Fawn as Fawn
La porte coule entre mes doigts. Une claque. Noir. J’émerge d’un sommeil laiteux, mes mains fouillent ma tête, le vide et les souvenirs qui dansent furieusement autour de moi, commandés par une voix d’enfant et des tams-tams. La pluie me brûle. Torrentielle, elle s’abat sur moi et fait taire chaque bruit. Les feuilles crépitent. Les arbres s’embrasent. Je cours. Comment? Parce que j’entends. Je vois. Je sens. Je fuis. Je coule, moi aussi. Si je ne m’enfuis pas, je ne serais plus rien. Sentir, ou ne plus sentir. Sentir chacune de mes terminaisons nerveuses au plus profond de moi, la nature s’épanouir dans mon ventre, mes poils frémir. Sentir l’animal. Ou ne plus sentir. L’odeur de pluie qui me colle à la peau, l’odeur familière de mes souvenirs qui cherchent à m’attirer toujours plus profond dans les méandres de la souffrance. Je cours, mes muscles roulent sous ma peau, je ne peux plus rien contrôler. Un faon court avec moi. Je ne vois que sa silhouette s’approcher, ballerine entre les troncs, frêle et douce. Plus il s’approche, plus il grandit. C’est un cerf. Puissant, majestueux. Il passe à côté de moi, ma course folle s’arrête là. Je suis captivé par sa force, ses bois, son profil. Je dévore chaque détail, là une aiguille de pin prise dans le poil dru, les frémissements qui agitent ses muscle, la lueur de son oeil rond. Il tourne brusquement sa tête vers moi, plongeant ses deux prunelles dans les miennes. Non, laissez moi, je ne veux plus voir ça… Le côté gauche de sa tête est mangé par les mites, athrophié, tué. Pourrissant. Je sombre. Un trou dans le sol ? Un trou noir en moi. Je tombe en moi, je vois ma mère. Ses cheveux. Mon frère, mon père. Des animaux. Tout se brouille. Est ce que je meurs ? Mes démons. Ils ont des pattes chaudes de trucs vivants pas encore mort, un rire d’escalier froid, des cigales grouillantes dans les yeux. Ils sont sur mon lit, dans mon doudou. Ils chantent. Je crie. Je crie, encore et encore. Je veux juste partir.
-Très bien. Reposez-vous.
L’infirmière me retire les capteurs qui fleurissent partout sur moi.
Elle pue le parfum bon marché. Qu’est ce que je fiche là, à l’hosto ?
-Où suis-je? l’arrêtai-je d’une voix rauque alors qu’elle était au seuil de la porte.
-Mais… là où tout recommence.
Elle m’adressa un sourire Colgate avant de refermer la porte. Qui coule entre ses doigts. Une claque. Noir.