Jécrivaine as Jécrivaine
Aifé
A lire en écoutant The lost one’s weeping, version piano ou instrumentale.
Sentiments, émotions qui m’envahissent guident mon âme, font couler mes larmes. Nouvelle tentative. Nouvel échec. Sang sur mes mains. Le mien. Poignard à quelques pas.
Agenouillée. Lâche. Incapable de mener à bien ma mission, ou mettre fin à mes jours. Je ne me sens pas l’étoffe d’un traqueur. Je ne mérite même pas de vivre.
La pièce est longue. Noire. Illuminée par des néons rouges. Des volutes de fumée, ici et là. Une chaleur écrasante s’ajoute au tout.
Bouffée d’adrénaline. J’ouvre les yeux. Mes mains tremblent. Hantée par ce souvenir, par la couleur du sang. Étonnant, lorsque tuer est son métier. Je me relève, précipitamment, recule, et me colle au mur. Ma respiration devient difficile. J’en ai assez. Assez de tout. Curieux que ce soit cette pièce qui me donne envie de tout arrêter, alors qu’elle n’est pas dangereuse, ni effrayante.
La mort me tente, mais je suis incapable de me la donner. Le poignard gît, à quelques pas. Je comprends alors les personnes suicidaires. Le suicide est la solution de facilité. La solution du lâche. Et elle me tente tellement ! J’ai tellement envie de ne plus affronter le regard des autres, juste être vide. Voila ce que j’ai envie d’être. Ne rien ressentir. Feel nothing.
Je ne suis qu’une façade. Personne n’a compris. Personne. Même pas mon frère, ma race, ni mon Maitre. Cette douleur, cachée au plus profond de moi même, des méandres de mon cœur.
Je ne me sens pas l’âme d’un traqueur, sur le coup. Juste celle d’une créature sans défense, vulnérable, faible, emplie de douleur. Pas celle d’un chasseur redoutable. Celle d’une menteuse. Mes mensonges me tuent.
Ma phobie me tue, peu à peu. Le sol qui était mon ami jusque là me fait peur. Je tremble, à chaque fois que je pose le pied au sol. Ma respiration est coupée. Je ne respire plus. La chaleur écrasante a raison de moi. Et je m’abandonne, souhaitant la mort, plus que tout. Je sais que le Château ne m’acceptera pas dans ses rangs. C’est trop tard. Il m’aurait déjà contactée.
Je suis agenouillée, couverte de sueur. Glacée. La pièce s’est soudainement refroidie, et le changement de température m’a sortie de ma transe. Je relève la tête. Un homme. Grand, vêtu de noir, il m’offre un visage impénétrable. Il rit doucement, en me voyant. D’un rire cruel, sardonique. Résolue à me défendre, je me relève d’un bond souple, saisit mon katana. Je suis aussitôt projetée au mur par une force incroyable. Je grimace de douleur, renonce à la lutte. Sa force m’y plaque, m’empêchant de faire le moindre geste. L’homme devant moi a la main droite levée. J’y vois un tatouage. ϔאּטּϠ.
Il baisse son bras. Je m’écroule. Je relève difficilement la tête, tandis qu’il s’avance vers moi. Je suppose qu’il s’agit encore d’un autre assassin. Il prend la parole, d’une voix rauque, qui ferait trembler n’importe qui.
-Alors… On pense au suicide ? Quelle lâcheté…
-Qui es tu pour me juger ? J’en ai assez de la vie… Tu es un aventurier ? Vas y, tue moi. Tu me faciliteras la tache.
Il s’avance, menaçant. Son ombre me recouvre. Il me fait peur. Il n’est pas comme les rares aventuriers que j’ai rencontré. Il est différend.
Je ne te permets pas de me tutoyer, साँप.
Je sursaute. Il sait. Il sait tout. Il sait qui je suis, il connaît ma race, il connaît mes mensonges, il sait la vérité.
-Qui êtes vous ?
-Ton futur Maître.
-Je n’ai qu’un maître.
-Son nom ?
-Silvère Morin.
-Tu mens.
Sa voix est dure, cassante. Il me terrifie. Je murmure, en un souffle.
-Disolvit Glaciem.
-Celui qui se dissout comme de la glace… Intéressant…
Il ricane. Je comprends tout, soudain. Ce même rire, entendu dans la pièce du bassin noir, des mois auparavant, ce rire si spécial, si unique.
-Vous êtes le Château…
-Quelle réactivité…
Je ne réponds rien, laisse le rire s’éteindre de lui même. La personne que j’ai tant cherché à trouver m’a à sa merci.
-J’ai un choix à te proposer. Rejoins moi, ou meurs.
-Je ne souhaite que ça, et vous le savez.
-Mourir ? Si tu meurs, je te torturerais pour l’éternité, et ça, tu le sais aussi.
-Je veux rejoindre vos rangs…
-Très bien, Saanp. Tu seras contactée bientôt par un membre de mon Ordre. Tu seras spadassine. Qu’il en soit fait ainsi !
Il s’évapore en un nuage de fumée. Je reste au sol. Il a remit en question tous mes mensonges. Il sait que je ne suis pas naga, et que mon maitre ne s’appelle pas Silvère Morin. Il sait que ce n’était qu’une couverture pour protéger ma race, un nom d’emprunt. Il sait que je suis une Saanp. Une sorte d’espèce de reptile humanoïde, reptilien, dont les capacités sont proches de celles des nagas. Nous ne sommes qu’une quinzaine sur Terre, mais des milliers, dans l’univers. Et j’en suis la seule femelle. Formée au Vatican, comme le prévoyait mon scénario, mon maitre ne s’appelait pas Silvère. C’était un jeu, car étant un reptilien mentor, formant ses disciples, comme lui, son nom tiré tout droit d’un livre était celui que je citerai en toutes occasions. Une protection pour ma race. Il doit aussi savoir que mon frère ne s’appelle même pas Théo. Mais Tamaïs. Il sait que j’ai modifié mes pensées, mes souvenirs, parfois, pour que même une personne lisant dans mon âme ne puisse rien savoir.Il sait tout. Je reste prostrée au sol. Pourquoi ai je peur ? Pourquoi, alors que j’ai obtenu tout ce que j’ai souhaité, je me sens encore plus triste qu’avant ? Je ne le sais pas. Pourquoi est ce que je sens des larmes sur mes joues, alors que les reptiliens sont sensés être insensibles ? Je ne le sais pas.
Je lève les yeux. La pièce, emplie de volutes de fumées est glaciale. Je sens le sol, sous mes paumes. Il est chaud. Et soudain, je n’ai plus peur. Mes larmes ne coulent plus. Je m’enfonce dans le sol. Et enfin, nous sommes réunis.