p’tite Momo as p’tite Momo
J’entre dans un salon -mais est-ce bien un salon ?-, le plus grand que je n’aie jamais vu. Improbable croisement entre cathédrale et forêt tropicale, son plafond, ou plutôt sa voûte s’élève jusqu’à se perdre dans les nuages. Un immense jardin, non, une véritable jungle s’étale à perte de vue. Et, au milieu de ce monde végétal, trône, totalement incongrue, une cage dorée aux proportions démesurées.
Et dans la cage, il y a des oiseaux.
Des milliers d’oiseaux.
Des oiseaux bleus, des oiseaux jaunes, des oiseaux verts, des oiseaux rouges, des oiseaux blancs et d’autres noirs, des oiseaux de toutes les couleurs, de toutes les espèces, de toutes les tailles.
L’étrange beauté de ce mélange hétéroclite me coupe le souffle. Bientôt le monde entier disparaît à mes yeux, insignifiant face à ce miracle de la nature. Il se dégage de la cage une aura merveilleuse.
Qui devient magique lorsque les oiseaux commencent à chanter.
Un chant…comme ce terme est insuffisant pour décrire ce que j’entends. Ce n’est pas une mélodie, mais bien plus que cela. C’est une parole, c’est un récit, c’est une flèche de beauté qui se fiche dans mon coeur. Les notes ruissèlent dans mon âme, s’écoulent dans mon sang, deviennent source de vie…
Elles me charment. Presque à mon insu.
Je respire la musique. Je pleure avec elle, je rie avec elle. Elle fait battre mon coeur, elle justifie mes mouvements. Peu à peu, elle nettoie mon esprit des pensée parasites. Je suis née et j’ai vécu dans le seul but de l’entendre, ici et maintenant. Je suis née et j’ai vécu dans le seul but de la délivrer, car elle est prisonnière de sa cage.
J’avance à pas lents. Arrivée devant la porte de la cage, j’observe avec attention l’entrelacs de chaînes qui la maintiennent fermée, puis j’entreprends de le dénouer.
Mes mains s’activent, de plus en plus fébriles, lorsque je réalise qu’il pleut. Il pleut ? Dans une cathédrale ? Non. Je pleure. Je pleure car ce prodige de pureté est en cage. La perfection prisonnière.
Chacune des fibres de mon être se tend vers ce but unique. Libérer les oiseaux, libérer leur chant, même si je dois mourir pour y parvenir.
Mourir ?
Pour des oiseaux ?
Pour un chant, aussi beau soit-il ?
Dans un sursaut de lucidité, je me force à cesser de bouger. Quelque chose ne va pas. Je me suis laissée ensorcelée. C’était un piège.
Je lève lentement les yeux vers les volatiles. Ce ne sont plus des miracles de la nature. Leurs ailes sont devenues noires, leurs yeux injectés de sang, leur bec crochu et leur pattes d’immenses serres. Ils ne chantent plus.
Ce sont des démons.
Un cliquetis caractéristique de porte qui se déverrouille brise le silence. Des milliers de créatures du diable s’engouffrent simultanément dans la porte, faisant sauter ses gongs. Je suis ensevelie dans un tourbillon de plumes, incapable du moindre mouvement, paralysée par la peur.
Les oiseaux maléfiques disparaissent dans l’embrasure de la porte en poussant des cris abominables. Je m’effondre dans l’herbe.
Je me demande quel genre d’abomination je viens de lâcher sur le château.