Tout au bout du bord de l’extrême, derrière les dernières montagnes du Monde, s’élève le Château des 100 000 pièces Les murailles, et les tours et les étages de ce palais s’élèvent, à ce qu’il vous paraît, bien au-delà des nuages, au-dessus des cimes.
LA PIÈCE DES AUTOMATES
LA PIÈCE DES AUTOMATES

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LA PIÈCE DES AUTOMATES

Miss Lovegood as Miss Lovegood

Le camion freina brusquement. J’entendis des claquements de portes ; on était probablement en train de sortir la marchandise entreposée dans le véhicule. Qu’était-ce, d’ailleurs ? Oscar ne me l’avait pas dit. Je me tournai vers lui.

-Oscar ? Qu’est-ce que tu fais ? Attends-moi !

-Je vais la rejoindre, ne t’inquiète pas, reste sur le toit du camion, je reviendrai ici avant ce soir.

Il sauta et disparu, me laissant seul ici, dans un endroit qui m’était totalement inconnu. Je décidai de lui obéir et de l’attendre bien sagement ici, quand je me souvins d’Amélie. Elle était dans cette pièce ! Il fallait absolument que je la retrouve. Je descendis du toit du camion en me promettant de revenir ici avant ce soir. Malheureusement, les hommes qui déchargeaient le véhicule n’étaient pas encore partis. Je ne vis cependant aucune marchandise : les trois monsieurs s’occupaient certainement de la fermeture du véhicule. Ils m’aperçurent immédiatement.

-Un esprit ? Que fait-il ici ? Il y a dû avoir un problème dans la livraison.

-Non, je suis… je suis venu pour récupérer quelque chose, répondis-je le Dominateur qui m’envoie.

-Hum… bon, on va te laisser passer. De toute façon, si tu fais des bêtises, ça ne retombera pas sur nous mais sur les gérants des esprits. Tu dois aller où ? On peut t’y conduire, si tu as envie, le camion ne repart pas avant demain soir.

-En fait, euh… je cherche un corps…

-Un corps ? répéta-t-il, étonné

-Il n’y aura pas un endroit avec des gens sans esprit ? La personne que je cherche et que je dois conduire au Dominateur n’en a plus.

-Je vois. C’est une fille, dis-tu ?

-Oui. Elle est assez jeune, elle doit avoir treize ans.

-On va aller dans les salles souterraines de la Maison du Château. Elle doit sûrement travailler là-bas. Mais que fais-tu ici ? Les gens comme toi sont conduits à la Maison aux Esprits, normalement…

-Je suis un peu différent, dis-je précipitamment, et je travaille pour le Dominateur.

Nous empruntâmes un long escalier qui descendait dans les profondeurs de la pièce. Nous traversâmes un sous-terrain. Les couloirs étaient très étroits et le plafond particulièrement bas. Nous marchions dans une obscurité complète. Toute cette atmosphère le faisait penser à la prison du Dominateur. Je vis alors une petite lueur au lointain. Je pressai le pas, quand une sonnerie retentit. Mon guide sortit un drôle d’engin de sa poche, puis parla dedans. Je me retins de rire devant cette scène très comique : l’homme parlait à son objet ! Il referma son jouet, le remit dans son manteau et me dit :

-Je suis de service, on a besoin de moi là-haut. Je dois te laisser continuer tout seul, mais ne t’inquiète pas, le chemin est très simple ; tu dois juste avancer tout droit jusqu’à la lumière. Au revoir !

Il disparut aussitôt et je fus de nouveau seul. A vrai dire, cela m’arrangeait et rendait mes retrouvailles avec Amélie moins compliquées, le monsieur aurait pu avoir des doutes. Je continuais donc le chemin et voyais la lueur s’agrandir au fur et à mesure que j’avançais. Soudain, le couloir s’agrandit : le chemin était bordé de chaque côté par des grottes éclairées par ces fameuses lumières. Il n’y avait pas de porte, si bien que je pouvais voir l’intérieur des cavernes : quelques meubles de chambre : un lit de paille et une petite commode. Dans chaque grotte, je voyais une personne assise sur le lit. Elles étaient toutes dans la même position. Je m’approchais à chaque fois, pour voir s’il ne s’agissait pas d’Amélie. Je ne la trouvais pas dans la première allée. Parvenu au bout du couloir, je tournai à droite et empruntai un deuxième couloir, lui-aussi bordé par des petites grottes de chaque côté.
Soudain, je la vie. Elle était assise sur son lit de paille, le regard dans le vide. Je restai un instant immobile, incapable de faire le moindre pas. Je voulus lui dire quelque chose, mais les mots restèrent coincés dans ma gorge. Je l’observais quelques minutes, puis m’approchai d’elle. Elle resta immobile, sans doute ne m’avait-elle pas vu. Je pris une grande inspiration, puis dis :

-Amélie ?

Aucune réponse. Elle ne fit pas le moindre mouvement non plus.

-Amélie ? C’est moi, Esprit !

Je n’obtins encore une fois aucune réponse. Ma respiration s’accéléra.

-Amélie ! criai-je

Je lui pris et la remuai dans tous les sens. Elle était toute flasque et se laissait faire, comme une marionnette. Je pris son visage entre mes mains : ses yeux regardaient le vague, sa bouche était légèrement entrouverte et sa peau était d’une blancheur éclatante.

-Amélie ! Qu’est-ce qui se passe ? Est-ce que quelqu’un pourrait m’aider ? J’ai un problème !

Personne ne vint l’aider. Je levai Amélie et allai dans la grotte suivante, pour que la personne y habitant puisse m’aider. Malheureusement, elle-aussi était devenue une marionnette. Je courus dans la maison suivants, puis celle d’après, jusqu’à ce que je me rendis à l’évidence : tous ces gens étaient des marionnettes, des automates. Immobiles, ils fixaient tous le lointain et ne prononçaient pas le moindre mot. Je ne baissai cependant pas les bras. Il existait forcément pour les rendre normaux, vivants. Je mis Amélie sur mon dos et sortis du souterrain. Je courus, impatient de sortir de cette cave à fantômes. Je ne savais où aller. Cette pièce m’était totalement inconnue. De toute façon, cela ne m’importait peu : je n’arrêtais pas de penser à Amélie, à son regard vitreux et à sa peau blanche. Je me souvins alors du miroir. Amélie ne l’avait pas, et pourtant, c’était bien elle que nous voyions dedans. Où était-il passé ?
Mes pas me conduisirent au camion. Je m’assis près du véhicule, après avoir pris le temps d’installer Amélie. Celle-ci s’écroula immédiatement. Trop fatigué pour bouger, je la laissai avachie sur le sol. C’est en la regardant qu’un élément me sauta aux yeux.
Je ne pourrai pas. Je ne pourrai pas l’emporter avec moi dans les pièces suivantes. Se trimballer un corps n’aurait aucun intérêt et serait très encombrant. Il me fallait impérativement trouver un remède, sinon je devrais de nouveau être séparé d’elle. Je me promis de ne pas sortir de cette pièce sans l’avoir remise sur pieds. Mais, d’ailleurs, pourquoi était-elle, ainsi que les autres habitants des grottes, dans cet état ? Que leur était-il arrivé ?

-Esprit ! s’exclama une voix, tu as réussi à retrouver ton corps ?

-Oui. Mais tu ne devais pas m’aider toi aussi ? Ce matin, tu avais dit que tu partais la chercher.

-Je ne parlais pas de ton corps, mais de La Vieille Dame ! Depuis plus de six mois, elle attend ton arrivée ici et s’est enfuie de prison tout à l’heure, rien que pour te voir.

-Bonjour Esprit d’Amélie, dit une autre voix

Je levai la tête. Une dame assez âgée me souriait. Elle était toute petite, recroquevillée sur elle-même. Néanmoins, elle ne possédait pas de canne.

-Pourquoi voulez-vous me voir ? demandai-je. Et comment me connaissez-vous ?

-Doucement. J’ai énormément de choses à te raconter, mais commençons par le début. Prenons les choses dans l’ordre.
Il y a plus de dix ans, le Château a créé un marché aux esclaves, et, par conséquent, aux esprits : le Château avait besoin de ces esclaves pour entretenir son domaine. Ainsi, ses serviteurs lavent la vaisselle, font la cuisine, repassent le linge, nettoient les pièces, et cetera. Durant les premières années, ses esclaves étaient libres et pouvaient penser et réfléchir sans problème. Seulement, des rébellions ont éclaté. Le Château a perdu beaucoup d’hommes, à la fois dans son personnel et dans ses amis. Finalement, il en eut assez de ces révoltes et inventa un nouveau système : il décida de séparer les corps des esprits. En effet, lorsqu’on n’a plus d’esprit, on est incapable de penser. Il lança une sorte de maléfice sur tous ses esclaves : depuis ce jour, ils ont non seulement plus d’esprit, mais obéissent aux ordres du Château, donnés par la pensée. On dit qu’ils entendent la voix de leur chef dans leur tête, mais, à vrai dire, le Château n’a jamais révélé comment fonctionnait son maléfice. Quoi qu’il en soit, ses esclaves sont, depuis ce jour, des automates dépourvus de cerveau. Le Château a également créé une machine, qui permettait de séparer les corps des esprits. Quelques mois plus tard, il demanda au Dominateur de l’aider : en effet, il n’avait pas vraiment le temps de rechercher des gens naïfs dans le château. Ainsi, le Dominateur fut chargé de trouver des gens, puis de les séparer pour ensuite les emmener jusque chez le Château. En échange de cela, il reçoit une forte somme d’argent, bien sûr. Le Dominateur créa même un système pour que les personnes acceptent immédiatement : il exauce son veau le plus cher de la personne. Il le fait, mais emporte juste après la nouvelle recrue chez lui ; le vœu ne dure que quelques secondes.
Mais de nouvelles révoltes éclatèrent : les esprits, qui étaient libres, revenaient chez le Château pour y voler leur corps, comme tu l’as fait. Ce fut le Dominateur qui régla ce nouveau problème : il inventa une deuxième machine, capable de détruire les esprits. Le système fonctionnait à merveille : les gens étaient amenées chez le Dominateur sans que ce dernier ait à les forcer grâce au vœu, puis allaient à la Maison aux Esprits où ils étaient séparés. Leur esprit était détruit et les corps partaient tous chez le Château. Là-bas, il leur lançait le maléfice qui les faisait obéir à ses pensées et qui les soumettait totalement. Mais il y eut une petite faille dans le système : Amélie fit le souhait d’être séparé de son esprit. Personne avant elle n’avait demandé une telle chose. Le Dominateur fut contraint de lui obéir. Pour la première fois depuis de nombreuses années, il existait un esprit en liberté. Cela inquiéta grandement le Château, mais il finit par déclarer qu’un esprit seul n’était pas une grande menace.

-Comment savez-vous tout cela ? demandai-je

-La première partie, tous les habitants de l’antre du Dominateur et du Château la connaissent. C’est grâce à mon métier que je suis au courant de la deuxième. Je suis chargée de surveiller le système : je note sur un grand carnet toutes les recrues, et je coche lorsque leur esprit est détruit. Je surveille toutes les cargaisons envoyées par le Dominateur et vérifie la présence de chaque automate toutes les semaines, au cas où certains essayeraient de s’enfuir. Ta case n’était pas cochée. Cela m’a surpris et j’ai demandé au Dominateur pourquoi tu n’avais pas été détruit. Il m’a donc expliqué le vœu d’Amélie. Depuis de longues années, je ne supportais pas cette pratique, qui détruit des vies. J’ai rencontré par hasard Oscar, qui travaillait dans la Maison des Esprits à l’époque, et nous avons monté un plan ensemble. Une nuit, nous nous sommes introduits dans les souterrains où vivent les automates, pour aller les délivrer. Mais malheureusement, Oscar s’est fait prendre et est parti en prison. Depuis ce jour, les habitants des deux antres sont eux-aussi surveillés et les enfants sont sensibilisés : dès leur plus jeune âge, on leur explique qu’utiliser des gens innocents n’a rien de mal et que cela est tout à fait normal. Je ne suis pas certaine qu’ils m’aient vue, ce soir-là, mais je ne peux plus rien faire. Nous sommes obligés de leur obéir, sinon nous sommes directement envoyés en prison.
Et puis un jour, j’ai pensé à toi, en relisant mon registre. Tout le monde t’avait oublié. En premier, j’ai coché ta case sur mon registre et ai annoncé au Château et au Dominateur que tu avais été détruit. Je me suis dit que si tu venais ici, tu pourrais organiser une révolte. Mais pour cela, il fallait que tu fasses le chemin jusqu’ici et tu avais besoin d’un guide. J’ai cherché pendant quelques jours avant de trouver une idée. Je me suis métamorphosée en…

-Métamorphoser ? la coupai-je, comment est-ce possible ?

-Je possède certains pouvoirs.
Je me suis donc métamorphosée en Père-Noël et je t’ai offert un petit miroir dans lequel tu pouvais me voir, sous les traits d’Amélie. Je possède le même miroir que toi ; les deux sont reliés et peuvent communiquer. Le tien avait par contre un petit problème, il me semble, tu ne pouvais pas m’entendre. J’ai eu un peu peur au début : tu ne regardais jamais ton miroir. Cela m’inquiétait et m’étonnait : j’étais si certaine que tu allais vouloir discuter avec Amélie et la rejoindre. Heureusement, tu as commencé à le sortir l’hiver dernier. Mon plan fonctionnait parfaitement, mais les perles ont tout gâché. Le Dominateur est parti à la recherche de ses précieux bijoux et a ainsi découvert que tu étais toujours en vie. J’ai immédiatement été envoyée en prison pour mensonge. Mon plan entier s’était effondré. Je suis désolée que tu aies découvert aussi brusquement cette histoire d’automate. J’aurais voulu te l’expliquer plus en douceur.

-Madame, existe-t-il un moyen pour qu’Amélie redevienne normale ?

-Certes, une nouvelle machine en serait sûrement capable, mais elle est victime du maléfice du Château et tant que celui-ci demeure, nous ne pouvons rien faire.

-Alors, y a-t-il moyen pour rompre ce sort ?

-Non plus. Il disparaîtra en même temps que le Château. Si tu tues le Château, Amélie sera délivrée du maléfice. Mais le Château ne pourra pas mourir avant l’exploration des cent mille pièces. Il est lié à ce bâtiment à jamais, ce château le protège.

-Ils sont là ! J’ai retrouvé les deux prisonniers ! cria une voix

Trois policiers attrapèrent la Vieille Dame et Oscar et leur ligotèrent les mains derrière le dos, puis les firent monter dans leur voiture. L’un d’eux remarqua Amélie, la souleva et la mise également dans leur véhicule. Etrangement, aucun d’eux ne remarqua ma présence. La voiture démarra. Je la regardai s’éloigner au lointain, emportant avec elle Amélie. J’avais fait tout ce chemin pour rien. Je ne reverrai sans doute jamais Amélie. Alors, je me levai pour partir à la recherche de Caliorynthe, Om et Ara. Je vis par terre le miroir dont m’avait parlé la dame. Elle l’avait oublié. Je le fourrai dans ma poche, il pourrait sûrement m’aider à retrouver mes amis, puisqu’ils possédaient toujours le deuxième.
Je pris beaucoup de temps à trouver une autre porte. Je traversais des chants, des collines, des lacs et des routes et ouvris la porte suivante.
Je n’avais pas tenu ma promesse. Amélie n’était pas à mes côtés. Je m’étais interdit de sortir d’ici sans elle. Pendant un court instant, je fus tenté d’aller la chercher et de l’emmener avec moi. Mais l’image d’elle, gisant sur le sol, me dissuada. Alors, j’ouvris la porte suivante.

[Emmanuel : j’ai posté deux fois cette pièce. Cette version est la bonne. Celle d’en dessous est une erreur de ma part et il ne faut pas la poster. Merci ! ]

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