Ewen as Ewen
Le puissant courant d’eau de mer qui me suivait me projeta à une vitesse effroyable dans ma troisième pièce. Le sol n’étant pas au même niveau que la précédente, mais au moins une dizaine de mètres plus bas, je fus entraîné dans une sorte de cascade, mes bras devant ma tête pour me protéger du choc futur. Pourtant, il ne fut pas aussi brutal que je l’attendais. La cascade termina sa course non pas sur du béton, de la terre, ou, au mieux, du sable, mais dans une petite cuve d’eau, précédant un petit ruisseau qui devait résulter des passages des précédents aventuriers. Le ruisseau, possédant un faible débit, ne m’empêcha pas de me relever et de poser pied sur la terre ferme. J’observai alors avec attention les alentours : je me trouvais sur un chemin de terre, plat et égal, bordé d’un petit cours d’eau à ma gauche. De l’autre côté du ruisseau ainsi que sur ma droite figurait une vaste et dense forêt tropicale, peuplée d’acajou, de ficus, de fogo, de palétuvier, de sébestier, de palmier et de bien d’autres espèces encore. Les arbres étaient légèrement pliés vers l’intérieur, ce qui faisait que le chemin de deux mètres de large sur lequel je me trouvais était presque plongé dans l’obscurité, seul une vingtaine de centimètres de large, entre les arbres de gauche et ceux de droite, laissaient passer la luminosité. Je pouvais donc apercevoir le ciel gris et terne, dénué de soleil. Je fis quelques pas en avant, accompagné du doux son de l’eau sur les nombreux galets, me demandant ce que me réservait cette pièce. Le chemin de terre s’étalait sur environ un kilomètre en ligne droite avant de tourner vers la gauche, suivant en fait le cours d’eau. Aucune porte n’était visible, et mon coeur me déconseillait de traverser la forêt, qui semblait mauvaise et hostile, comme si les plantes et les arbres portaient un mal quelconque. Je me mis donc en tête de marcher sur le chemin, autant que je le pouvais.
Il faisait chaud, et l’eau, qui m’avait entièrement trempé à l’entrée de la pièce, avait rapidement séchée, par quelque maléfice étrange. Ma marche silencieuse et rapide me faisait suer et j’avais l’horrible impression d’être poursuivi. La forêt semblait emplie d’yeux, s’ouvrant à mon passage, et se refermant immédiatement après moi. J’avais peur, j’étais terrorisé. Mes pas étaient lourds, mais néanmoins rapides. Je tournai ma tête de tous côtés pour m’assurer d’être seul sur le chemin, mais cela ne me rassurait aucunement. Une inquiétante mélodie – sombre et funeste – résonnait dans ma tête, tintant comme le glas de ma mort. Mais je continuais ma marche silencieuse et probablement vaine. Je ne me décourageais pas.
Le chemin était sombre, tout comme la forêt, et mon esprit semblait le devenir aussi. Je ne me sentais plus maître de moi-même, je marchais, et c’était le seul ordre que je parvenais à donner à mon corps.
Des tambours. Ce fut le premier véritable indice d’une présence étrangère dans les bois brumeux, terribles et graves. De plus en plus fort; de plus en plus nombreux.
Je courrais.
Eux aussi; car le sinistre retentissement des tambours paraissait encore se rapprocher. L’ouïe m’était totalement revenue et je percevais ainsi un nouveau bruit : des pas, par centaine, qui faisaient vibrer le sol terreux du bois et me donnaient une nouvelle énergie pour ma course effrénée. J’étais arrivé au virage, que j’avais aperçu au début de ma marche. En face de moi, je vis une chose inespérée: la Porte. Seulement cinq cents mètres me séparaient d’elle, et je sentais que je pouvais y parvenir avant que les étrangers ne m’attrapent – et, par la même occasion, me tuent.
Je courrais, sans jamais me retourner, donnant toutes les forces qui me restaient à la course. Mes pas étaient redevenus légers, et une douce sensation, comme si je volais, m’envahissait. Pourtant, mes pieds touchaient bien le sol et mes ennemis se rapprochaient encore et toujours. Je les entendais chanter et leurs voix me glaçait le coeur. C’était une chanson guerrière, terrifiante.
Du sang.
De la chair.
Ecoutez ce murmure angoissant.
Et sentez cette odeur dans l’air.
Du sang.
De la chair.
En avant, qu’on l’attrape !
Qu’on le brûle et qu’on le mange.
Qu’on le frappe.
Et qu’on lui fracasse sa tête d’ange.
Du sang ! Du sang !
De la chair ! De la chair !
Cinquante mètres. La porte était blanche, pure. Je sentais les barbares derrière moi, qui tendaient leurs bras pour m’attraper. Combien était-il ? Une quarantaine, probablement.
Vingt mètres. Je commençais à m’essouffler mais ce n’était absolument pas le moment pour moi de m’arrêter. L’effort restant était court et l’espoir renaissait dans mon esprit.
Cinq mètres. Encore trois pas ! Je pouvais le faire ! La blancheur de la porte était telle que j’étais éblouie. Je tendis le bras pour saisir la poignée et, enfin, je tirai la porte vers moi. J’étais libre !
Du moins c’était ce que je croyais. Car à peine avais-je refermé la porte qu’elle vola en éclats, permettant aux étrangers de passer dans la pièce suivante, et surtout me laissant pétrifié à un mètres de leurs têtes noires et poilues.
Les ennuis ne faisaient que commencer.