Tout au bout du bord de l’extrême, derrière les dernières montagnes du Monde, s’élève le Château des 100 000 pièces Les murailles, et les tours et les étages de ce palais s’élèvent, à ce qu’il vous paraît, bien au-delà des nuages, au-dessus des cimes.
LA PIÈCE DES RÔLES INVERSÉS
LA PIÈCE DES RÔLES INVERSÉS

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LA PIÈCE DES RÔLES INVERSÉS

Mask as Mask

J’étais encore prise de frissons incontrôlables quand mes yeux s’ouvrirent d’un coup, comme si mes paupières avaient été brusquement tirées en arrière. J’étais couchée sur le dos, hébétée, et je contemplais le plafond abyssal, à des lieux au-dessus de moi. Comment étais-je arrivée là ? Je parcourais rapidement la pièce. Plongée dans l’obscurité, on n’en voyait ni la fin ni le début. Il y avait une simple porte entrouverte, où filtrait une lueur jaunâtre. C’était là la seule source de lumière qui m’était donnée à voir. Encore en pleine réflexion, je tressaillis quand un projecteur s’alluma brutalement, en m’inonda d’un halo de lumière aveuglante. Dans un geste instinctif, mes bras voulurent faire barrage entre moi et l’aura éblouissante, mais malgré toute ma volonté, mes membres étaient comme cloués au sol par une force inconnue. Puis mon corps se distordu en formant un angle tout à fait anormal, et ce mouvement incontrôlé aurait dû m’arracher un cri de douleur. A peine avais-je réalisé cela que mes membres exécutèrent une danse des plus étranges, comme s’ils étaient possédés. J’accomplissais des figures impossibles pour un être humain normalement constitué, et je me tordais de plus belle. La désagréable impression d’être manipulée m’envahit soudain, comme si des fils invisibles commandaient mes gesticulations insensées. Je ne sais combien de temps je passa à m’agiter sur un rythme inexistant. Le temps n’avait plus aucune valeur. Puis tout s’arrêta. Simplement. Le halo de lumière qui me collait telle une seconde peau s’éteignit brutalement, et je plongeais voluptueusement dans le noir d’encre de la pièce, encore éclairée par la lueur de la petite porte mystérieuse. Je tombais à genoux, enfin libre de mes gestes. Mes mains parcouraient mes membres, en vérifiant si je n’étais pas blessée. Cependant, un détail me fit froid dans le dos: ma peau était rêche, froide et dure. Effarée, je frottais de toutes mes forces l’enveloppe craquelée qui me recouvrait, et mes ongles la griffèrent jusqu’à ce que mes paumes furent couvertes d’un épais liquide gluant. Des effluves musquées de sapin me prirent à la gorge. De la sève. C’était de la sève. Avec horreur, j’essayais de cligner des yeux: mais mes yeux étaient peints. Je voulus hurler, mais ma bouche serais éternellement close. J’étais un pantin. J’étais une marionnette. J’étais en bois. Des larmes brouillèrent ma vue. Des larmes de sève mêlées à de la peinture bon marché. Mes yeux coulaient au fur et à mesure que je pleurais. Si je n’étais pas aveugle, j’aurais pu voir les deux grosses flaques de larmes à mes pieds, telles deux yeux globuleux sourds d’incompréhension, rouler dans leurs orbites inexistantes. Si je n’étais pas devenu aveugle, j’aurai pu voir un homme quitter la pièce par la petite porte. Un pantin affranchi. Un pantin gracié, qui allait goûter à une liberté toute neuve.

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