– Mademoiselle ?
…
– Mademoiselle ?
…
– Mademoiselle ! Réveillez-vous, enfin !
…
– Bon, Fabien, tu ne pourrais pas m’aider au lieu de regarder le paysage ?
– Inutile, une aventurière qui dort tout le temps ne servirait à rien. On perd notre temps, viens, laissons-là roupiller et allons voir quelqu’un d’autre. Il me reste encore trois prénoms sur ma liste.
– Tu as déjà oublié ce qu’a dit le château la semaine dernière ? On ne doit négliger aucun aventurier, tous ont le potentiel de devenir de grands recruteurs ! Regarde-là, elle a l’air toute innocente et naïve, on va la convaincre très facilement de nous suivre, et si jamais elle se relève empotée et inutile, peu importe, le château l’engagera comme esclave, cuisinière, femme de ménage ou…
– Elle s’est réveillée !
– Mademoiselle ! Enfin, ce n’est pas trop tôt ! Vous dormiez depuis longtemps ?
…
– Elle n’a pas l’air très bavarde.
– Attends deux secondes, elle se frotte les yeux. D’ici quelques minutes, ça y est, elle sera prête pour partir.
– On ne lui explique pas le rôle des recruteurs avant ?
– Eh bien ! Tu n’as donc rien écouté à la réunion de la semaine dernière ? On ne lui parle de notre fonction que si elle refuse de nous suivre. Si on n’a pas besoin de la convaincre, on n’explique rien du tout et le professeur Rayon s’en chargera.
– Qui êtes-vous ?
Je venais juste d’ouvrir les yeux et devant moi se tenaient deux hommes qui conversaient. Enfin hommes… deux créatures serait plus juste. Leur peau bleue poilue ressemblait beaucoup à celle des petits ours en peluche que possédait mon mari. Ils portaient tous les deux des salopettes marrons abimées, ainsi qu’une casquette rouge. Un gros nez rond, une énorme bouche, et de minuscules yeux noirs. Pour ma part, la douleur semblait s’être calmée, mais lorsque je tentai de me relever, celle-ci revint d’un coup et envahit de nouveau mes membres inférieurs. Je restai donc assise et regardai rapidement celle nouvelle pièce dans laquelle j’étais arrivée tout à l’heure, avant de m’endormir. Elle était très vaste et assez sombre. Aucune lumière ne l’éclairait, néanmoins, je parvenais facilement à discerner les éléments présents autour de moi. Une cheminée, un banc et des coussins, puis, loin derrière eux, d’immenses montagnes. Drôle de paysage. Mais revenons à ces étranges individus, qui recommençaient à discuter à voix basse entre eux.
– Nous sommes deux recruteurs du château, dit la plus grande créature, et nous sommes venus pour vous proposer un poste de recruteur, justement. Acceptez-vous cette offre ?
-Attendez… qui êtes-vous ?
-Je viens de vous le dire, des recruteurs.
– C’est quoi ?
– Les questions attendront mademoiselle ; pour l’heure, nous devons vous emmener au plus vite dans la demeure du château.
– Château ? Il y a un château près d’ici ?
– Mais enfin, nous sommes dans le château ! Le Château des Cent Mille Pièces ! Ne me dites pas que vous n’êtes pas au courant !
Je fronçai les sourcils. Ainsi, je vivais depuis toujours dans un gigantesque édifice… et donc, les pièces que j’avais visitées jusqu’à là étaient certaines salles de ce Château… mon but premier me revint en mémoire.
– Comment fait-on pour sortir de ce bâtiment ?
– Sortir ? Mais enfin, pourquoi voudriez-vous sortir, cela n’a aucun sens ! Ici, tout est parfait, nous sommes nourris, lavés, habillés. Pourquoi vouloir quitter ce merveilleux endroit ?
-Pour découvrir le dehors.
…
Les deux créatures restèrent silencieuses un instant.
– Bien sur, nous comprenons que le dehors vous intéresse, mais croyez-moi, il n’y fait pas bon vivre. Les obstacles et accidents y sont nombreux, et vous mettez votre vie en péril à chaque instant. Heureusement, le château a un grand cœur et permet à nous qui sommes de pauvres créatures inoffensives de venir ici, au chaud et en sécurité. Je vous en supplie, restez avec nous dans cette confortable demeure.
J’hésitai. Le dehors me semblait moins attrayant désormais… mais le volcan et le séisme me revinrent en mémoire ; cet endroit n’était pas plus sécurisé. Et il était hors de question que j’abandonne mon plus grand rêve à cause de ça.
– Non. Je préfère risquer ma vie et découvrir le dehors plutôt que de rester ici, dans ce bâtiment qui d’ailleurs n’est pas moins dangereux Comment puis-je sortir, donc ?
– On ne peut pas. Personne n’a réussi à sortir de ce Château, sauf deux aventuriers, qui sont morts brulés aussitôt après.
– Il n’existe donc pas de porte ?
– Si, mais le Château refuse que nous les utilisions. Et il a raison ! Quelle idée de vouloir partir !
– Comment un bâtiment peut refuser la moindre chose ? Une construction n’a pas d’âme, ce n’est pas une personne vivante !
– Je parlais du gouverneur de cet édifice, lui-aussi nommé le Château. Mais vous avez posé assez de questions pour l’instant, venez, nous allons rejoindre l’antre de notre Maître.
– Mais je ne veux pas vous obéir, devenir un recruteur ou je ne sais quoi ! Je veux juste partir d’ici, vous comprenez ? Le Château, personne vivante, peut me faire sortir ou non ?
– Il ne veut pas.
– Comment puis-je faire pour le convaincre, pour qu’il accepte de me libérer ?
La créature réfléchit quelques instants. Je profitai de ce court moment pour observer son ami, qui depuis le début de la conversation n’avait prononcé le moindre mot. En effet, il était en train de manger des carottes.
– Il faut devenir son allié. Si vous vous mettez à son service et êtes engagée comme recruteur, si vous remplissez des missions pour lui, il acceptera sans doute de vous laisser partir.
– D’accord. Mais que devrais-je faire exactement, quelle est votre mission ?
La créature soupira, puis m’expliqua :
– Nous devons espionner les aventuriers ou s’introduire dans leurs groupes, pour découvrir leurs plans, objectifs, découvertes, ainsi que leurs faiblesses afin de pouvoir ensuite les combattre et les vaincre. Nous devons également remplir d’autres missions pour le Château.
– Les aventuriers ? Qui sont-ils ?
– Tu en fais partie à vrai dire. Ce sont toutes les personnes qui sont entrées dans ce bâtiment sans demander l’autorisation à notre gouverneur, et qui s’aventurent ensuite dans les très nombreuses pièces que comporte cet édifice.
– Mais alors… je me trahirais en acceptant de devenir comme vous ? Et je trahirais tous les autres explorateurs…
La créature soupira de nouveau.
– Bon. On n’aurait jamais du autant te parler. Maintenant, tu vas nous suivre immédiatement chez le Château.
Je réfléchis quelques instants. Trahir les aventuriers ou découvrir le dehors… je n’étais pas certaine que le Château accepterait de me laisser sortir… mais en même temps, je ne connaissais aucun explorateur, trahir des personnes qui m’étaient totalement inconnues n’avait pas d’importance. Il fallait que je tente de partir.
– D’accord. Je vous suis.
– De toute façon, on ne t’avait pas demandé ton avis. La créature laissa échapper un énième soupir, puis continua : bien. Je n’ai jamais pris autant de temps pour engager un recruteur, mais peu importe.
Son ami alla chercher un étrange engin quelques mètres plus loin, puis l’apporta jusqu’à nous.
– Voilà notre petit bébé ! s’exclama le deuxième recruteur qui n’avait pas ouvert la bouche depuis le début. Cette machine nous permet d’aller dans n’importe quelle pièce du Château, et ce en quelques secondes seulement. Tiens, pose ta main dessus, et pense très fort à « antre du Château ».
La machine se mit en marche. Le bruit qu’elle créait s’amplifiait rapidement.
– Au fait, comment t’appelles-tu ?
Je failli dire « Eureya » puis pensai à ma mère, ma grand-mère et tous mes ancêtres qui avaient porté le même nom que moi. Elles, n’avaient pas osé partir de notre ferme pour découvrir le dehors. Leurs vies ont été paisibles, mais ennuyantes et répétitives. Pas la mienne. Je voulais donc un prénom plus court, pour me différencier.
A cet instant, l’engin télé-porteur tourna sur lui-même, puis tout devint noir.
-Leya.
Autrice : Miss Lovegood, sous le pseudo « Miss Lovegood (aventurière Leya) »