Tout au bout du bord de l’extrême, derrière les dernières montagnes du Monde, s’élève le Château des 100 000 pièces Les murailles, et les tours et les étages de ce palais s’élèvent, à ce qu’il vous paraît, bien au-delà des nuages, au-dessus des cimes.
LA SALLE ÉDÉNIQUE… À PREMIÈRE VUE SEULEMENT
LA SALLE ÉDÉNIQUE… À PREMIÈRE VUE SEULEMENT

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LA SALLE ÉDÉNIQUE… À PREMIÈRE VUE SEULEMENT

L’Impératrice Chapeautée as L’Impératrice Chapeautée

Il se trouve que, à l’instant précis où je poussai sauvagement la porte de gauche, et alors que les injonctions du château, qui me laissait le choix entre deux pênes parés de joyaux, dont l’un devait mener au Tartare, l’autre à l’Eden, résonnaient encore dans mon esprit, je sus intimement que ma décision serait indubitablement la plus importante de toute mon existence. Le cœur palpitant, je me ruai donc sur la poignée cuivrée d’un des battants, et l’ouvris en fermant les yeux.

Je tombai sur le sol, un bruit sourd se répercuta autour de moi. La porte venait de se refermer à tout jamais. Je me trouvais donc soit dans des limbes funestes et sombres, soit dans un paradis luxuriant. Je risquai un coup d’œil circulaire, tremblant de tous mes os… Et poussai un cri de joie. En effet, il me sembla que j’avais effectué le bon choix.

Le sol était recouvert d’une pelouse bleue, longue et fine, si soyeuse que j’en sentais à peine la caresse sur ma peau. Les murs étaient chatoyants, cuivrés, et paraissaient couverts d’or liquide, qui se déversait lentement le long des parois, créant des reflets éclatants sur le sol et le plafond, qui lui était de cristal ouvragé, et troué d’un carré de ciel azuré. Je ne saurai décrire la foule de merveilles émaillant là l’herbe grasse. Des ruisseaux d’argent s’écoulaient de part et d’autre, des passerelles de verre où chacun de mes pas sonnaient d’une douce mélodie, des papillons aux ailes irisées de mille nuances virevoltaient, des arbres gorgés de fruits, des balancelles nappées de fourrures immaculées, des biches bondissant d’un massif de chênes à un autre, des tables basses, des coussins bariolés, des lustres scintillants suspendus dans le vide, des fleurs aux corolles étincelantes de rosée, des divans incrustés de diamants translucides, des bassins fumants creusés à même la prairie d’un bleu intense, des fontaines de champagne ambré, des lampadaires, des globes lumineux, de grands arbres à la cime bruissante, des oiseaux gazouillants, les reflets dorés des parois, le doux suintement d’une légère brise, l’écoulement d’un torrent, un lit à baldaquin surgissant de terre, des baies cristallisées de sucre, des roses, des buissons, des sofas… Je tournoyais entre tous ces dons splendides, tous raffinés et entrelacés de branches de lierre ou de rubis brillants… Il régnait une température exemplaire, ni chaude, ni froide, et mon corps semblait se délester de toute douleur. Mes vêtements trempés se trouvèrent séchés par un zéphyr délicieusement chaud… Je me prélassai dans les bains à la mosaïque bleue, où flottaient des nuages de mousse parfumée, je m’affalai sur chaque fauteuil, goûtai chaque met exquis qui s’offrait à moi, bus à larges traits dans des coupes ciselées.
Plus je m’avançais dans cette salle si longue que je n’en voyais pas la fin, plus mon cœur était émerveillé, étourdi par tant de grâce et de volupté. J’étais charmée, envoûtée, par cet havre idyllique.
Soudain, au-détour d’un massif de grosses fleurs bleutées, apparut un somptueux pommier, très haut, aux branches croulant de beaux fruits rouges, si luisants et gonflés, que j’en saisis un, et croquai dedans. La pomme était sucrée, fondante, ferme, et dégageait une merveilleuse odeur… C’est là que tombèrent les quatre parois de verre tendues de soie noire. J’étais enfermée avec ce pommier dans l’obscurité complète. Je me mis à hurler au bout de cinq minutes à tâtonner dans la pénombre. Je ne comprenais pas. J’étais dans l’Eden, n’est-ce pas ? Cela ne devait pas arriver…

Puis, la voix du château, que je commençais à haïr franchement, bien que très mélodieuse, demanda :
« Alors, très chère, satisfaite par ce paradis ? »
« Oh, oui, beaucoup, mais… »
« Ah, cela tombe bien. Parce que, sans t’en rendre compte, tu as poussé la mauvais porte : tu es en fait dans le Tartare. »
Un silence. Je ne pouvais y songer. Je protestai :
« Mais, c’est impossible ! Tout était parfait ! »
« C’est là ma véritable force, ne l’oublie pas. L’illusion. Je ne suis qu’un magicien de pierre, tout compte fait. Peut-être un peu sadique, oui… »
« Mais… Où suis-je ? »
« Là, tu vas entrer dans le véritable Enfer… Par cet escalier-ci. Et ne traîne pas. »

Aussitôt, des marches illuminées de flambeaux se découpèrent dans l’herbe à présent racornie. Toujours dans le noir, je pris une rapide décision.
Je m’avançai vers les marches, d’un pas franchement chancelant, tandis que le rire cristallin du château éclatait dans le soudain silence.

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