Miss Lovegood as Miss Lovegood
J’entrai dans cette nouvelle pièce et regardai autour de moi. Me voilà arrivé à Versailles ! J’étais bel et bien dans les somptueux et gigantesques jardins de Versailles, tels que nous les avions étudiés en histoire. Les bosquets étaient parfaitement droits, symétriques et géométriques. Pas une seule brindille ne dépassait. Derrière eux, de nombreux bassins ronds attiraient l’attention des gentilshommes et des gentilles femmes. Il y avait ensuite un grand escalier de marbre blanc, puis, plus bas, un immense bassin dont je ne voyais même pas les bords. De chaque côté de lui, de hauts arbres formaient deux labyrinthes. À ma droite, je pouvais admirer les rangées d’arbres fruitiers qui composaient le verger. De l’autre côté, il y avait un petit salon extérieur où étaient assises quelques dames qui discutaient tout en buvant du thé. Enfin, dans mon dos s’élevait le gigantesque Château de Versailles, avec toutes ses fenêtres, ses statues, ses tours et ses cheminées. Je regardai dans le reflet d’une fenêtre et vis un monsieur très élégant, poudré et vêtu d’une grosse perruque ainsi qu’un costume riche et imposant. Curieusement, ce monsieur était dans la même position que moi. Je me retournai pour voir s’il était derrière moi, mais ne le vis nulle part. A moins qu’il soit à l’intérieur de la pièce ? Non plus. Une idée me traversa l’esprit. Je baissai les yeux. Oui ! Oui, ce charmant monsieur était… moi ! Qui m’avait donc vêtu ainsi ? Et d’où provenaient ces bras, cette tête et ce corps ? Voilà qui était fort étrange. Je fis quelques pas et remarquai alors le poids que pesait un corps. Cela était bien plus lourd que ma fumée et chaque mouvement me demandait une énergie incroyable. Je marchai en direction du Château pour pouvoir trouver une porte, repartir le plus vite possible d’ici et redevenir un esprit léger. Soudain, à travers la foule des courtisans, je vis un visage familier. Alfred ! Que faisait-il donc ici ? J’accélérai le pas pour le rejoindre. Il était en pleine discussion avec une femme qui possédait de très grosses lèvres. Elle fronçait les sourcils et semblait être mécontente.
-Alfred… dit-elle, je ne pense pas que cela soit une bonne idée… le roi n’est pas vraiment d’accord, imagine que cela abîme les jardins ! Et l’eau, que va-t-elle devenir ? Elle tombera vers le ciel !
-Marie-Josette, je t’ai déjà dit des milliers de fois que les liquides changent eux-aussi de gravité ! répondit-il, énervé. A tiens, voilà Monsieur de Crally !
Il m’adressa un grand sourire. Après quelques instants de silence durant lesquels je compris que j’étais ce Monsieur de Crally, je demandai :
-Que voulez-vous faire, Alfred ? Quelle est cette histoire d’eau qui tombe ?
-Je ne vous avais pas déjà présenté mon projet la semaine dernière, dit-il en fronçant les sourcils.
-J’ai une fort mauvaise mémoire, pourriez-vous me le rappeler ?
-Mais avec joie ! J’ai enfin trouvé après de longues recherches un moyen pour échanger la gravité dans une pièce ! Nous nous retrouverions les pieds en haut et la tête en bas, ne serait-ce pas si amusant ?
-Vous avez déjà fait cela dans un autre lieu ? demandai-je, pour savoir s’il l’avait testée autre part que dans la pièce que j’avais déjà explorée
-Non, jamais ! Je suis si excité et anxieux, c’est la première fois que je teste ma machine !
Je restai interdit devant sa réponse. En effet, je me souvenais très bien de la pièce où la gravité était inversée. Nous marchions sur des nuages et le plafond était recouvert de fleurs. Dans cet endroit, nous avions justement rencontré Alfred, très fier de sa drôle de machine. Mais pourtant, il ne disait ne l’avoir jamais utilisée, alors que notre première rencontre datait de plus de six mois…
-Mais… vous êtes certain de ne vous être jamais servi d’un tel instrument ?
-Non, vraiment, répondit-il, mais pourquoi me demandez-vous cela ?
-Avez-vous déjà rencontré un esprit auparavant ? le questionnai-je au lieu de répondre à sa question
-Je ne vois pas de quoi vous parlez. Un esprit est une chose immatérielle et inexistante, dit-il d’un ton sec
Au même moment, la dame regarda longuement Alfred et battit des cils.
-Oh, mon cher, vous êtes si beau et si tendre…
Je fronçai les sourcils. Que racontait-elle ? Décidément, ces nobles étaient très étranges. Je lu dans les yeux d’Alfred que lui non plus ne comprenait pas la réaction de la charmante demoiselle. Soudain, il se tapa sur la tête en disant :
-Mais bien sûr ! Que suis-je bête !
Il examina la dame, puis décrocha un petit objet qui était sur sa veste et le colla sur mon costume.
-Et oh ! Que faites-vous ? lui demandai-je
-Je m’excuse sincèrement, monsieur de Crally, mais ne vous inquiétez pas, elle ne fait effet que pendant soixante-dix heures. Quant à moi, je vais aller tester ma machine dans une autre pièce ! Au revoir, mon ami.
Il se dirigea vers les bosquets. Tandis que je le regardais s’éloigner, une idée germa dans mon esprit. Je compris alors pourquoi notre rencontre n’avait pas encore eu lieu selon lui. Mais oui ! C’était forcément ça ! Versailles et sa cour. Nous étions actuellement au dix-sept siècle. Or, notre rencontre avait eu lieu en l’an 2014. Ce qui signifierait que pour Alfred, elle ne s’était pas encore produite… j’hésitai quelque instant quant à la logique de cette hypothèse. Elle ne paraissait pas très logique, justement. J’aurais bien aimé réfléchir plus longtemps là-dessus, mais mes jambes commencèrent à trembler de fatigue. Je décidai donc de rejoindre le Château pour trouver une porte suivante. A ce moment-là, la dame aux grosses lèvres me dit :
-Monsieur de Crally, vous êtes si romantique et si charmeur…
Elle recommençait son discours passionné. Immédiatement, j’enlevai le petit pendentif rose que m’avait offert Alfred et le jetai par terre, mais la charmante demoiselle continuait de me suivre en répétant toujours la même phrase.
-Alfred ! Alfred ! J’ai besoin de ton aide ! criai-je
Je le cherchai des yeux ; malheureusement pour moi, il avait pris beaucoup d’avance. Je courus pour le rattraper, dévalai les nombreuses marches, puis arrivai au gigantesque bassin.
-Mon chéri ! Mon chéri ! Attends-moi !
Je jetai un coup d’œil derrière moi : la dame descendait les escaliers sur les fesses, en ouvrant grand les bras dans ma direction. Je regardai de nouveau devant moi, mais Alfred avait visiblement profité de cette seconde d’inattention de ma part pour s’esquiver. Je décidai donc d’entrer dans le labyrinthe, mais ce ne fut pas vraiment une bonne idée. Je traversai quelques allées, en vain. Alfred avait bel et bien disparu, me laissant comme cadeau cette charmante dame. (Effectivement, elle avait réussi à retrouver ma trace et continuait de me suivre.) J’arrivai alors sur une petite place circulaire et vis devant moi mon ami inventeur. Il m’aperçut et remarqua la pot-de-colle qui me suivait toujours. Aussitôt, il se remit à courir et je continuai de le suivre. Nous arrivâmes tous les trois sur une petite place, au milieu de laquelle jouait un violoncelliste. Autour de lui, assises sur des petits bancs de pierre, des demoiselles vêtues de robes immenses et riches l’écoutaient attentivement et silencieusement. Alfred traversa la place, bouscula deux trois demoiselles et continua sa course. Ces dernières, offusquées, remirent leur perruque en place puis se rassirent en agitant leurs éventails. J’arrivai à mon tour et me pris les pieds dans une des robes, qui se déchira sous mon poids. La demoiselle cria, le violoncelliste s’arrêta de jouer, extrêmement mécontent contre la dame :
-On ne perturbe pas ma prestation, enfin, c’est impoli !
-Comment ça ! Vous devriez plutôt sermonner le marquis de Crally, il vient de déchirer ma robe !
-Oh toi, ça va, hein ! dit une autre demoiselle, j’aimerais bien écouter la suite du morceau, moi !
Je m’éclipsai discrètement et continuai de poursuivre Alfred. Quelques secondes après, j’entendis les dames hurler de nouveau. Je me retournai pour voir ce qui causait leur mécontentement. La dame folle amoureuse de moi avait elle-aussi interrompu le concert -mais elle, avait probablement foncé dans le violoncelliste puisqu’il était allongé à terre et son instrument gisait à quelques mètres de lui. Je reportai mon attention sur Alfred : oui ! Il s’était fait mal et avait donc arrêté de courir. Je le rejoins et lui glissa discrètement le pendentif rose dans sa poche arrière. Aussitôt, celui-ci me regarda lentement et dit :
-Monsieur de Crally… vous êtes su charmant et si délicat…
Quoi ? Ce n’était pas possible ! Ces philtres d’amour avaient un étrange fonctionnement. Je continuai de marcher, suivi par mes deux compagnons et arrivai alors au Petit Trianon. Mes jambes tremblaient extrêmement fort ; il fallait absolument que je trouve une porte rapidement. Par chance, le Trianon en possédait une, qui menait aux écuries. Je traversai donc la salle de spectacle extérieure, sous les regards étonnés des spectateurs, qui, à mon avis, se demandaient pourquoi deux personnes me suivaient et agitant leurs bras vers moi. J’ouvris donc la porte suivante et entrai dans une nouvelle pièce.