Enfant des mers as Enfant des mers
Je franchis la porte. Mon cerveau marchait encore à cent à l’heure—j’essayais de trouver une manière efficace de me rendre dans le cachot d’Émerence— aussi, je ne remarquai la flèche qui filait vers moi que quand elle se planta dans la porte d’ébène derrière moi, m’arrachant un cri de surprise. Par réflexe, je positionnais une flèche sur la corde de mon arc et la tendis, bien que je ne voie pas l’archer, certainement dissimulé derrière la rambarde de l’escalier. Je restais immobile cinq secondes avant de m’avancer prudemment. D’après l’angle et la vitesse de la flèche, je dirais que je pourrais atteindre le tireur dans quatorze pas. Je fis mine de relâcher la tension dans mon bras et franchit les quelques mètres restants.
Aussitôt que je l’aperçus, la flèche fila. Puis une autre. J’envoyais flèche sur flèche, tout en courant. Lui aussi. J’évitai quelques une de ces flèches, mais l’une d’entre elle se planta dans ma cuisse gauche. Je retins une plainte, mais continuais à avancer. J’étais ravis d’avoir refait mon plein de flèches l’autre jour. Je ramassai quelques une de celles qu’il m’envoyait. Quand la distance entre nous se fut rapprochée, je rangeais mon arc et attrapai le cylindre attaché à ma ceinture. Au contact de ma main, le cylindre laissa place à une magnifique épée double qui avait fait la joie de mes parents. Son manche usée et ses lames grises et abimées étaient ce qui avait fait ma réputation, il y a bien longtemps. Maintenant… Elles étaient un outil de survie. Je la maniais avec habilité et précision, une précision telle qu’il ne m’était guère difficile de trancher les rares flèches qui venaient encore à mon encontre.
Le tireur ne semblait pas vouloir rester ici encore bien longtemps ; il regardait fréquemment le haut de l’escalier, reculant pas à pas. Je ne sais pas s’il cherchait à s’enfuir ou à appeler des renforts, mais dans le doute je m’élançais vers lui. Il fut forcé de lâcher son arc au profit d’un sabre, un katana d’une soixantaine de centimètres de long, à vue de nez et d’une rare beauté. Il se mit sur la défensive, tandis que j’attaquais. Il parait quelques un de mes coups, mais pas tous. Dommage. J’aurais bien aimé un combat équilibré, pour une fois. En moins de cinq minutes, il fut à terre, face contre terre, et je tenais ses bras derrière son dos.
—Qui es-tu ?
—Un ami.
Je ris.
—Oui, bien sûr. Et moi, je suis ta mère.
—Comment pourriez-vous être ma mère ?
OK. Ou cet homme est débile, ou il ne connait pas le second degré. Il continua.
—Tu es arrivée dans ce château il y a quelques jours et tu as rencontre le Château et les explorateurs qui le combattent, mais tu es née après moi ! Je ne pourrais pas être ton fils, voyons !
—Umm… D’accord ? Et maintenant, réponds-moi. Qui es-tu ? Pourquoi m’as-tu attaqué ?
—Je suis votre fils, et je vous ai attaqué parce que vous étiez ma mère.
Bon. Il est débile.
—Mais à part ça ? Votre nom ?
—Vous ne me croyez pas, affirma-t-il.
Qu’est-ce qu’il croyait ? Bien sûre que je ne le croyais pas !
—Je viens du futur. Une pièce du château m’a renvoyé vers le passé, et…
—Ton nom.
—Je peux vous le prouvez, si vous voulez.
—Pour la dernière fois, ton nom.
J’appuyais ma lame sur son cou, histoire qu’il comprenne bien.
—Ton nom est Sarale Kim Cealen Mag’Hil. Tu es la fille de la mer. Tu fais partie de l’ordre des korr…
—Qui es-tu ?
Cette fois, ce n’était pas de la frustration que j’entendis dans ma voix, ni de la colère. C’était de la peur.
—Je suis votre frère.
—Ah. Donc, vous n’êtes pas mon fils.
—Quoi ? Non, bien sûre que non. Qu’est-ce qui vous fait dire ça ?
Là, ma peur est repartie illico se blottir au fin fond de mon cœur. J’étais vraiment tombée sur un psychopathe. Je retins un soupir et enfonça ma lame dans son cou.
—Non, rien. Ton nom, s’il te plait. Je compte jusqu’à trois. Un. Deux.
L’homme se mit à trembler, puis ouvrit la bouche. Les mots sortirent à une vitesse ahurissante, si vite que j’eus de la peine à tout comprendre :
—« Liam. Liam Kailm. Ne me tuez pas, s’il vous plait. Le Château m’a engagé il y a deux ans pour surveiller les explorateurs du château. Il voulait que je l’avertisse dès qu’un d’entre vous semblait assez puissant pour lui poser un problème. Il disait que vous êtes une vraie plaie qui détruisait tout ce qu’il avait mis des années à construire. Que vous semez la haine sur votre passage, que vous ne laissez que des ruines partout où vous aller. Il ne voulait pas que vous réunissiez. Il ne voulait pas, oh non, il ne voulait pas… Il disait… Il disait que si vous trouviez un moyen… De… De vous rassembler, alors à un moment, vous comprendriez… Il nous a dit que si vous nous découvririez, vous nous tueriez. Que vous nous chercherai, nos exterminerai jusqu’au dernier. Et il était sûr qu’un jour… Vous sauriez tout. Et alors, alors, vous nous chercheriez… Vous nous chercheriez… Et je savais… Je savais, oui, Ella me l’avait dit… Ella… Oh, Ella… Ella !… »
Il délirait. Il délirait, et moi avec. Car ce visage, je l’avais déjà vu. Mais où ? Où ? Il gémit, et je desserrai légèrement mon emprise. Je ne savais toujours pas pourquoi il m’avait attaqué. Il marmonnait des mots que je n’arrivai pas à comprendre, des phrases sans queue ni tête :
—« Elle l’avait dit… La souris se retournera contre les chats… La sourie se changera en chat… Et l’aigle ravagera les autres… L’Aigle… Lakire roij ouon…. Jhiu uwoak atoa pure… »
Je cherchai une corde du regard, ou un objet quelconque mais n’en trouva aucun. Alors je décidai de le laisser là. Ce n’était pas prudent, j’en étais consciente, mais je n’allai pas rester ici dix mille ans non plus. J’entrepris de ramasser les flèches. Certaines étaient cassées, mais la plupart pourraient être réutilisées. Je les rangeais dans mon carquois. Je franchis la porte.