Tout au bout du bord de l’extrême, derrière les dernières montagnes du Monde, s’élève le Château des 100 000 pièces Les murailles, et les tours et les étages de ce palais s’élèvent, à ce qu’il vous paraît, bien au-delà des nuages, au-dessus des cimes.
LA PIÈCE DE NOEL
LA PIÈCE DE NOEL

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LA PIÈCE DE NOEL

la p’tite moustache as la p’tite moustache

De petites pellicules blanches tombent à mes pieds. Intriguée, je touche cette matière du doigt. Froide.
« De la neige… » souffle mon amie. Elle se tient à côté de moi, regardant tomber les flocons du ciel. Celui-ci est gris et brumeux, c’est un ciel d’hiver. J’ai du mal à croire que je me trouve à présent dans une pièce du Château. Les murs et le plafonds sont invisibles. Le décor semble si réaliste !
Un vent glacial siffle, nous gelant les os. Les flocons volent en tous sens, ils s’infiltrent dans mes habits. Je commence à être trempée avec cette neige qui n’arrête pas de tomber. Il nous faut partir d’ici au plus vite.
– Pff… A cause de ce fichu brouillard, on n’y voit rien ! Bougonne Garette.
– Avançons tout de même, proposai-je, il n’y a rien d’autre à faire.
Ma proposition fut accueillie sans trop d’enthousiasme et je dois avouer que la perspective de marcher indéfiniment dans le froid ne m’enchante guère. Mais c’est notre seule solution…
Nous nous mettons en route, luttant contre le vent et la neige, avançant sans savoir dans quelle direction aller. Bientôt, mes jambes sont engourdies et mes pieds frigorifiés. Nous parlons peu, car à chaque fois que l’une d’entre nous articule un mot, un nuage de fumée se forme devant notre bouche, ce qui semble augmenter le brouillard dans lequel nous sommes prises.
Au moment où je me dis que mes jambes ne tiendront pas un mètre de plus, une faible lueur s’allume au loin. Je l’estime à environ dix mètres de nous, une tâche qui s’avère difficile à cause de cette purée de pois. Je m’avance prudemment, craignant un mauvais tour du Château mais la lumière est bien là, faible et tremblotante, presque irréelle mais elle est là et ne semble pas provenir de mon imagination. Redoublant de courage devant ce signe de vie, j’attrape la main glacée de Garette, la tire en avant, courant, trébuchant, me relevant dans la neige en criant : « Viens, viens ! »
Nous arrivons bientôt, haletantes, devant une petite maison, qui se dresse, tout droite, devant une forêt de conifères. La maisonnette est en bois, le toit recouvert d’une épaisse couche de neige. Je m’approche et regarde à travers la fenêtre : un feu brûle joyeusement dans la cheminée.

Sans hésiter une seconde, Garette pousse la porte et entre, moi à sa suite. En temps normal, je ne serais jamais entrée dans la maison d’autrui sans y être invitée mais là, les circonstances sont particulières et je n’ai aucune envie de rester dehors, avec le vent qui a redoublé de violence.
Une fois, à l’intérieur, j’enlève ma veste et mon écharpe, les époussette de leur neige et les accroche sur un porte manteau. Puis, j’étudie la maison. Petite, mais bien chauffée grâce au feu, sommaire (les murs sont en pierre et les meubles en bois pour la plupart), mais très accueillante avec son côté rustique et confortable. Épuisée, je m’affale sur un des gros fauteuils rouges devant l’âtre, bercée par la chaleur, les craquements du feu et le bruit du vent soufflant au dehors.
Garette, elle, paraît retrouver des forces. Elle commence à fouiller, ouvrant les placards, regardant dans le garde-manger… Lorsqu’elle arrive devant moi, les lèvres fendues d’un grand sourire, portant dans une assiette une grosse brioche, je balbutie :
– Tu… tu es sûre qu’on peut…
– Mais oui, bien sûr qu’on peut ! Me coupe t-elle en riant.
Je reste sceptique mais lorsqu’elle me tend une part de brioche bien moelleuse, je décide d’oublier les bonnes manières et de plutôt écouter mon ventre qui, lui, crie famine. Je décide aussi d’ignorer les reproches scandalisés de ma petite voix qui n’a pas cessé de rouspéter depuis que nous sommes entrés dans la maisonnette.
Après ce délicieux dîner, je somnole dans mon fauteuil tandis que Garette regarde le paysage par la fenêtre.
– Incroyable… murmure t-elle, vraiment incroyable ! Orianne, tu devrais venir voir ! Le paysage est vraiment fantastique ! La neige a cessé de tomber, viens voir !
Je me lève à contrecœur et vais la rejoindre. La vue est belle, c’est vrai : Tout autour de nous, tout autour de la maison, de la neige immaculée recouvre le sol. Nos traces de pas ont depuis longtemps disparues et l’on a l’impression de se trouver devant une mer de nuages.
– Que c’est beau… dis-je.
– Oui, surtout lorsqu’on regarde au chaud à travers la fenêtre ! Renchérit Garette.
Nous éclatons de rire. C’est bon d’être là, à l’abri et en sa compagnie. Insouciantes, loin des dangers du Château. Ma mésaventure dans la pièce horloge n’est plus qu’un lointain souvenir maintenant. Je n’en garde seulement que quelques brûlures, qui ne me font plus mal depuis hier. Cette crème est un vrai miracle.
– Je vais rajouter une bûche dans la cheminée, m’informe mon amie.
Je l’entends à peine… Mes paupières sont si lourdes, soudain…

J’ai dormi. Trop longtemps. Le feu s’est éteint. J’essaie de le raviver péniblement, sans trop de succès.
« Brûle un peu de papier journal pour commencer » propose ma petite voix. J’exécute machinalement. J’ai fait un rêve étrange… Je ne m’en rappelle pas exactement, mais il était question du Château. Sa… sa femme (je crois que c’est sa femme) appelait à l’aide tous les aventuriers du Château des Cent Mille Pièces… Elle voulait combattre, j’ai sentit sa rage, son désespoir et son courage… Un rassemblement dans la pièce 1000. Où nous pourrons nous révolter, combattre, et qui sait, peut être même gagner. Mais qu’est ce que cela veut dire ? Emerence existe t-elle vraiment ? Dans ce cas, elle nous appelle réellement. Et si ce n’est qu’un rêve ? Un rêve, sortant tout droit de mon imagination… Comment le savoir ? Le seul moyen est d’interroger Garette pour savoir si elle a rêvé de la même chose que moi ou non. Si c’est le cas, ce rêve n’est pas un rêve mais un message, destiné à tous les aventuriers du Château pour combattre. Mais si ce n’est que mon imagination qui me joue des tours, cela prouve mon désespoir à l’idée de rester ici pour toujours.
Je n’ai pas envie de la réveiller maintenant. Elle est si sereine en train de dormir… Lorsqu’elle sera réveillée, je lui en parlerai. Et si elle a reçu le message mais refuse de chercher Emerence ? Je serai obligée de la quitter car je le souhaite, moi ce soulèvement ! Non, pourquoi ferai t-elle une chose pareille ? Par peur ? Je dois avouer que je suis moi aussi terrifiée à l’idée d’une bataille mais tout de même… Si cela peut nous permettre de rentrer chez nous… Ma famille doit se faire un sang d’encre à mon sujet !
« Non ! Tu ne dois pas penser à elle ! Inutile de remuer le couteau dans la plaie. »
Mon dieu, pourquoi ai-je fugué ? Qu’est ce qui a bien pu me passer par la tête ?
« Orianne… »
Un craquement sec me fait sursauter et chasse pour le moment mes idées noires. J’écarquille les yeux. Deuxième craquement. Cette fois, aucun doute, cela vient de la cheminée. Je m’écarte précipitamment lorsqu’un troisième craquement, plus fort que les deux autres retentit. De surprise, j’en lâche mon paquet d’allumettes. Garette ouvre les yeux et me lance d’une voix pâteuse depuis son fauteuil :
– C’est toi qui fait tout ce boucan, Orianne ?
Je secoue la tête et hausse les épaules pour lui montrer que je n’en sais pas plus qu’elle. Je fixe mon attention sur la cheminée. Je ne peut retenir un cri de surprise lorsque une petite main apparaît au milieu des cendres. Je plaque ma main sur ma bouche et recule plus encore si cela est possible.
Cette main, rattachée à un bras, pousse les quelques bûches et feuilles que j’ai vaguement empilés pour se frayer un passage. Un bonnet surgit, une tête à sa suite et bientôt, un petit bonhomme haut de vingt centimètres se dresse devant nous, debout dans l’âtre. Il nous regarde de ses petits yeux gris, son visage ne trahissant aucun étonnement.
Il nous dit simplement :
– Il ne va pas tarder.
Et disparaît aussi soudainement qu’il était venu.
Nous restons un moment silencieuses, encore sous le choc de la rencontre avec ce « lutin ».
– Tu as vu ? On… on dirait qu’il s’attendait à nous voir ici !
Je me tourne vers Garette. Droite et immobile, elle regarde la cheminée, perdue dans le vague. Aucune de nous ne pense à rallumer le feu. Nous attendons en silence, la lumière des dernières braises s’éteint petit à petit et le froid retombe doucement. Nous attendons qu’ « Il » arrive.
Mais qui donc ? Le Château ? Mon cœur se met à battre très fort soudain. Le court instant où nous nous sommes trouvés face à face me donne encore froid dans le dos.
Je me crispe quand la porte d’entré grince et je ne peux m’empêcher de trembler lorsque je vois la poignée s’abaisser avec lenteur. La porte s’ouvre brusquement et dans l’encadrement, se dresse une silhouette massive, énorme comme celle d’un géant. Ses pas lourds retentissent et font craquer le plancher. Le géant s’avance vers nous et une violente bourrasque fait claquer la porte derrière lui.
– Ah… oui. Hernest m’a prévenu de votre arrivée.
Sa voix est grave et profonde, un peu enrouée à cause du froid. Hernest ? Sûrement le lutin de tout à l’heure…
Mon cœur cogne de plus en plus fort et, comme s’il devinait ma trouille, l’homme vient s’asseoir juste à côté de moi.
C’est à ce moment là que je découvre son visage. Il en cache la moitié avec une longue barbe blanche et fournie, il a un gros nez, des yeux gris et des cheveux blanc et bouclés recouverts d’un bonnet rouge à pompon. Ses habits et son grand manteau sont assortis à celui-ci.
Je rassemble les facettes du puzzle et je pense : « Le père Noël ! »
Il se tourne vers moi et plante ses yeux rieurs dans les miens. Mince… Sans m’en rendre compte, je me suis exprimée à haute voix…
– Ce n’est que maintenant que vous me reconnaissez ? S’écrit-il. Je ne vous cache pas que je suis très déçu… Et dire que j’ai bercé votre enfance !
– C’est que… commence Garette, on nous a dit que vous… enfin on nous a raconté que vous n’existiez pas… -elle rougit- Maintenant tout le monde sait que ce sont nos parents qui déposent les cadeaux au pied du sapin !
Le père Noël passe sa main dans sa barbe.
– Hum… C’est plus grave que je ne le pensais. Depuis ma disparition, ils ont été obligés de reprendre mon travail !
– Vous vous trompez, rétorque mon amie, ils l’ont toujours fait ! Depuis le début, vous n’êtes qu’une légende que l’on fait croire aux petits…
LPN (on va l’appeler comme ça c’est plus simple, non?) se penche en avant et la regarde avec insistance. Aussitôt, Garette perd un peu de son audace.
– Ma petite, commence t-il, tu ne me crois pas et c’est bien normal. Pendant toutes ses années depuis mon enlèvement, on vous a bourré la tête d’idioties à mon sujet. Quelles idioties ? Par exemple, mon traîneau n’est pas tiré pas des rennes. Comment pourrais-je faire le tour de la Terre en une nuit seulement avec un traîneau tiré par des rennes ? Les rennes volent très mal vous savez, je préfère utiliser les papillons… Mais peu importe ! Nous avons tout notre temps devant nous et je vais en profiter pour vous raconter mon histoire. Ainsi, vous déciderez si en fin de compte je dis la vérité ou non. Mais en attendant mais en attendant, je vais nous faire du thé et rallumer un feu dans cette cheminée, on se gèle ici !
LPN se lève et assemble du bois dans l’âtre, qu’il recouvre de papier. Il gratte une allumette, la jette au milieu, ajoute quelques pommes de pin et le feu recommence à partir. Je me sens un peu vexée : En seulement une minute, il a relancé le feu alors que moi j’ai galéré au moins un quart d’heure, et sans succès. LPN se dirige ensuite à la cuisine. Il met une vieille bouilloire sur le gaz, la remplie d’eau. Je viens l’aider à trier les feuilles de thé. Garette, elle, reste à bouder dans le canapé. Apparemment, elle n’a pas trop apprécié que le père Noël se soit gentiment moquée d’elle. A moins que ce soit le fait d’être appelée « petite » qui l’ai refroidie.
Je dépose les feuilles de thé dans la théière. La bouilloire siffle. Un instant plus tard, nous sommes tous les trois devant la cheminée qui crépite joyeusement, une tasse de thé fumante à la main. Et le père Noël commence son histoire.
« J’ai été enlevé. Un matin comme les autres, discrètement. Personne ne s’est rendu compte de rien. C’était, à coup sûr, un plan du Château. J’avais vaguement entendu parler de lui, je savais que c’était un terrible magicien qui avais des pouvoirs dépassant l’impossible. Il est venu et m’a capturé. Il avait l’apparence d’un jeune homme vêtu de noir (je me raidis sur mon siège). Il m’a enfermé chez lui, dans cet immense manoir. Je ne sais pas trop ce que c’est, je ne suis jamais sortit de cette pièce géante, qui ressemble à mon ancienne maison et à son grand jardin.
Le Château est fier, c’est un défaut dont il faut tirer profit lorsqu’on se trouve face à lui. J’ai réussi à le persuader de me raconter certaines choses. J’ai appris qu’il avais jeté un sort d’amnésie à tous les habitants, tous les hommes, pour leur faire oublier que j’existe vraiment. Maintenant, ils me racontent en légende pour leurs enfants, puis, quand ils sont plus grands, leurs avouent mon inexistence. Les hommes ont prit ma place, mon travail… Ils m’ont oublié et moi,cela fait vingts ans que je demeure dans cette pièce et, en vingt ans, vous êtes mes seuls visiteurs… »
– Et les derniers, achevais-je sombrement.
Devant sa mine stupéfaite, je lui explique que les pièces du Château ne peuvent être visités qu’une fois et qu’après, elles sont détruites et remplacés par d’autres. Ce qui veut dire que le père Noël disparaîtra lorsque nous sortirons de la pièce. Ce qui ne saurai tarder étant donné que je me suis décidée à retrouver Emerence. Mais ça, je ne suis pas disposée à en parler devant lui.
Le père Noël a soudain l’air abattu. Je sais ce qu’il va nous proposer pour qu’il reste en vie mais nous ne pouvons pas rester dans cette pièce indéfiniment ! Ce que je lui dit.
Garette ne semble pas être dérangée par la perspective d’abandonner LPN ici, je pense qu’elle ne l’aime pas beaucoup… Pour le moment, on peut dire que ça m’arrange, je n’ai pas à répondre à ces questions. Mais peut être qu’elle a reçu le message d’Emerence et comprend ainsi mon choix, terrible est il.
– Je suis vraiment… désolée, je bafouille maladroitement.
– Oh, ce n’est rien…, soupire t-il, je ne peux pas vous en vouloir. Je n’ai jamais aimé vivre ici de toute manière. (il regarde sa montre) Ciel ! Je n’ai pas vu l’heure passer ! Le temps de partir en tournée est venu !
Je ne cache pas ma surprise :
– En tournée ? Vous… vous voulez dire… (je jette un coup d’œil à mon amie, elle semble aussi hébétée que moi)
– J’aime mon travail, nous dit-il, je n’ai pas eu le cœur de le laisser tomber. Mais, peut être souhaitez-vous m’accompagner ce soir ? (je reste silencieuse. Garette hoche la tête frénétiquement) -il sourit sous sa grosse barbe- Aller, finissez votre thé et suivez moi. Mais je vous préviens, il fait froid dehors. Hernest a déjà chargé le traîneau.
La perspective de notre compagnie a parut le réjouir. Je pose ma tasse sur la table et remets mes habits devenus secs. Garette fait de même à mes côtés. LPN s’absente un instant, et j’en profite pour interroger Garette. Depuis notre rencontre avec le père Noël, nous n’avons pas eu une seule conversation privée.
– Tu le trouves comment toi ce… père Noël ?
– Sympathique, me répond elle en haussant les épaules. Un peu vieux-jeu et puis il se la joue un peu je trouve. Je suis sûre qu’il nous a proposé de l’accompagner sur son traîneau pour pouvoir la ramener durant la tournée !
– Je n’avais pas vu les choses sous cet angle… Moi je pense qu’il a juste besoin de compagnie, tu imagines : vingts ans tout seul dans cette pièce…
– Il n’est pas tout seul, il a Hernest voyons ! Moi je te dis ma vieille, on se fait draguer par le père Noël ! La classe !
Je rie malgré moi. Qu’il nous drague ou non, cela ne résout pas mon problème… LPN revient aussitôt, équipé pour la tournée des cadeaux. Je serre les dents. Je ne sais toujours pas si Garette a fait le même rêve que moi, et au fond, je ne sais même pas si sa réponse, quelle qu’elle soit, va me réconforter.

Nous sortons au dehors. Je me retrouve comme je l’étais quelques heures au paravent, les pieds dans l’épaisse neige. Le père Noël avance à grands pas. Sa silhouette massive est faite pour lutter contre le froid mordant et les tempêtes de neige.
– Venez m’aider à dégager le traîneau, nous hurle t-il à cause du vent.
Nous nous approchons de lui. Il se tient près d’un engin couvert d’une bâche pour le protéger de la neige. Des flocons volent en tourbillons autour de nous. D’un mouvement brusque, LPN soulève la bâche et je découvre enfin le fameux « traîneau ». Il est assez grand et pas du tout comme je l’imaginais. En réalité, il ressemble plutôt à un canapé, recouvert d’une tente, fixé sur des skis.
– Mon vrai traîneau n’est pas ainsi. Celui ci, je l’ai fabriqué avec des objets trouvés sur place, s’excuse t-il.
– Je le trouve parfait, murmure Garette.
LPN a l’air ravi :
– En voiture ! Nous lance t-il.
Garette et moi nous asseyons confortablement à l’arrière. LPN nous tends une couverture pour nous protéger du froid et du vent. Blottie au chaud, je remarque à peine Hernest qui arrive avec le troupeau de papillons. Ceux-ci sont énormes avec des ailes colorés. Il les attache au traîneau puis nous souhaite bonne chance. Le véhicule décolle avec une violente secousse qui fait voler de la neige. Nous prenons rapidement de la hauteur. De là où nous sommes, Hernest n’est plus qu’une frêle silhouette tenant une lampe au milieu du brouillard retombé.
Un détail me traverse l’esprit. Je demande à notre conducteur :
– Mais au fait, dans le Château, à qui livrez-vous des cadeaux ?
– Aux étoiles ! Crie LPN, et il part dans un grand éclat de rire.
Garette me regarde. Elle est aussi étonnée que moi. Je me penche par dessus bord. Le traîneau file à une vitesse ahurissante et nous ne voyons plus le sol. J’ai froid tout d’un coup et l’air est chargé d’humidité. Puis tout redevient normal. Je comprends alors que nous avons traversé un nuage. A présent, nous sommes au dessus du brouillard et le ciel est clair.
C’est alors que je les voie. Elles occupent tous le ciel en quantité astronomique. Il y en a partout. Des grandes, des petites. Des lumineuses, des presque éteintes. Allant du jaune le plus foncé au blanc crème.
– Tu as vu ces étoiles ? Murmure Garette, elles ne sont pas pareilles chez nous.
– Bien sûr, puisque celles-ci ne sont pas réelles, ce ne sont que des créations du Château. Nous rappelle le père Noël. L’avantage, c’est qu’elles sont beaucoup plus aimables ajoute t-il.

Une demi-heure après,nous nous approchons de l’une d’entre elles. Cette étoile est assez petite, elle est ronde et de couleur jaune-orangé. Nous atterrissons. Je mets le pied à terre. Le sol est terreux, comme de petits graviers. Le père Noël descend à ma suite. Soudain, une voix claire et féminine retentit de nulle part :
– Je suis contente de vous revoir père Noël. Vos visites se font de plus en plus rares… Mais, tu as amené de la compagnie ?
LPN nous pousse en avant :
– Oui, ces jeunes filles sont venues me rendre visite dans ma pièce. Les filles je vous présente Enora, l’étoile du Midi.
– Oh, enchantée de faire votre connaissance mesdemoiselles.
– Heu… merci… vous aussi… je réponds maladroitement, peu habituée à parler à un être invisible, surtout une « étoile ».
Celle-ci se désintéresse vite de nous.
– Que m’as tu apporté cette fois ? Dit elle d’un ton curieux.
LPN fouille dans son sac, pestant contre la mauvaise qualité de la fermeture éclair, puis en sort un paquet rond, emballé dans du papier kraft. Il le déballe et en sort une grosse perle violette. Enora semble enchantée de ce présent car elle se confond en remerciements.
– Enora est la sage des étoiles, nous dit LPN, c’est la plus vieille et la plus savante d’entre toutes.
« Parles-lui de ce qu’elle deviendra ainsi que les autres étoiles, le père Noël et Hernest lorsque nous quitterons la pièce » me conseille ma petite voix.
Mon cœur se serre. Je n’avais pas réalisé que cette pièce contenait autant de monde et l’idée de les voir tous disparaître me répugne. Je prends donc mon courage à deux mains et expose à Enora notre problème.
« Ne vous inquiétez pas. Vous aviez deviné en partie juste. Une fois explorés, les pièces du Château disparaissent et se changent en autres. Sinon, comment ce château pourrait contenir cent mille pièces ? Les objets de ces pièces se retrouvent dans la Pièce fourre-tout que vous avez exploré et celle-ci est indestructible. Les personnages des pièces, mes enfants, se retrouvent tous dans une autre pièce, la pièce des Captifs. J’ai entendu dire par mes sœurs qu’une révolte gronde à l’intérieur, les habitants involontaires du Château veulent se libérer. Lorsque vous sortirez de cette pièce, nous nous retrouverons avec eux et prendrons part à la bataille imminente. Le temps du soulèvement approche. » nous explique t-elle.
Le moment me semble opportun pour révéler le message reçu de Emerence. Garette me jette un regard étonné puis approuve fermement mes paroles. Je comprends qu’elle a fait le même rêve que moi. Ce qui veut dire qu’Emerence est réelle ! Cette femme du Château compte vraiment mener la révolte ! Cette perspective me réjouie ; j’ai une chance de rentrer à la maison !
Enora soupire :
« Ainsi donc les aventuriers souhaitent se rebeller eux aussi. Cela ne m’étonne pas trop mais ils ont pris du temps à réagir ! Le plus grand défaut des Hommes est qu’ils doivent toujours avoir un chef pour les guider. Mais je reconnais que sans eux, nous ne serions pas aussi nombreux dans la pièce des Captifs.
La bonne nouvelle est qu’avec tous les aventuriers qui se retrouverons dans la 1000ème pièce et tous les habitants de la pièce des Captifs, nos chances de victoires augmentent. »
Le père Noël reste interdit.
– Comment se fait-il que je ne sois au courant de rien ? proteste t-il. Un soulèvement est en marche et l’on ne me dit rien ! (il se tourne vers nous) Qu’avez vous l’intention de faire ?
Garette réfléchit et répond, songeuse :
– Alors… Déjà pour commencer, trouver la sortie de cette pièce afin de, ensuite partir à la recherche de Emerence. Nous avons l’intention de prendre part à la révolte pour quitter ce Château et retourner chez nous. (elle se tourne vers moi, cherchant mon appui. J’acquiesce.) Lorsque nous sortirons de cette pièce, vous vous retrouverez chez les Captifs mais c’est ce que vous souhaitez, non ?
– Et moi dans tout ça ? Demande LPN. Que vais-je faire ?
– Ce que vous souhaitez, réponds Enora. Soit nous suivre dans la pièce des Captifs et prendre part à la révolte avec nous, soit suivre ces jeunes filles dans leur recherche de la femme du Château. Dans les deux cas, ce n’est pas de tout repos, ajoute t-elle.
Le père Noël réfléchit longuement.
– Si je pars avec vous, je visiterai d’autres pièces, n’est ce pas ? Certaines sont dangereuses, à ce que j’ai entendu dire… Rejoindre directement la pièce des Captifs me semble plus simple. Néanmoins, je ne peux pas vous laisser affronter des dangers que j’ignore dans mon dos ! Ma conscience ne me le permettrait pas. (Garette m’adresse un clin d’œil) Non, se reprend t-il, je vais demander à Hernest de vous accompagner, afin qu’il veille sur vous. Il aime l’aventure et s’est toujours ennuyé ici de toute façon…
– Sage décision, commente l’étoile du Midi.
– Attendez, vous oubliez un détail important ! J’interviens. Soit, nous partirons à la recherche d’Emerence avec Hernest mais une question s’impose : Où diable se trouve la sortie de cette pièce ?
Le père Noël secoue la tête, l’air navré…
– Aucune idée… Nous ne pouvons pas quitter cette pièce sans aventuriers, alors jusqu’à maintenant, je n’ai pas vu de sortie…
– Vous la trouverez dans la maison, murmure Enora. Je ne peux pas vous en dire plus, c’est à vous de trouver. Au revoir jeunes filles, je suis sûre que nous nous reverrons.
J’ai le cœur un peu serré de quitter l’étoile du Midi, mais je remonte sur le traîneau. Je voyage du retour se déroule sans un mot. Nous ne continuons pas la tournée, Enora se chargera de prévenir les autres étoiles du cours des événements.

Nous fouillons de fond en comble la maison du père Noël afin de trouver la sortie de cette pièce. Nous mettons tellement le bazar qu’Hernest débarque pour nous demander la raison de ce désordre. Cela tombe bien, il nous fallait lui parler. Il reste impassible lorsque LPN lui annonce qu’il va nous accompagner dans notre exploration et nous jette à peine un regard. Il se comporte comme si cette mission lui est égale. C’est tout de même lui qui trouve la sortie de la pièce. La porte se trouve dans la vieille armoire en bois, tout au fond, derrière les manteaux. Je ne peux m’empêcher de penser à Narnia avec ce passage caché. J’espère juste ne pas me retrouver en face d’un lion en pénétrant dans la pièce suivante.
Le père Noël remplit nos sacs de provisions et nous sommes prêts. Il nous embrasse avec émotion et je suis moi aussi un peu triste de le quitter. Je me suis attachée à ce vieux bonhomme. Je me raccroche à l’idée de le revoir.
– A la prochaine, nous murmure t-il, la voix brisée.
Nous entrons dans l’armoire et avançons à tâtons au milieu des manteaux. Hernest est à côté de moi et il m’arrive aux genoux !
« Avec un tel protecteur, nous avons toutes les chances de survivre… » dit ma petite voix d’un ton sarcastique. Je souris. Heureusement, dans le noir, personne ne s’en aperçoit. Je suis heureuse. Garette et moi allons prendre part à la rébellion. Je vais bientôt rentrer chez moi !
Avant de pénétrer dans la prochaine pièce, je me retourne une dernière fois, à temps pour voir le père Noël agiter la main, les yeux humides. Puis je continue mon chemin, et sans un regard en arrière, m’enfonce dans le noir.

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