§téré as §téré
Je restai quelques instants sur le paillasson, bouche bée. Devant moi s’étendaient à perte de vue d’immenses champignons rouges vifs parsemés de points blancs. Leurs fines tiges s’étendaient sur plusieurs mètres. Combien ? Je ne saurais vous le dire, mais en tout cas trop pour que je puisse distinguer le sol. Si « sol » il y avait, bien entendu. Je ne suis pas un as de l’agriculture mais des champignons poussent bien sur de l’herbe ou de la terre non ?! Décidément, je n’arrivais pas à croire que j’étais un château. Je me sentais dehors, à l’air libre. Ou alors dans un jeu vidéo où j’étais le personnage, le héros. Mes pensées me redonnèrent courage. Oui, j’étais un héro. J’avais parcouru des milles et des milles, vaincu mille et un dragons et créatures en tout genre toutes aussi effrayantes, cruelles et magnifiques les unes des autres, bravé le vent, le froid, la pluie puis finalement atteint la Montagne unique. Une fois rentré dans le château par la pièce boîte aux lettres où j’avais tant bien que mal plaidé mon sort auprès d’un jeune lutin pour survivre, j’avais glissé dans un long et interminable tuyau qui m’avait finalement mené dans la poubelle du château. Je m’étais retrouvé au milieu des ordures où il régnait une extrême puanteur. J’avais donc atteint bon but, cru en moi. Et j’y étais arrivé, j’étais là. Je n’allais quand même pas faire mon froussard maintenant et ne point visiter le château de mes rêves, le château magique et maléfique : le château des cent-milles pièces. Non, non, je ne pouvais pas ! Me répétais-je en moi. Plus décidé que jamais, j’observa attentivement les champignons les plus proches et calcula mentalement la distance qui les séparaient de moi. C’était tout à fait jouable. Risqué, mais jouable. S’en fût là pour mes réflexions. Je pris mon courage à deux mains et m’élança sur le tapis rouge qui menait au premier champignon et sauta. Je ferma les yeux, le temps sembla s’arrêter. J’atterris à plat ventre sur un champignon. Pas celui prévu dans mes plans, mais un champignon, c’était déjà ça. Toujours allongé, je me retourna et tâta mes membres. J’avais étrangement rien, je ne ressentais aucune douleur. Pourtant avec un saut pareil, j’aurai dû être dans un sale état. Peut être même mort. Ce champignon était peut être magique, qui sait ? La substance de son chapeau m’était inconnue. C’était à la fois lisse, vaseux, rebondissant mais visqueux. Je me levis et regarda autour de moi. Tout près, se trouvait un autre champignon qui me paraissait tout à fait identique. Je fis un petit saut et l’atteignit sans difficulté. Tête en l’air comme je suis, je me rapprocha en regardant autour de moi du centre de celui-ci. Et ce qui devait arriver arriva, je glissa. J’essaya de me rattraper, me relever. Rien à faire, j’étais entraîné par une force, un courant avec une puissance bien supérieur à la mienne. Cette glissade soufflante m’aspira et je tomba à l’intérieur du champignon, dans la tige de celui-ci. J’eu alors une petite pensée pour mon père, resté là-bas en Youtlitli, mon pays ; et comme s’il m’avait entendu, je l’entendis me murmurer à l’oreille comme un secret « C’était des amanites tue-mouche, c’était des amanites tue-mouche, les champignons ». Puis ce fût le vide, et je tomba dans l’inconscience.