un gars… as un gars…
Carnet de Quelqu’un.
Pièce n°39.
La porte en bois de chêne massif claqua violemment derrière nous, rompant le silence. Des copeaux de bois se décollèrent du plafond et tombèrent tristement à nos pieds. Une brise froide balayait la pièce sans couleurs où nous nous trouvions, mais elle ne nous fit aucun effet. La première chose que je fis fut de me laisser tomber durement sur le sol.
J’avais réussi je ne sais comment à essayer de faire le brave après le combat, sans pouvoir retenir quelques larmes brûlantes, mais la il n’y avait plus que mon ami, le petit grand nain, et je me laissais donc aller à pleurer bêtement. Mon coéquipier me regardait tristement, refoulant les larmes, la main toujours crispée sur son arme tâchée de sang.
Je devais lui dire. Maintenant. Et cette pièce où nous nous trouvions allait porter le poids d’un lourd secret. De plusieurs même.
Je me relevais sans émotion apparente et regardai le petit grand nain droit dans les yeux, mais je n’eus pas le temps d’ouvrir la bouche qu’une bourrasque me fit tituber. Au fond de la pièce, un battant transparent venait de taper contre un pilier. Une fenêtre.
Mon ami avait sursauté aussi, mais, comme je crois qu’il avait vu comme moi, il se rua vers l’ouverture d’où rentrait un vent maintenant plus calme. Je le rejoint rapidement, mais nous fûmes assez déçus de ce que nous voyions. Enfin de ce qu’il vit. Moi, j’avais déjà vu cela, dans ma précédente… vie, oserais-je dire.
Un ciel noir s’étendait à l’extérieur au dessus d’un gouffre qui se terminait en bas dans une rivière de lave. Une légère odeur nauséabonde de soufre remontait graduellement. Je regardai le petit grand nain fermer la fenêtre la larme à l’œil, comprenant sa déception de ne pas avoir vu le monde comme il avait dû le voir la dernière fois. Je lui tapais sur l’épaule, et son sourire me donna l’envie de lui dire tout et n’importe quoi. Mais je me concentrais sur l’essentiel :
« Euh…, bredouillais-je. Je dois te dire des choses, petit grand nain, et je dois le faire tout de suite, cela fait trop de temps que je garde mes secrets.
– Oh, tout le monde à des petites choses qu’il ne dit pas, affirma-t-il, et je ne…
– Non, le coupais-je, c’est très important ! »
Il soupira.
« Très important !, dit-il d’un ton étrangement passif. Qu’y a-t-il de plus important à cette heure que tous ces morts qui… »
Il éclata en sanglots.
Je passai mon bras sur ses épaules, ne savant pas trop par ou commencer, étant donné l’état déplorable de mon ami.
« Euh… Écoute…, tentais-je. Justement, tous ces gens qui… Qui ne sont plus la maintenant (énoncer le mot « mort » m’a toujours été impossible)… Je crois que… j’y suis pour quelque chose.
– Hein ? Depuis quand tu massacres les gens honnêtes toi ?, demanda-t-il, déboussolé.
– Je ne peux pas te dire vraiment depuis combien de temps, répondis-je, puisqu’en fait… Ce n’est pas vraiment celui qui a massacré qui te parle… C’est sa deuxième vie.
– Qu’est-ce-que tu racontes ?! Ta deuxième vie ? Mais… C’est tout bonnement impossible ! Enfin, les livres de légendes de mon peuple disent que ceux qui reviennent à la vie ont une rune marquée au fer rouge sur le bras droit ! »
Résigné, je retiré la manche de mon pull élimé, puis celle, en lambeaux, de mon vieux t-shirt, découvrant une rune elfique sans aucune signification, les caractères désignant chacun une personne inconnue que le porteur de la marque ne reconnaîtra jamais :ϔאּטּϠ .
Le petit grand nain demeura bouche bée, complètement abasourdi, et pendant quelques minutes on entendit seulement les copeaux de bois se décrocher du plafond. Puis il bredouilla :
« C’est… C’est comme…
– Comme le Maître des Robots, coupais-je, lancé. Et le Maître Château en porte une également.
– Quoi ?! Le château est déjà mort !
– Oui, il n’est pas né petit cabanon, dis-je presque avec le sourire, ce fut un homme, avant son suicide.
– Son suicide… Bon dieu, pourquoi je suis venu dans ce maudit château…
– Personne ne connaît les raisons de sa mort, mais quand il a été marqué par l’elfe du Temps…
– Un autre Maître ?, coupa mon ami à son tour.
Oui, mais c’est le premier à avoir porté une marque, il la gravée lui même alors qu’il était à mi-chemin entre la vie et la… la fin, il mourrait dans un incendie de son domaine, il y a maintenant un peu plus de 2000 ans.
– Bon dieu, bon dieu… Quel monde de fous…
– Et donc je disais, quand l’elfe a marqué l’actuel château, celui-ci s’est révolté. La marque ne s’est pas bien placée sur sa peau, et il a maintenant deux moitiés de vie. Une d’homme, une autre d’édifice.
– Pourquoi s’être révolté ? Il aurait refusé une deuxième vie ?
– Il n’a pas été si mauvais lors de sa première. Mais on ne nous demande pas si l’on souhaite revivre, l’elfe du Temps choisit au hasard ses « victimes ». Moi-même, j’aurais préféré mourir, même si ma première vie fut très… tumultueuse.
– Et donc, pourquoi es-tu… enfin…
– Immortel ?
– Euh, non, je voulais dire…
– Je suis immortel car s’est un don qu’offre l’elfe du Temps à mes semblables. Certains en profitent pour se donner un but unique, comme le Maître des Robots, qui s’est donné rapidement ce nom car il s’y connaissait beaucoup en mécanique le jour de sa première vie. Et il a rapidement développé des capacités magiques.
– Alors… Toi aussi tu en as ?
– Euh… C’est compliqué, et très franchement… »
Le poteau proche de la fenêtre commença à s’effriter alors que je parlais, une voix résonna dans ma tête :
« Tu ne dois pas en dire plus, surtout pas ! Sinon le poteau que tu vois se cassera net, et tu pourras renoncer à ta deuxième vie. »
Je frémis, fermant les poings, mais le petit grand nain ne remarqua rien, trop absorbé par l’effritement étrange de la poutre.
La voix continua :
« Rappelle-toi, toi et tes semblables, vous avez une faiblesse. Si tu continues de lui parler, elle pourrait être à vif. Sortez maintenant, et n’en dis pas plus ! »
Je pressais mon ami de se relever et de se diriger vers la porte du fond, prétextant avoir peur que le poteau s’effrite totalement, sans m’occuper de l’expression de plus en plus étonnée du petit grand nain.
L’elfe du Temps venait de me parler. Il ne faisait ça seulement en cas de grand danger. Nous devions nous préparer à tout prix. Nous préparer à l’impossible.