lolo as lolo (nouvelle JBsquatteuse et général en chef)
La chute était vertigineuse. J’avais l’impression qu’elle durait depuis des heures. Le vent me faisait pleurer et un cri jaillit de ma poitrine sans que j’en eu conscience, un cri de terreur remontant du fond des âges, le cri de la peur universelle, que chaque homme de chaque millénaire connaît. Il me fallut un moment pour me rendre compte que c’était moi qui hurlait. Yann avait les yeux exorbité, la bouche ouverte. Il avait tellement peur qu’il n’émettait aucun son. Livian était évanoui et ressemblait à un pantin désarticulé. Ahna, elle, était… inhumaine. Imperturbable, elle avait croisé les bras contre sa poitrine, se tenait droite, les pieds vers le bas. Elle respirait calmement et je serais prête à jurer que son cœur ne battait pas plus vite à ce moment là que lorsqu’elle dormait.
L’eau approchait de plus en plus, bouillonnante. Effrayante. Je fermai les yeux et attendit le choc. Il me semblait déjà sentir la violence de l’impact dans mes jambes. Je le voyais remonter dans tout mon corps, faire craquer mes os. Me disloquer comme une poupée. Mais non. Soudain le vent s’arrêta. J’ouvrais les yeux. Je flottais dans une pièce entièrement blanche, d’un blanc irréel qui faisait mal aux yeux. Je flottais dans une pièce de lumière pure. Je regardais autour de moi. Il n’y avait ni mur, ni plafond, ni sol. J’aurais pu être la tête en bas que ça n’aurait rien changé. Et la seule chose qui flottait avec moi dans la lumière, c’était la Mort. La Mort qui écrivait devant une machine à écrire posée sur une table.
« Je suis morte » me dis-je. La seule chose qui m’étonnait était de n’avoir rien senti. Mais bon, est-ce que je savais vraiment comment ça se pensait normalement ?
-Laetitia, appela la Mort sans lever la tête.
Je ne réagis pas et la fixait. Elle portait une grande cape grise dont la capuche lui couvrait le visage. Une faux était posée à côté d’elle. Elle correspondait exactement à l’image que je me faisais de la mort. Mais elle aurait pu avoir un tutu rose et un serre-tête à paillette, j’aurais quand même su que c’était la Mort. Ce sont des choses qu’on ne s’expliquent pas. Des choses dont l’instinct seul décide.
-Laetitia Vanst, répéta-t-elle. Elle ne parlait pas vraiment. Sa voix était juste une vibration de l’air, pas vraiment un son.
Je sursautai.
-C’est moi!
Ma voix à moi me sembla éraillée. Indigne de se propager dans un endroit comme celui-ci.
-Avance.
Je m’exécutai.
-Laetitia… Exploratrice… Equipe : un vampire, une guerrière sauvage…
-Cannibale.
Elle ne dit rien mais je sentis le point d’interrogation.
-Elle déteste qu’on dise sauvage. Si vous voulez vraiment mettre quelque chose, inscrivait cannibale.
-Equipe: un vampire, un guerrière cannibale et un prince des ténèbres.
-Un quoi!?
-Prince des ténèbres.
-Livian n’est pas un prince des ténèbres.
-Tu parles du présent. Ici, nous englobons le passé, le présent et le futur. Ce qui fut, ce qui est et ce qui sera n’est qu’un tout dont nous extrayons le principe.
J’étais perplexe. Mais d’autres questions me brûlaient les lèvres.
-La Mort ressemble à ça?
-Je ressemble à ce à quoi on me fait ressembler. Je ne suis que la mort, je n’ai pas de formes fixes.
-Où sont mes amis?
-Là.
Ils apparurent, allongés côte à côte, les yeux fermés.
-Nous sommes morts?
-Presque.
Je regardais la Mort sans comprendre. Une chaise apparût derrière moi. Je m’assis et songeai à tous ceux qui avaient « frôlés la Mort ». Moi, je prenais presque le café avec.
-Comment ça?
-Un pas d’un côté, vous vivez. Un pas de l’autre, vous mourrez. Vous marchez sans cesse sur le fil du rasoir. La mort n’est qu’à un frôlement d’aile de vous.
-Mais là il me semble qu’on en est bien près.
-Sans doute. Cette fois vous la voyez clairement. Elle n’est plus une ombre flou.
-C’est le moins qu’on puisse dire. Pourquoi on est ici ? Normalement c’est pas direct le trajet vie/mort ?
-Détrompes-toi. Chaque fois que quelqu’un va passer dans l’autre monde, il s’arrête là et je juge son sort. Et il marche du côté approprié.
-Et mes amis ?
-Tu décideras leurs sorts en même temps que le tien.
-Pourquoi ?
Cela me semblait injuste. Je ne pouvais pas décider pour d’autres. Et si je me ratais?
-L’Ordre Supérieur donne des ordres dont la signification nous échappe. Tu es l’interprète. Tu vas décider du sort de vous tous.
-Comment ? Je veux vivre !
-Ils le veulent tous.
-Je le veux pour quatre. Comment fait-on pour vivre ?
-C’est bien simple. Tu me prouves que ta vie vaut la peine d’être sauvée.
Une goutte de sueur roula sur ma tempe. Les choses se compliquaient.
-En quoi ? Toutes les vies méritent d’être sauvées.
-C’est vrai. Mais la plupart des vies ne ma plaisent pas. La tienne si. Elle m’est sympathique.
Je remarquai que depuis le début elle n’avait pas arrêté de taper sur sa machine d’un autre siècle.
-Et que dois-je faire pour conserver cette vie si sympathique et celles de mes camarades ?
Je me mordis la langue. L’heure n’était pas à l’ironie.
-Sympathique n’est pas le mot. Ta vie est différente. Tu es une Interprète. Et l’Ordre Supérieur a besoin de toi.
-Je ne comprends rien à ce que vous dites.
-Je vais t’expliquer. La plupart des gens que menaçaient une mort violente qui survivent après être passé par ici donnent un objet important en échange. D’autres ne reviennent pas dans votre monde et travaillent dans la Bibliothèque. D’autres offrent leur vie, retournent sur Terre mais doivent accomplir la ou les missions qui leurs sont confiées. Toi tu n’as rien à proposer et tu ne travailleras pas dans la Bibliothèque et n’accomplira pas de missions.
-Pourquoi ? La mission, ça me va très bien.
-Tu es déjà engagée par ailleurs.
-Alors ? Je dois faire quoi ?
-Tu acceptes ce que je vais te confier. C’est un lourd fardeau et la plupart refusent.
-Attendez, attendez! Chaque personne qui meurt passe par ici ?
-On peut dire ça.
-Alors celle que vous refaites vivre peuvent revivre encore ?
-Oui.
-Et ce à l’infini ?
-Non. Il y a des moments ou l’Ordre Supérieur intervient directement. Dans ce cas là, la personne n’a pas le choix.
-C’est l’Ordre Supérieur qui décide des morts ?
-Non. L’Ordre Supérieur voit tout, il voit chaque mort future. Mais ce n’est pas lui qui a décidé cette mort. Chacun a son libre arbitre.
-Pourtant il peut intervenir.
-Oui. Et c’est ce qu’il fait pour toi.
-Bien alors confiez moi votre… chose. Et qu’on en finisse.
-Tu ne diras pas ça quand tu sauras ce que c’est.
-Je dirai toujours ça. Ma vie seule ne compte pas, il y a les autres aussi.
-Très bien.
Le choc vint enfin. La douleur fut aussi intense que je m’y attendais. Peut-être même plus. Je m’enfonçai sous l’eau. Instinctivement, je nageais vers la surface.