Tout au bout du bord de l’extrême, derrière les dernières montagnes du Monde, s’élève le Château des 100 000 pièces Les murailles, et les tours et les étages de ce palais s’élèvent, à ce qu’il vous paraît, bien au-delà des nuages, au-dessus des cimes.
LA PIÈCE OÙ DANSAIT LA FLAMME DE MILLE PENSÉES
LA PIÈCE OÙ DANSAIT LA FLAMME DE MILLE PENSÉES

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LA PIÈCE OÙ DANSAIT LA FLAMME DE MILLE PENSÉES

Lutter contre le vent et rire avec la nuit as Lutter contre le vent et rire avec la nuit

Je songe à cette pièce si étrange où j’ai fusionné avec un Phénix d’une beauté ensorcelante, créature splendide qui m’a sauvé des griffes d’un prince maléfique. Je me demande si la porte de cette pièce se rouvrira un jour, ou restera close pour l’éternité, comme cette pièce déconcertante au sommet d’une tourelle de glace que j’ai visitée et qui s’est scellée après mon passage. Pendant que je me remémore ce qui m’est arrivée dans cette pièce gigantesque et sublime, que je mesure l’incroyable de ce qu’il m’y est arrivé, je caresse avec douceur la plume que le Phénix m’a offerte.
Ma petite sœur, Asaria, effleure ma main. Elle entreprend de me raconter ce qu’il lui est arrivé. « Quelque chose de vraiment étrange », me dit-elle. « Et… blizzard », est tout ce que j’entends ensuite. Une bribe de ses dires à n’en pas douter. Je m’extirpe à contrecœur de ma songerie, car force est de constater que je ne comprend goutte à ses dires.
– Blizzard ? Veux-tu dire bizarre, ma chérie ?
– Non, non, j’ai bien dit blizzard ! Il y avait dans cette pièce une sorte de vent, intempestif, et semblable à un blizzard froid et humide.
Je suis estomaquée. Est-ce bien Asaria qui use de ce langage pour me parler ? Impossible ! Elle n’a que sept ans ! Enfin, quoique…
Elle m’entraîne en direction de la pièce qu’elle s’échine en vain à me décrire. Nous passons par d’innombrables corridors aux couleurs chatoyantes, aux lambris incrustés d’or et d’éclats de diamants. Nous empruntons une passerelle fragile et étroite, de verre, pour passer au-dessus d’un gouffre vertigineux. Nous montons un escalier monumental sculpté dans de la glace. Et, à son sommet, face à nous, écrasante de majesté…
Une porte de fer.
Quelles circonstances ont pu amener ma sœur, qui à en horreur les portes imposantes, et plus particulièrement celles qui sont en métal, à pousser cette porte-ci ? Tiens, mais j’y pense, c’est absolument impossible qu’elle l’ait poussée… Ses battants sont bien trop lourds pour que ma sœur puisse ne serait-ce que les faire bouger d’un centimètre ! Mais, alors, comment a-t-elle fait pour entrer dans la pièce ?
Une voix coupe court à mes interrogations. Une voix glaciale et coupante comme un poignard effilé. « Vous vous tenez devant la porte 200 000. Asaria, vous n’êtes pas autorisée à pénétrer ici une seconde fois. Lutter contre le vent et rire avec la nuit, vous êtes invitée à poser votre main sur le cercle de verre qui vient de se matérialiser devant vous, afin de découvrir la pièce aux mille pensées. » Comment la voix sait-elle mon nom ? D’où vient-elle ? Que dois-je faire ?
La voix, impétueuse, reprend. « Vous êtes obligée de prendre une décision dans moins de trois secondes. Accepter l’invitation que je vous fait et de fait découvrir un lieu extraordinaire, ou bien refuser et ainsi bannir à jamais toute possibilité de vivre un jour cette expérience unique qui se présente aujourd’hui à vous. Choisissez. 3. 2. 1. »
Je pose ma main sur le cercle. Sans être vraiment consciente de mon geste. Et si je mourrai dans l’aventure ? Question stupide, ma sœur en est ressortie vivante, quoique terrorisée. Terrorisée. Comme maintenant. Pourquoi ?
Je me sens… Disparaître. M’alléger. Jusqu’à devenir un souffle, une brise comme un autre. Déstabilisant, car je ne peux même pas crier ou lever les bras. Je suis moi… sans l’être vraiment car mon corps n’est plus qu’une silhouette transparente et tremblotante. Je suis aspirée, comme aimantée par la porte monumentale.
Et je passe à travers. Comme le fantôme que je suis devenue.
La pièce que je découvre est brouillard dense de limbes mouvantes. J’ai l’impression de m’immerger dans une eau trouble aux vagues imprévisibles. Je suis happée vers le centre de la pièce.
Et me retrouve entourée de flammes blanches. Des pensées. Ce sont des pensées qui sont ainsi matérialisées. J’entends chacune, avant qu’elle ne se délite. Je comprends mieux le nom donné à cette pièce.
Et j’ai peur. De comprendre que ces pensées sont… Celles que j’ai eu. C’est mon passé qui s’en va en fumée. C’est l’essence même de mon être qui s’évapore.
Je sens monter en moi une grande colère. Puis m’aperçois que cela tend à me faire recouvrir ma forme originelle. Une onde puissante de colère me secoue. Ça y est, mon corps est à nouveau corps.
Mes pensées anciennes deviennent courants d’air, la brume se dissipe dans la pièce. Cette dernière, d’ailleurs, peu à peu se dévoile : ici se trouve un fauteuil de velours couleur bordeaux à l’allure si confortable que je décide de m’y asseoir dans l’instant, là, juste devant ce fauteuil, une table basse très design, et comme greffé dessus, un écran holographique. Autour de ce mobilier restreint, des murs dorés, dont l’un est une immense bibliothèque. Au sol, une multitude de petits tapis aux broderies délicates et subtiles, imitant avec un réalisme déconcertant toutes les nuances d’un coucher de soleil. Au plafond, en guise de voûte… des étoiles… Incroyable ! Sublime…
Je reste debout à contempler le plafond étoilé. Seul l’éclat mystérieux d’un livre de la bibliothèque aux proportions démesurées parvient à me faire sortir de ma rêverie. Je me déplace et attrape le livre, dont la couverture bleutée est dotée d’un cuir qui scintille doucement. Au moment où je sort l’ouvrage de sa place, une flamme bleue jaillit du livre, et se délite vers la voûte céleste tandis que des mots résonnent : « Mer de vertige, océan insondable, ta tristesse ainsi fut, lorsque ta mère mourut. ».
Ces mots. Me reviennent ma douleur à la mort de ma mère, mes doutes, mes errances, ma révolte, mon désespoir. Comme si je revivais une seconde fois sa mort, sous mes yeux. Tourbillon de mes pensées, qui ressemblent étrangement à celles que j’eus alors : « Je veux mourir. », « Où es-tu maman ? Où es-tu dans ce vaste ciel stoïque ? », « Pourquoi nous as-tu abandonnées, ma sœur et moi ? », « Où est papa ? Avec toi ? Ou t’attend-il encore ? », « Comment allons-nous faire, Asaria et moi ? », « Je suis trop jeune, trop inexpérimentée, je ne peux pas remplir le rôle de mère pour Asaria ! Je ne sais pas comment m’occuper des autres ! », « Je voudrais ne jamais être née. », « Ah, non, pourquoi dis-je une bêtise pareille ? Si je n’étais pas née, je ne t’aurais pas connue, je n’aurais pas connu papa, je n’aurais jamais connu la joie de devenir grande sœur… Je n’aurais même pas existé. Je n’aurais pas aimé, pas rêvé… », « Mais pourquoi êtes-vous partis, papa et toi ? Pourquoi maintenant ? Pourquoi si jeunes ? »…
Je me laisse glisser à terre. Le livre m’échappe des mains, tombe. Je ferme les yeux. Tente de ne pas laisser s’échapper les larmes dont mes paupières sont ourlées. Échoue à les retenir. Pousse un soupir-sanglot. Gémis. Je ne suis plus que blessure. Mon cœur est ravagé par les flammes du désespoir. « La douleur est-elle si vive parce que j’ai essayé d’enfouir mon passé et ses souvenirs trop éprouvants ? »
« Peut-être », me répond une voix douce. « Mais n’oublie pas ce que tu es. N’oublie pas ta famille. »
Ma famille… Asaria ! C’est vrai… Tu m’attends dehors ! Asaria. Oui, tu es là… Tu es là, et je dois veiller sur toi !
Je me lève d’un bond. Caresse du regard les étagères du mur. Elles sont emplies de poussière… Alors que des livres par milliers, tout à l’heure, les garnissaient ! Mais que m’importe ? Je baisse les yeux sur le livre bleu, qui n’a pas disparu, lui. Le laisser ? Le prendre ? Je m’en empare.
« Où est la porte ? ». Un concert de voix me répond : « Là, en face de toi ! Il faut que tu insère le livre que tu as pris dans son étagère de la bibliothèque, et la porte s’ouvrira ! ». « Ah, d’accord. Merci ! » Au fait, qui sont ces voix ?
Ah, mais qu’elle était donc son étagère ? Celle-ci ? Allez, j’essaie, on verra bien… Oui, c’est ça ! La bibliothèque s’efface et apparaît… La porte de fer, ouverte largement ! Et devant, ma sœur, qui semble ne pas voir, et m’attends avec angoisse.
Alors que je vais pour passer la porte, une voix masculine au timbre chaud me dit : « Prends le livre bleu, le livre de ton histoire. Tu y apprendra qui nous étions véritablement, ta mère et moi. N’oublie pas que nous vous aimons, toi et ta sœur… N’oublie pas. N’oublie jamais d’aimer. Apprends de tes erreurs. Et que ta vie sois belle… ».
Papa… Les larmes me montent aux yeux. « L’entendrai-je jamais à nouveau ? » Je m’empare du livre, qui gît par terre.
Juste avant que je ne quitte pour de bon la pièce aux mille pensées, la voix de ma mère se fait entendre, si douce. « Nous t’aimons, ton père et moi. Nous aimons Asaria. N’oubliez jamais cela. Nous sommes si désolés de vous avoir laissées ainsi seules… Pardon, mille pardons… Mes petites filles chéries ! Nous veillerons toujours sur vous. Quelque soit le chemin qu’aura pris votre vie… Ayez du courage. Soyez fidèles à vous-même. Toujours. Et que votre vie soit digne d’être vécue… »
Et puis, ma mère se tait. Une foule de voix enthousiastes, comme des applaudissements, retentissent.

Je suis dehors. Avec Asaria. Et mes parents. Et le précieux livre. Je crois qu’Asaria a entendu les paroles de maman. Elle m’étreint avec force. La force qu’ont les promesses de vie.

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