Liu as Liu
-Thé matcha et chocolat blanc ?
La servante me regardait, regard interrogateur et bouche en coeur.
-Non,je vous remercie, ça ira.
– Vous prendrez sûrement un smoothie à base de fruits de saison?
-Non, vraiment ça ne sera pas nécessaire…
-Allons, soyez raisonnable ! Faites moi au moins l’honneur de goûter à un de ces délicieux cupcakes!
J’obtempérais, et d’un geste mou je piocha à contrecoeur un de ces petits gâteaux au dôme bleu pastel.
-N’hésitez pas si vous désirez quelque chose encore. Il ne va plus tarder maintenant. L’affaire de quelques minutes, minauda t-elle en s’éloignant avec d’autres filles.
Je retournais machinalement le gâteau dans mes doigts. La pâte à sucre collait à mes doigts. Je soupirais et me repassait en boucle mon arrivée ici. Mes souvenirs étaient vaseux, parfois quelques petites bribes de clarté se faisaient entendre, mais elles étaient bien vite noyées dans la flaque boueuse de ma mémoire. Que s’était il-passé ces dernières minutes, heures ? Je ne savais plus. J’avais mal à la tête, mon corps entier envoûté par cette atmosphère gélatineuse et cet endroit étouffant. Un drôle de sentiment m’enveloppait toutefois. Un sentiment de familiarité. Je ne savais rien, juste que j’attendais quelqu’un. Sur un lit suspendu qui surplombait une grande mare languissante.
La silhouette d’un homme se dessina alors, devant le gros soleil aveuglant qui me lorgnait. D’un geste instinctif, je couvris mon visage de mes bras. Le cupcake que j’avais lâché roula à ses pieds. Il le ramassa, s’approcha encore.
-N’ayez pas peur. Je ne vous veux aucun mal.
Sa voix n’était pas mielleuse, mais grave et chaude.
-Vous n’avez pas l’air d’appréciez convenablement notre Garden Party.
-Qu’est ce que vous voulez ? Ma voix qui se voulait assurée se brisa sur la première syllabe.
-Vous ne me reconnaissez pas ?
Je plissais les yeux. Non, je ne connaissais pas ces yeux acier, ce nez droit et ce visage dur, qui dégageait néanmoins beaucoup de tendresse. Un personnage contradictoire. Je ne le connaissais pas, mais il me semblait… familier.
-Si vous ne savez plus qui je suis, reconnaissez vous au moins l’endroit? murmura t-il en englobant le panorama d’un vague geste de la main. Et les cupcakes ? Ah, vous ne l’avez point goûté. Goûté le.
-Je ne vois pas en quoi…
-Mangez.
Son ton était menaçant, mais se voulait tout de même rassurant. Je reportais mon regard sur le gâteau au glaçage fondu.
-Vous n’en ferez qu’une bouchée.
Je le toisai, et l’avala tout rond. J’allais éclater d’un rire nerveux, quand tout à coup…
Une cuisine. Celle de ma meilleure amie de l’époque, Ella. J’avais tout juste 9 ans. Sa mère chantonnait, elle préparait des gâteaux. Maintenant que je me souviens, des cupcakes. De toutes les couleurs, violets, roses, bleus… Bleus. Surtout les bleus, la couleur préférée d’Ella. Elle riait fort. Ce jour là, elle était de bonne humeur. Assises à la grande table de chêne, les deux fillettes que nous étions attendaient le moment où elles pourraient lécher la pâte crue du récipient. La mère sent bon la lavande et les mains lavées. Elle nous prend toutes les deux par les épaules, mais je sens ses doigts qui exercent une plus grande pression sur la mienne tandis qu’elle donne un baiser sur le front d’Ella. Je n’étais pas jalouse. Comment être jalouse d’une chose qui,à peine vient d’être donnée, est déjà terminée ? N’empêche que je me rappelle. Une mère, une cuisine, un gâteau, un baiser.
Les vacances suivantes avec Ella. Une maison à la campagne, un étang vert. Une dispute insignifiante. Un été trop chaud, un été provincial étouffant. Les cigales crient. Un petit chapeau de paille flotte sur l’eau. Plus loin,il y a une petite robe en dentelle blanche, avec plus rien dedans, qui se gonfle sous le vent chaud. Les cigales crient toujours, mais je me revois moi, immobile. Je l’ai regardé se débattre de mes yeux d’onyx inexpressifs. Je souriais. Moi je n’avais pas de mère, je n’en ai jamais eue. Ella n’en aura plus non plus. Depuis,les cupcakes ont un goût de larmes salées. Un crochet me tira par le ventre, je revins à moi d’un coup, comme après avoir failli se noyer.
-Je l’ai tuée, je l’ai tuée…sanglotai-je. C’était les seuls mots que vomissaient mes lèvres dégoûtées de ce petit gâteau circulaire.
-Vous n’étiez qu’une enfant. Vous avez juste… oublié cet épisode là. Je me charge de vous le remémorer. C’est mon travail.
Je levai mes yeux vides sur lui.
-Qui êtes vous?
-Un souvenir qui en tire un autre à la surface. Maintenant, partez. D’autres gens ont besoin de moi.
-Mais… dites lui… que je regrette. Je regrette.
-Ce n’est pas en mon pouvoir. Mais vous… Vous, vous pouvez.
Il me poussa violemment dans la mare, où je tombais dans un cri silencieux.