… as …
Je mis quelques temps avant de remarquer que la pièce changeait. Oh, c’était imperceptible, vraiment imperceptible. Nous marchions depuis si longtemps dans ce couloir blanc ! Un couloir oui, un immense couloir blanc aseptisé comme une pièce d’hôpital. Pas de carrelage, ou alors c’était une dalle, une seule et même immense dalle, qui formait le sol. Les murs étaient dans le même matériau et la jointure était légèrement arrondie. On se croyait dans un tuyau géant.
J’avoue avoir eu du mal à me réhabituer à la marche d’ombre. Lorsqu’une ombre consciente réintègre un corps, marcher devient comme une course en tandem, et c’est à moi de me synchroniser avec la jeune femme que j’accompagnais. D’ailleurs comment s’appelait-elle ?
—Je ne sais pas, me répondit-elle lorsque je lui posais la question. Le château m’a dérobé tous mes souvenirs.
Sa voix était chaude et réconfortante. Ca faisait du bien de ne plus être seule dans ces froids parages où j’errais depuis une éternité. C’était en tout cas ce qu’il me semblait.
—Sauf ceux que tu as lâchés tout à l’heure. Tu ne te souviens de rien d’autre ?
—Non, rien d’autre, et surtout pas du moyen de battre ce fichu château !
—Parce qu’il y a un moyen ? m’exclamais-je, un peu trop fort puis ce qu’elle grimaça en se bouchant inutilement les oreilles. Oh désolée, repris-je. Les hurlement d’ombres sont assez…Perçants.
—Ce n’est rien. Effectivement il y a un moyen…Un moyen que j’ai oublié. Comme tu t’en doutes ce château n’est pas naturel, et ceux qui y rentrent y sont bloqués pour l’éternité. Pour sortir et vivre, il faut être plus fort que lui. Plus fort que…
—Que le diable, complétai-je en souriant. C’est dommage que tu t’en souviennes plus…Aucun souvenir, pas la moindre idée ?
—La seule petite idée que j’aurais c’est d’accéder à l’ordinateur central et voir ce qu’il…. C’est quoi par terre ?
—Une pièce de centimes, dis en la ramassant car j’étais plus près du sol qu’elle. L’ordi central ? J’ai entendu des personnes en parler pendant que tu dormais. Ils disaient qu’elle était à l’ouest…Si les sens cardinaux ont encore un sens ici.
—Quoi ? Mais c’est super, s’exclama-t-elle ! Allons-y immédiatement !
—Petit souci, tu as une boussole ?
Elle me regarda, désorientée.
—Ben…Non. J’ai tout perdu avec mes souvenirs. T’as pas ça dans ton sac ?
—Non plus. J’ai un poignard, un tube de colle, une amulette et de la sauce au poivre mais pas de boussole.
Avant qu’elle eut pu me demander pourquoi diable j’avais de la sauce au poivre dans mon sac, je lui fis signe de se taire. Pas de doute, la pièce changeait sans qu’on s’en rende compte. La lumière crue et violente avait laissé place à un éclairage plus tamisé, les coins et jointures devenaient plus anguleux, et il flottait dans l’air une odeur étrange, mélange de feu de bois et de meubles cirés. Plissant les yeux et ouvrant grand mes oreilles, je me concentrais. Pas de doute, on apercevait sur le sol les premières traces d’ombre de meubles et un très fin bruit de cheminée se faisait entendre.
—Une pièce-vitre, murmurai-je à l’Oublieuse, comme je décidais de l’appeler. C’est une pièce qui apparait et disparait progressivement. Si on avance encore un peu on finira par voir la porte. Ce sont elles qui apparaissent en premier. Oh tient au passage, prend la pièce si tu veux.
Je lui balançais la pièce de centimes trouvée plus tôt sur le sol. Elle l’attrapa au vol, et, vérifiant la somme, s’exclama
—C’est une pièce de trois centimes ! En plus elle est gravée au nom du propriétaire. Classe internationale ça ! C’est une pièce de collec’ !
—Qui est le propriétaire ?
—Un certain Emmanuel.
A ce nom, un hurlement perça derrière nous. Sans nous retourner, nous nous mîmes à courir, courir le plus vite possible (peut-être un rapport avec l’odeur fétide qui accompagnait ce hurlement). La pièce était de plus en plus visible. Dès que je localisai la porte, je m’y précipitais, aidai l’Oublieuse à passer à travers et m’écroulai sur le sol.