je en le défiant du regard.
-Je t’ai dis de ne pas m’interrompre, l’heure n’est pas aux confrontations. Dans le cas présent, la fuite est la seule solution. Une caravane va partir, le convoi des fuyards. J’aimerais que tu les accompagnes.
-Mais…
-Silence ! Je t’ordonne de fuir. Car tu dois t’enfuir. Quitter la ville. Tu es une jeune fille pleine de talents, je ne doute en aucun cas que tu ne trouves les ressources pour survivre. Ne me demandes pas pourquoi tu dois partir. Tu dois le faire. Ne gâche pas ta vie. Ne reste pas là. La vie est un bien précieux, tu le sais. Ne la détruis pas en voulant rester au près des tiens. Tu es douée, mais tu ne peux plus faire face. La menace est trop grande. Il me faut quelqu’un pour guider ceux qui s’exilent. Je te choisis, ne me déçois pas. Le chemin sera long et dangereux, j’ai besoin de quelques personnes de valeurs pour veiller à leur sécurité.
-Mais vous… Je…
-Vois cela comme une mission que je te donne, si cela te chante. Tu dois les accompagner. Regarde moi. Je sais ce que tu pense. Je sais que tu vas leur fausser compagnie dès que possible et que tu vas revenir ici, assoiffée de vengeance.
-Je…
-Je ne te l’interdis pas, je te demande juste d’attendre.
-Vous… Vous aviez dit…
-J’ai toujours dis que la vengeance était un excellent moyen pour ne pas tourner la page, pour rester prisonnier de ses démons. Je sais que je l’ai dis. Je n’ai pas oublié. Mais cette fois-ci est différente. Tu pourras donc te venger si tu le souhaite, tu n’en es pas obligée. Cependant, avant cela, il te faudra apprendre. Ton potentiel est grand mais deviendra ridicule si tu ne l’exploite pas. Deviens une apprentie, entraîne toi, souffre, et quand tu seras prête, reviens. Mais pas avant. Désormais, il te faut partir. Tu dois accompagner la caravane.
-Mais… Pour aller où ?
-Au château. Un endroit qui respire la magie, où chaque pierre à une histoire. Un lieu où tu pourras te fondre dans le décor. Je ne peux pas te demander de garder la responsabilité des autres une fois là bas, tu y feras ce qu’il te plaira. Mais prends garde, ce lieu est séparé en camps qui, inlassablement, se combattent.
Prends garde à ton choix.
-Je dois me choisir un camps ? Mais…
-Ce lieu est divisé. Le Château. Les explorateurs. À toi de choisir.
-Mais… Si je m’y rends, je l’explorerais. Je serais donc une exploratrice ?
-Pas forcément, car tu n’y vas pas pour l’explorer. Tu y vas pour survivre et pour apprendre. Le Château sera ton refuge et peut-être même ton mentor.
-Le Château est une personne ?
-Un puissant magicien. Mais c’est également un étrange bâtiment.
-Je crois savoir quelle sera ma décision…
-Quelque soit ton choix, si c’est le tien, ce sera le bon. N’oublie pas cela. Calice, il faut que… »
Un vacarme nous interromps. Des humains nous ont aperçus. Ils accourent.
« Calice, pars ! Maintenant ! Fuis, Calice ! Fuis ! »
Le Sagesir se lance sur les attaquants. Une effroyable onde de choc me projette au sol. Lorsque je me relève, je vois une femme armée de poignards a l’aspect peut engageants courir vers moi. Son visage est empreint de haine. Je cours. Le plus vite que je le peux. Je cours.
Je me réveille en sursaut, le cœur battant à toute allure. J’ai encore fait ce rêve. Encore. Chaque nuit, je revis le drame. Presque deux semaines que cela dure. Mais je ne dois pas me laisser abattre, un long périple m’attend. Mon premier objectif est de trouver les sbires du Château.
Je me relève et regarde cette première salle. C’est un long couloir au sol et aux murs couverts de givre. J’ai marché moins d’une dizaine de mètres lorsque des portes apparaissent sur le mur à intervalles régulier.
J’effleure leurs poignées. Ce n’est pas le bon endroit. Je le sens. Je marche. Mon cœur bat. Je touche une porte. Battement de cœur. Marche. Porte. Mon cœur. Qui. Bat. Marche. Porte. Cœur. Ma main glisse le long du mur, tressaute sur l’encadrement des portes. Je marche. Encore. Une grande porte noire. Ma main. Rien. Je marche.
Des heures, peut-être des jours plus tard, je vois la fin du tunnel se profiler devant moi. Mon cœur s’emballe. Je touche une porte. Rien. Une autre. Mon cœur rate un battement. Terrible, il y a quelque chose de terrible derrière cette porte. Je le sens. Je recule. Une autre porte. Sombre et lisse, elle s’impose majestueusement dans cet univers glacé. Je m’approche. Elle est figée dans la glace. Je gratte le givre du bout de l’ongle. Je ripe sur le cuivre de la poignée. Je pose ma main dessus. Douleur. Ma main brule, je brule. Des gouttes perlent sur le givre. Coulent.
Les unes
après
les autres.
La glace fond. D’abord lentement. Puis c’est le déluge. Un mur d’eau s’effondre sur moi. J’ai juste le temps de voir une femme sourire, a côté de la porte. Je n’ai pas le temps de me demander qui elle est. C’est le noir.
J’ouvre les yeux. Je me relève, trempée. L’eau est repartie, la glace aussi. Les portes. Elles ont disparues. Sauf une. La porte noire. Dans les rainures du bois, je distingue un sourire. Je l’ai déjà vu. Je ne sais plus où. Je pose la main sur la poignée. Un sentiment d’apaisement se propage dans mon corps.
Je touche au but. Je le sens.
Auteur : le champignon fluorescent à pois jaunes, sous le pseudo « le Champignon fluorescent à pois jaunes »