Tic-Tac-Toe as Tic-Tac-Toe
C’était une pièce simple, carrée, aux murs blancs décorés ça et là de tableaux. Un canapé se trouvait en son centre, face à une élégante table basse en verre. Mais ce qui m’étonna ne fut pas l’atmosphère étonnamment familière de la pièce — comme si je n’étais pas dans le Château, mais de retour dans mon petit monde humain et simple — mais plutôt l’étrange créature roulée en boule sur le canapé.
Ses poils noirs se soulevaient doucement au rythme de sa respiration, comme s’il dormait. Je l’aurais pris pour un chat s’il ne possédait pas de longues oreilles triangulaires beaucoup trop grande pour être celles d’un chat.
Je fis un pas, et ses oreilles tressaillirent. L’animal — en était-ce un ? — se releva lentement et commença à se lécher la patte d’un regard indifférent.
— Hum… Excusez-moi ?
J’aurais aimé comprendre pourquoi je parlais à un chat — ou, du moins, à quelque chose qui lui ressemblait. Peut-être que j’en avais tellement vu de ce Château que le fait qu’il soit doté de parole ne m’étonnerait pas ?
La bête releva la tête et me fusilla du regard. Ses yeux étaient d’un violet si vif que je fis en pas en arrière. Si les regards tuaient, je serai déjà mort.
Puis il retourna au nettoyage de sa patte. Indifférent.
— Monsieur le… Chat ?
Cela devenait de plus en plus ridicule. Je parlais à un chat. Je l’appelais « Monsieur ». Ce Château me rendait fou.
Les yeux de l’animal me transpercèrent de nouveau, mais cette fois ne retournèrent pas à sa patte.
— Je ne suis pas un chat.
C’était lui qui avait parlé. Ce chat — ou peu importe ce que c’était — avait parlé.
— On ne vous a jamais appris que fixer était impoli ?
— Vous… Vous parlez ? balbutiais-je, encore sous le choc.
— Certes, si nous sommes d’accord sur le sens du verbe « parler » !
— Alors, si vous n’êtes pas un chat… Qu’est-ce que vous êtes ?
— Eh bien, un xylophandre, pardi !
— Un… xylophandre ?
— Avez-vous des problèmes d’ouïe ?
Ce… « xylophandre » et sa façon de me prendre de haut commençaient à m’agacer. Je décidai d’essayer d’en tirer des informations.
— Est-ce que vous habitez dans le Château ?
— Mon histoire est bien triste. Souhaitez-vous l’entendre ?
Me figurant qu’une personne — ou animal — à qui parler ne me ferait pas de mal dans cet endroit solitaire, je pris place sur le canapé et l’écoutai.
— Je suis un xylophandre, issu d’un croisement entre un fennec et un chat. Mais je n’ai — à part celui-ci — aucun lien avec ces animaux sales et ingrats. Mon espèce est bien plus pure, supérieure aux leurs. La reproduction d’un chat et d’un fennec est normalement impossible, mais je suis un cas d’exception. J’étais censé mourir, cependant ma survie a été négociée en échange de mes services éternels dans ce Château. Me voilà donc coincé dans cette pièce depuis ma naissance et jusqu’à ma mort, avec pour seule utilité de conseiller les rares voyageurs visitant cette pièce.
— Des voyageurs ? Il y en a eu d’autres ?
— Très peu. Quatre ou cinq jusqu’à vous, tout au plus.
— Avez-vous par hasard rencontré…
— Mais trêve de bavardages. Je suis censé vous diriger vers votre prochaine destination.
— Et vous ? Vous allez rester là ?
— Pour toujours et à jamais.
— Je refuse de vous laisser là. Venez avec moi.
— Je ne le peux. Rappelez-vous, la négociation en échange de ma vie sauve ?
— Que se passe-t-il si vous essayez de passer à travers la porte ?
— Je n’ai jamais essayé. On me l’a interdit.
— Mais vous ne vous ennuyez jamais ici, à toujours faire les mêmes choses et à attendre que le temps passe ? Ne voudriez-vous pas découvrir le monde extérieur ?
— Je… Je suppose que si.
— Alors venez.
Hésitant, le xylophandre se leva et étira ses membres un à un, comme s’il ne s’était pas levé depuis plusieurs années. Puis il sauta par terre, et, d’une démarche fière, passa la porte que j’avais au préalable ouverte.
Je sortis aussi, et trouvai le xylophandre assis, regardant autour de lui d’un regard émerveillé. Puis il se tourna vers moi et me dis :
— Certes, je vous remercie.
— De rien, le plaisir est pour moi.
— M’accorderez-vous l’honneur de pouvoir vous accompagner dans votre quête ?
— Bien sûr.
— Au fait, quel est votre nom, brave explorateur ?
— Appelez-moi Tic-Tac-Toe. Et vous ?
— Moi ? Je crains de ne pas avoir de réponse à vous donner.
— Alors nous vous appellerons Brave.
— Brave ? Ça me va.
— Alors allons-y, Brave.