un gars… as un gars…
Carnet de Devhinn.
Pièce n°44.
Après avoir déposé non sans dernières larmes le corps du petit grand nain dans un renfoncement du couloir, je passe dans la salle suivante, d’où vient un « ploc-ploc » régulier. Là, je vois les elfes se rapprocher et se concerter, puis le plus âgé d’entre eux vient m’annoncer :
« Nous devons te quitter. Non pas car tu ne crains plus rien, ce qui est d’ailleurs faux, mais parce que nous ne ferions que t’encombrer dans ton périple, Devhinn. »
Tiens, il connaît mon nom.
« L’un de nous t’accompagneras, continue le vieil elfe, c’est Eno, ici présent (il désigna un jeune elfe planqué derrière un de ses camarades). Ses parents l’ont intégré dans notre groupe, mais il doit accomplir quelque chose avec une personne autre qu’un elfe pour faire partie intégrante de la garde de l’elfe du Temps. Il te protégera. »
Tiens donc, à peine je me retrouve seul qu’une autre personne me rejoint. Non pas que ce Eno me déplaise, mais je pensais passer un temps en solitaire avant cet événement de la femme du Château. Mais ma gentillesse étant plus forte que mon désir de solitude, je m’entends dire :
« C’est très sympathique de votre part et j’accueille Eno bien volontiers dans le groupe que je forme à moi seul. »
Je me chuchote : Mais c’est d’un ridicule !
Puis Eno s’avance timidement, et les autres disparaissent dans une gerbe de fumée violette.
C’est un jeune gars de mon âge, blond aux yeux bleus, avec ce genre de mèche toujours devant les yeux qui m’insupporte malgré moi. Il a l’air bien sympa, quoique timide, mais aussi franchement lourd. Il me lance un regard discret, puis fais mine de s’intéresser au tuyau orangé derrière nous. C’est une vieille gouttière rouillée, dont s’échappe des gouttes d’eau qui vont s’écraser dans une vasque au sol, de manière régulière et monotone. Surtout monotone. Et je n’aime pas ça la monotonie.
Et pour la rompre, je lance à mon nouveau coéquipier :
« Pourquoi tu fais partie de la garde de l’elfe du Temps ? »
Alors il me regarde avec un grand sourire, comme s’il attendait que je parle pour dire quelque chose. Puis il me réponds :
« C’est pas moi qui ais voulu en faire partie, c’est mes parents. Moi j’aime pas trop la guerre et tout ça. Je préfère imaginer, construire des choses, et tout ça. »
Une sentiment étrange me vient à l’esprit. Parler avec ce garçon me donne l’impression de parler à un petit frère, mais comme je n’en ai jamais eu… Je surprends son regard sur la pièce que je fais passer entre les doigts de ma main droite.
« On m’a un peu parlé de toi, dit-il, mais… Je préfère t’appeler « Devhinn » que « Un gars… » Je sais que l’elfe du temps t’a fait renaître, que tu as des pouvoirs magiques, et cette pièce, et du nain là, et…
– Et tout ça, je dis avec un sourire en coin.
– Ouai. »
Soudain nous entendons un grincement. Nous nous retournons, et la gouttière se tord bizarrement. L’eau arrête de s’écouler, et le vieux tuyau forme à présent un rectangle parfait. Je m’approche, soupçonneux, et remarque une inscription sur la porte :
« 84ème étage, porte sud. Il est temps. »
Une porte apparaît dans l’encadrement de la gouttière. Je fais un signe à Eno :
« Tu as toujours envie d’accomplir quelque chose ? Alors viens. »
Il s’approche. J’ouvre. Et je me sens comme aspiré…