Lutter contre le vent et rire avec la nuit as Lutter contre le vent et rire avec la nuit
Je suis entrée ici par hasard. Enfin, presque… En réalité, si je me suis faufilée précipitamment par cette porte de diamant poussiéreuse guère engageante parce que quelque peu sinistre, c’était pour échapper aux foudres de ma petite sœur, Asaria – terriblement dangereuse par moments – agacée parce que je lui avait dit que…
Bref. Disons que ce n’est pas uniquement par pure curiosité que j’ai pénétré dans cette pièce-cathédrale glaciale, qui, bien qu’illuminée généreusement par la lumière de cet astre que nous nommons Soleil, n’en a pas moins des allures de tombeaux, ou de ruines.
Des ruines… Pour être exacte, des vestiges. Vestiges d’un monde bien plus civilisé que le nôtre, plus raffiné. Mais dont le déclin a été sans doute foudroyant.
Quelle étrange atmosphère ici, vraiment ! Le silence, si profond, est assourdissant. Le mélange de pesanteur de l’atmosphère et de légèreté de la poussière – qui voltige avec grâce dans les rayons de lumière – est déstabilisant. Les murs de pierre blanche immaculée – étrange phénomène me direz-vous au regard de la quantité de poussière en suspension dans l’air, mais il semble bien que cette pierre blanche un peu particulière la repousse – , sculptés, sont ornés de motifs compliqués et délicats, qui forment un ensemble enchanteur, pareil à du fer forgé. Des tapisseries de glace – toutes les pièces dans lesquelles je pénètre sont donc de glace ? -, d’or et d’argent, incrustées de pierres précieuses par milliers, se tissent peu à peu sous mes pieds, à mesure que j’avance plus avant dans l’immense salle déserte, et scintillent faiblement, comme si trop d’éclat risquait de ternir celui de quelque chose d’autre – mais quoi ? -.
J’effleure d’une caresse un pan de mur qui ressemble à s’y méprendre à une porte monumentale. Et… me retrouve dans une pièce plus petite, mais plus somptueuse encore… Et plus étrange.
Chaque mur, démesuré, est un miroir parfaitement lisse, taillé pour l’un dans un diamant blanc, pour un autre dans un diamant noir, pour un autre encore dans un diamant rose…
Je suis statufiée. Dans un état second. Hébétée. Au centre de la pièce se tient un escalier aux proportions gigantesques. Si haut qu’il ne semble pas s’arrêter un jour. Si haut qu’il est impossible de distinguer ce qui s’y perche – parce qu’il mène forcément à quelque chose, non ? -. Et puis…
Des statues d’animaux tout simplement splendides et même, pour quelques uns, légendaires, se dressent dans la salle, partout, en un foisonnement dense et bigarré. Magnifique. Intriguant aussi. J’avance une main timide vers un Phénix. Il semble fondre vers ma silhouette. Il se fond avec, s’y confond.
Je suis revêtue d’une robe de plumes aux reflets hypnotiques et indescriptibles car si subtils – et tellement magnifiques ! -, dotée d’une traîne d’une confondante longueur. Et dans mon dos…
Deux ailes. Puissantes. D’une envergure extraordinaire.
Incroyable… Je peux voler ! Ivresse de l’envol, tourbillon de lumière tandis que le sol s’éloigne à une vitesse ahurissante, bonheur inédit, forte émotion. Mais…
Qu’y-a-t-il en haut de l’escalier ? Le mystère est trop grand. Je fonce vers son sommet. Bas des ailes pendant une éternité. Et me pose en douceur. Sur une plateforme de cristal, dentelle sublime et d’une apparente extrême fragilité. En face de moi…
Devant moi… Un trône. D’une simplicité confondante. Et pourtant fascinant car il semble sculpté dans un arbre, aux veinures dorées et aux reflets pareils à ceux d’un paon. Et sur ce trône…
Une silhouette fantomatique, translucide, vaporeuse, et pourtant d’une beauté stupéfiante, parce que trop parfaite. Les yeux fermés, comme en une méditation profonde. De ses lèvres charnues quoique pâles s’exhale comme un soupir, ténu, presqu’inaudible. Des mots…
« Bienvenue à toi, noble invitée du château ! Puisses-tu parler longtemps avec mon humble personne ! »
– Bon… Bonjour.
Je suis interdite.
Mes mots semblent donner consistance à mon étrange interlocuteur. Son teint prend un éclat charmant. Ses habits s’illuminent progressivement de couleurs chamarrées, jusqu’à flamboyer. Il… est… si… beau. Une couronne apparaît sur sa tête blonde.
– N’aie crainte, clame avec puissance le prince qui me fait face. Je suis le prince de ce royaume reculé du château que sont les deux modestes pièces dans lesquelles tu as pénétré avant de me rencontrer.
– Tu t’interroges sans doute sur ma transformation d’ectoplasme à humain en chair et en os, n’est-ce pas ? Et bien saches que ce sont les mots qui me font vivre. Sans eux je me délite et devient ombre.
– Ce royaume est bien froid depuis que mes ouailles sont partis. Partis à la découverte du château et de ses mystères. Ils m’ont délaissés. C’est tellement triste ! Heureusement, tu es là !
– Alors… Racontes-moi. Ce que tu fais ici. Pourquoi. Qui tu es….
Je me sens, sans savoir pourquoi, épuisée par toutes ces questions. Je me sens, sans avoir d’explication, sur la défensive.
Je décide de me taire.
Un rictus affreux défigure ses traits. Il est repoussant. Être abject, qui se cache sous une apparence trompeuse.
J’entends une voix dans ma tête – le Phénix – qui me chuchote : « Éloignes-toi. Laisse-moi te porter de mes ailes. Loin de cet être si petit, si horrible. Éloignes-toi. Avant que toi aussi tu ne disparaisses, comme tous les autres, qui ne sont pas partis mais se sont effacés. Il se nourrit des autres pour vivre. »
Je m’envole, portée par le Phénix. Comme les hommes sont étranges, et les apparences trompeuses !
Dans une envolée de plumes, je me pose. Devant la porte de diamant par laquelle je suis entrée. Je sors. Sans oublier la plume que le Phénix m’a donnée.
Je suis dehors. Ferme la porte avec fracas. La scelle avec la plume du Phénix. Un doux chuintement retentit. Les animaux se sont réveillés. Comme me l’avait dit le Phénix. Un cri d’agonie. Le prince est mort. Définitivement. Tué par les animaux qu’il avait asservis.
La plume du Phénix se pose dans ma main. La voix du Phénix, dans mon crâne, me murmure : « Garde-la toujours, précieusement, comme un secret. Désormais nous sommes liés pour l’éternité, toi, ta descendance et moi… »
Je sers la plume. Et m’éloigne. Curieusement allègre. Ma petite sœur déboule. Ennuis en perspectives… Mais non, elle me serre dans ses bras. « J’ai eu si peur… Tu sais que… »