-Pièce explorée par Ourite et Etincelle, compagnes de voyage-
Derrière la porte de la grotte, il y avait un tunnel. Nous nous engouffrâmes dedans. Nous ne voyions qu’une lointaine tache de lumière, signe que le tunnel était sans doute très long. Nous marchions en parlant, discutant de nos aventures précédentes. Soudain, le tunnel se rétrécit, si bien que nous dûmes passer l’une après l’autre, car il devenait très étroit. Je rentrai la première, Etincelle me suivit de près. Il fallait marcher à quatre pattes pour ne pas nous cogner à la paroi, très basse. Nous cessâmes de parler pour nous concentrer sur notre progression. Nos respirations résonnaient étrangement dans ce boyau, créant une atmosphère un peu angoissante. Par endroits, nous devions ramper tellement le tunnel devenait étroit ; nos sacoches et nos armes raclaient le sol de pierre.
La lumière se rapprochait, trop lentement cependant à mon goût. Je commençais à avoir mal aux genoux et aux coudes. Je levai la tête et regardai la tache lumineuse pour me donner de l’espoir. Soudain, je fronçai les sourcils. J’avais une curieuse impression. Je la scrutai avec plus d’attention, et ce que je vis confirma ma pensée : des petites ombres passaient rapidement devant la lumière. Perplexe, je décidai d’avancer plus vite pour découvrir de quoi il s’agissait. J’espérais juste que ce n’était pas un monstre qui nous attendait au bout… Quelques mètres plus loin, le boyau finit par s’élargir à nouveau et nous permit de progresser à deux, de front.
-« Ça va ? Tu n’es pas trop fatiguée ? me demanda Etincelle.
-Oui oui, ça va. Et toi ?
-Je vais bien aussi. Mais je commence à en avoir marre du tunnel ! Je pense qu’on arrive bientôt, de toute façon.
-Oui, on va enfin découvrir ce qu’il y a dans cette pièce Je me demande bien ce que c’est.
-C’est vrai, moi aussi j’ai aperçu ces… trucs qui bougent ! »
A présent, nous voyions plus nettement ces ombres passer devant l’ouverture ; mais même si nous étions proches de la sortie, nous n’arrivions pas à distinguer précisément leur nature, comme si quelque chose opacifiait la lumière. Effectivement, lorsque nous fûmes arrivées au bout du tunnel, un rideau blanc nous séparait de la pièce. Nous nous regardâmes en silence, comme pour nous donner le courage d’aller affronter l’inconnu.
Etincelle souleva prudemment le tissu tandis que j’encochais une flèche sur la corde de mon arc. Nous ne savions pas ce qui nous attendait, autant nous y préparer. Soudain, mon amie poussa un cri de surprise.
-« Qu’est-ce qui se passe ? Qu’as-tu vu ?
-Des papillons ! Partout !
-Des papillons ? Mais qu’est-ce qu’ils font ici ? m’étonnais-je.
-Je n’en sais rien… »
Je soulevai le rideau blanc à mon tour, et ce fut mon tour d’être impressionnée. Des millions, peut-être milliards, de papillons volaient devant nos yeux. Je restai sans voix devant ce spectacle. Ils étaient oranges, bleus, verts, dorés, noirs, rouges, argentés, nacrés… Ils semblaient tous différents.
-« C’est beau, hein ?
-Oui, lui répondis-je. Magnifique. »
Nous restâmes quelques minutes à observer ce ballet coloré, puis décidâmes de continuer. Etincelle leva le tissu et nous avançâmes hors du tunnel. La pièce se délivra alors à nous dans son ensemble. En voyant ce qui s’offrait à nos yeux, nous restâmes figées. D’étonnement, de surprise, puis d’admiration, d’excitation, d’émerveillement…
La pièce avait des dimensions très étranges : la corniche où le tunnel nous avait conduites était environ à mi-hauteur entre le plafond et le sol, qui étaient extrêmement éloignés : plus d’un kilomètre semblait les séparer. Les murs de droite et de gauche étaient eux aussi très écartés -quoiqu’un peu moins que le plafond et le sol. Mais, inversement, les parois devant et derrière nous ne laissaient que quelques mètres au vide, ce qui faisait que nous avions l’impression d’être dans un immense pavé droit. Nous nous sentions minuscules face à cette pièce immense et à ces milliards de papillons. Ceux-ci évoluaient dans cet espace biscornu, et, où que nous posâmes le regard, il n’y avait qu’eux et la pierre grise, qui faisait ressortir leurs couleurs chatoyantes. Ils étaient partout. Innombrables, infinis. Leurs battements d’ailes produisaient un son feutré, très doux. Une dizaine de mètres en face de nous, sur le mur, il y avait une autre corniche, semblable à celle sur laquelle nous nous tenions. Un autre tunnel partait de cet endroit, s’enfonçait et disparaissait dans le mur de pierre.
-« Il faut qu’on réussisse à atteindre l’autre corniche, m’enquis-je.
-Oui. Le problème, c’est que, même si elle est près de nous, elle ne l’est pas assez pour qu’on puisse sauter…
-Mmm… Tu n’aurais pas une corde ?
-Si ! Attends deux minutes…
Etincelle fouilla dans sa sacoche et en sortit l’objet.
-Tiens, me dit-elle en me la tendant.
Celle-ci était fine, mais semblait solide.
-Merci ! Regarde, j’ai une idée. Mais je ne sais pas si elle va marcher…
J’enlevai mon arc de mon épaule et pris une flèche. J’accrochai une extrémité de la corde dessus puis l’encochai sur la corde de mon arc. Je tendis le bois, et la flèche fusa. Elle propulsa mon système jusqu’à la corniche, et se ficha avec un bruit sourd dans… du bois ?
-« Mais… Le panneau de bois… Il n’y était pas !
-Je sais, me rassura ma compagne, justement ! Tu ne crois pas que ta flèche aurait eu du mal à se planter dans la pierre ?
-Oh, mais bien sûr… J’aurais dû y penser ! Mais comment est-ce qu’il… ?
-Un peu de magie, et le tour est joué ! Ne t’en fais pas, ce n’est pas grave.
-Heureusement que tu es là…
Je me maudis intérieurement. Quelle imbécile je faisais ! Honteuse de ma négligence, je rougis, mais Etincelle ne fit aucune remarque. Celle-ci testa la solidité de la corde, puis me fit signe de la suivre. Je replaçai mon arc dans mon dos, ferma bien ma besace et fis quelques pas. Nous nous plaçâmes sous la corde, les mains et les genoux accrochés dessus, et commençâmes à avancer. Les papillons volaient autour de nous et nous gênaient la vue. Heureusement, d’ailleurs, car même si je n’étais pas trop sujette au vertige, cela aurait été tellement impressionnant que j’étais sûre que j’aurais paniqué en voyant tout ce vide au-dessous de moi. La tête dans les papillons, nous progressions lentement. Enfin, après plusieurs minutes de traversée périeuse, nous arrivâmes à la corniche. Etincelle se hissa dessus agilement, et me tendit sa main pour m’aider. Lorsque nous fûmes toutes les deux remontées, nous nous regardâmes, fières de nous-mêmes. Devant nous, le même rideau, le même tunnel que l’autre corniche nous attendaient. Nous nous sourîmes. Nous avions survécu à une pièce de plus ! Cette fois, ce fût Etincelle qui passa la première dans le tunnel. Je jetai un dernier regard aux papillons, puis m’engouffrai à mon tour dans le boyau. Pas de lumière au bout, cette fois. Rien que le noir absolu.
Autrice : Ourite, sous le pseudo « Ourite »